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L'un des religieux la regarda avec curiosité.

— Vous connaissez cet homme, ma sœur ?

— Oui... oh, Seigneur ! Je ne puis encore en croire mes yeux ! Il était l'écuyer de mon époux... et je le retrouve ici, seul, malade...

Qu'est-il advenu de son maître ?

— Il vous faudra attendre un peu pour l'interroger. Nous allons d'abord lui donner un cordial, le ranimer, le réchauffer et lui donner à manger. Laissez-nous faire !

À regret, Catherine s'écarta et reprit sa place près de l'âtre. Jean Van Eyck, qui avait suivi la scène, s'approcha d'elle et prit l'une de ses mains. Elle était glacée... Le peintre sentit que la jeune femme tremblait.

— Avez-vous froid ?

Elle fit signe que non. D'ailleurs, ses yeux brillants, ses joues que l'excitation marquait de rouge prouvaient qu'elle ne mentait pas. Les nerfs tendus, elle ne pouvait détacher son regard de ce maigre corps immobile que les moines frictionnaient vigoureusement tandis que le Prieur approchait un petit flacon des lèvres blêmes.

— Qu'ils fassent vite, mon Dieu ! priait Catherine intérieurement.

Est-ce qu'ils ne voient pas qu'ils me font mourir ?

Mais l'énergique traitement administré à Fortunat commençait à produire son effet. Un peu de sang montait à ses joues couleur de cendre, ses lèvres s'agitaient et, bientôt, il ouvrit les yeux, les fixa clairement sur ceux qui le soignaient. Le Prieur lui sourit :

— Vous sentez-vous mieux ?

— Oui... ça va mieux ! Je reviens de loin, n'est-ce pas ?

— D'assez loin ! Les brigands vous ont attaqué, je pense, et laissé pour mort ?

Fortunat fit une affreuse grimace qui s'accentua quand il essaya de se redresser.

— Ces brutes ont tapé comme des sourds. J'ai cru que mes os éclataient... Oh ! je suis tout moulu !

— Cela passera vite. On va vous donner une bonne soupe et un onguent calmera vos douleurs...

Comme le Prieur se redressait, son regard croisa celui de Catherine. Elle crut y lire un signal et, incapable de maîtriser plus longtemps son impatience, s'avança. De nouveau, le Prieur se pencha vers Fortunat.

— Mon fils, il y a ici quelqu'un qui souhaite beaucoup vous parler.

— Qui donc ?

Et, tournant la tête, le Gascon la redressa légèrement. Soudain, il reconnut Catherine et, du coup, se releva sur un coude tandis que son visage maigre s'empourprait.

— Vous !... C'est vous ? Ce n'est pas possible ?

Un élan jeta la jeune femme à genoux auprès de la

civière.

— Fortunat ! Vous êtes vivant, Dieu en soit loué, mais où est messire Arnaud ?

Instinctivement, elle avait posé ses mains suppliantes sur le bras de F écuyer, mais, d'un mouvement brutal, il les rejeta tandis qu'une expression de joie diabolique déformait le maigre visage barbu du Gascon.

— Vous avez tellement envie de le savoir ? Qu'est- ce que ça peut vous faire ?

— Ce que... cela peut me faire ? Mais...

— Que vous importe messire Arnaud ? Vous l'avez trahi, abandonné. Que faites-vous ici ? Votre nouvel époux, le beau seigneur blond, a-t-il déjà assez de vous que vous en soyez réduite à courir les routes à la recherche d'aventures ? En ce cas, c'est bien fait pour vous !

Une double exclamation de colère passa au-dessus de la tête de Catherine qui, abasourdie, contemplait sans comprendre la figure déformée par la haine que le Gascon penchait vers elle. Le Prieur et Jean Van Eyck, également indignés, protestaient.

— Mon fils, vous vous oubliez ! Quel est ce langage ? s'écria l'un.

— Cet homme est devenu fou ! fit l'autre. Je vais lui rentrer ses insolences dans la gorge !

Se relevant d'un mouvement rapide, Catherine retint Jean qui, déjà, tirait sa dague de sa ceinture et repoussa doucement le Prieur.

— Laissez, dit-elle fermement. Ceci me regarde seule ! Ne vous en mêlez pas.

Mais le regard goguenard de Fortunat s'attachait au peintre blanc de colère.

— Encore un chevalier servant, je vois ! Votre nouvel amant, dame Catherine ?

— Trêve d'insolence ! fit-elle durement. Mon père, et vous messire Van Eyck, veuillez vous écarter. Je le répète, ceci me regarde seule !

La colère montait en elle, mais elle la maîtrisait au prix d'un violent effort de volonté. Autour d'elle, les pèlerins qui pouvaient comprendre le français s'attroupaient, mais le Prieur les écartait de son mieux. Elle revint vers la civière, dominant l'homme étendu de toute sa taille et, calmement, croisa les bras.

— Mais vous me haïssez, Fortunat ? Voilà qui est nouveau ?

— Croyez-vous ? fit-il avec un regard mauvais. Ce n'est pas une nouveauté pour moi ! Voilà des mois et des mois que je vous hais !

Depuis ce jour maudit où vous l'avez laissé partir avec le moine, lui, votre époux que vous prétendiez aimer!

— J'ai obéi à ses ordres ! Il le voulait ainsi !

— Si vous l'aviez aimé, vous l'auriez gardé de force ! Si vous l'aviez aimé, vous l'auriez emmené en quelque domaine écarté, vous l'auriez soigné, vous seriez morte de son mal...

— Encore que je ne vous reconnaisse pas le droit de juger ma conduite, Dieu m'est témoin que, libre d'agir à ma guise, je n'aurais rien souhaité de plus doux ! Mais j'avais un fils ! Et son père exigeait que je veille sur lui !

— Peut-être. Mais, dans ce cas, vous n'aviez que faire de courir à la cour ! Est-ce aussi pour obéir à votre époux que vous vous êtes consolée dans les bras du seigneur de Brézé, que vous l'avez envoyé briser le cœur de dame Isabelle... et celui de messire Arnaud, et qu'enfin vous l'avez épousé ?

C'est faux ! Je suis toujours la dame de Montsalvy et défends à quiconque d'en douter ! Messire de Brézé a pris ses désirs pour des réalités. Avez-vous autre chose à me reprocher ?

Sans que les deux adversaires y prissent garde, le ton de leurs-voix montait, prenait le rythme violent et l'éclat de la dispute. Le Prieur, voyant toutes les têtes tournées vers Catherine, voulut intervenir :

— Ma fille ! Peut-être préféreriez-vous vider ce débat dans le calme ! Je vais vous faire conduire dans la salle capitulaire, vous et cet homme...

Mais elle refusa d'un geste plein de fierté.

— Inutile, mon père ! Ce que j'ai à dire, le monde entier peut l'entendre car je n'ai rien à me reprocher ! Alors, Fortunat, reprit-elle, j'attends ! Qu'avez-vous encore à dire ?

Sourdement, mais avec une intraduisible expression de haine concentrée, F écuyer d'Arnaud lança :

— Tout ce qu'il a enduré à cause de vous ! Savez- vous seulement ce qu'a été son calvaire, depuis le jour où vous l'avez rejeté ? Ces jours sans espoir, ces nuits sans sommeil, avec l'abominable pensée qu'il était un mort vivant ! Moi, je le sais, parce que je l'aimais ! Toutes les semaines, j'allais le retrouver. Il était mon maître, le meilleur, le plus vaillant et le plus loyal des chevaliers !

— Qui dit le contraire ? Pensez-vous m'apprendre les vertus de l'homme que j'aime ?

— Que vous aimez ? ricana Fortunat. À d'autres ! Moi, je l'ai aimé, avec dévotion, avec respect, avec tout ce qu'il y a de meilleur en moi !

— Je ne l'aime pas ? Pourquoi suis-je ici, alors ? N'avez-vous pas compris que je le cherche ?

— Vous le cherchez ?

Brusquement, Fortunat s'interrompit. Il dévisagea Catherine avec une joie maligne et, soudain, il éclata de rire, un rire insultant, féroce, qui donna à la jeune femme, plus que les injures, la pleine mesure de la haine que lui portait le Gascon !

— Eh bien, cherchez, belle dame ! Il est perdu pour vous... perdu à tout jamais ! Vous entendez ! PERDU !...

Il avait crié le mot, comme s'il craignait que Catherine n'en eût pas senti toute la désespérante portée. Mais c'était inutile, Catherine avait compris. Elle avait même chancelé sous la brutalité du coup, trouvant cependant assez de force pour repousser la main de Jean qui se tendait pour la soutenir.