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— II... est mort ! fit-elle d'une voix blanche.

Mais, de nouveau, Fortunat éclata de rire.

— Mort ? Jamais de la vie ! Mais heureux, débarrassé de vous, guéri...

— GUÉRI ? Mon Dieu ! Saint Jacques a fait un miracle !

À son tour, elle avait crié le mot, mais avec une ferveur éblouie que le Gascon se hâta de détruire. Il haussa les épaules irrévérencieusement, ce qui fit froncer les sourcils du Prieur.

— Il n'y a pas eu de miracle et, si je révère Monseigneur saint Jacques, je dois reconnaître qu'il n'a pas exaucé les prières de messire Arnaud. Pourquoi l'aurait-il fait, d'ailleurs ? Messire Arnaud n'était pas lépreux !

— Pas... lépreux ? balbutia Catherine. Mais...

— Mais vous vous êtes trompée, comme tout le monde d'ailleurs...

Cela, personne ne peut vous le reprocher. Quand nous avons quitté Compostelle, messire Arnaud se croyait encore lépreux. Il était affreusement déçu... désespéré... Il voulait mourir, mais il ne voulait pas mourir pour rien. « Les Maures tiennent toujours le royaume de Grenade et les chevaliers de Castille sont en lutte perpétuelle avec eux », m'a-t-il dit. « C'est là que je vais aller ! Dieu, qui m'a refusé la guérison, m'accordera bien de mourir en combattant l'Infidèle ! »

Alors, nous sommes partis vers le sud. Nous avons franchi des montagnes, des terres arides, désertes... et nous sommes arrivés dans une ville qui s'appelle Tolède... C'est là que tout a changé !...

Il prit un temps, comme s'il cherchait à bien préciser un souvenir particulièrement agréable. Son sourire ravi porta au comble l'angoisse nerveuse de Catherine.

— Tout quoi ? demanda-t-elle sèchement. Allons ! Parle !

— Vous avez hâte de savoir, hein ? Pourtant, je vous jure que vous ne devriez pas être si pressée. Au fait... mais aussi j'ai hâte de vous voir vaincue. Alors, écoutez : quand nous sommes arrivés dans cette ville sur la colline, nous y avons trouvé le cortège d'un ambassadeur du roi de Grenade, envoyé auprès du roi Jean de Castille et qui s'en revenait vers son pays...

— Mon Dieu ! Mon époux est tombé entre les mains des Infidèles ! Et tu oses te réjouir ?

— Il y a manière et manière de tomber entre les mains de quelqu'un, remarqua Fortunat d'un air rusé. Celle qui est advenue à messire Arnaud n'a rien de très déplaisant...

Brusquement, le Gascon s'assit et, dardant sur Catherine un regard flamboyant, il articula avec l'accent du triomphe :

— L'ambassadeur était une femme, dame Catherine, une princesse, la propre sœur du roi de Grenade... et elle est plus belle que le jour !

Jamais mes yeux n'ont contemplé créature plus éblouissante ! Ceux de messire Arnaud non plus, d'ailleurs !

— Que veux-tu dire ? Explique-toi ! ordonna Catherine, la bouche soudain sèche.

— Vous ne comprenez pas ? Pourquoi donc messire Arnaud aurait-il refusé l'amour de la plus belle des princesses puisque sa propre femme l'avait abandonné pour un autre ? Il était libre, j'imagine, libre d'aimer d'autant plus que la reconnaissance se mêlait à l'admiration.

— La reconnaissance ?

Il a fallu trois jours au médecin maure de la princesse pour guérir messire Arnaud ! Il n'avait pas la lèpre, je vous l'ai dit, mais une autre maladie, très guérissable, dont j'ai oublié le nom barbare ! Il est vrai que cela ressemblait à ce terrible fléau... Mais maintenant, messire Arnaud est guéri, heureux... et vous l'avez perdu à tout jamais !

Il y eut un silence, terrible, profond, comme si tous ces gens dont la plupart ne la connaissaient pas cherchaient à entendre battre le cœur de Catherine... Celle-ci n'avait pas fait un geste, pas dit un mot... Elle écoutait, elle aussi, la souffrance, la jalousie faire lentement, sournoisement, leur chemin dans son âme... Elle avait l'impression de faire un horrible cauchemar dont elle ne parvenait pas à s'éveiller...

Une image se levait au fond de son cœur, une image intolérable : Arnaud entre les bras d'une autre femme !... Elle eut envie de crier tout à coup, de hurler pour soulager l'abominable morsure de la jalousie. Comme un animal sain qui découvre la maladie, elle était désarmée devant cette souffrance nouvelle. Elle fut tentée de fermer les yeux, mais l'orgueil la retint. Dardant sur le Gascon un regard fulgurant, elle gronda :

— Tu mens !... Comment peux-tu espérer que je te croirais ? Mon époux est un chrétien, un chevalier... Jamais il ne renierait sa foi, son pays, son Roi pour une Infidèle ! Et moi, je suis stupide de t'écouter, vil menteur !

Elle serrait les poings dans les plis de sa robe, se contenant à peine.

Pour un rien, elle eût frappé ce visage déformé par l'aversion et qui la narguait... Fortunat, en effet, ne semblait nullement impressionné par sa colère. Il avait même l'air de s'en délecter !

— Je mens ?... Vous osez dire que je mens ?... ». Lentement, ses petits yeux noirs rivés à ceux de Catherine, le Gascon étendit la main et, solennellement, articula : « Je jure sur le salut de mon âme immortelle qu'à l'heure présente messire Arnaud connaît l'amour et la joie dans les palais de Grenade ! Je jure que...

Assez ! coupa soudain derrière Catherine la voix rude d'Ermengarde, Dieu n'aime pas qu'un serment serve à blesser ! Tu as craché ton venin, cela suffit, mon garçon !... Dis-moi pourtant encore une chose : comment se fait-il que tu sois ici, toi, le fidèle serviteur ? Pourquoi donc erres-tu sur les routes au risque de ta vie alors que tu pourrais, toi aussi, connaître le bonheur auprès de quelque belle Mauresque ? Ta princesse n'a-t-elle pas une suivante assez belle pour te retenir ?

Pourquoi n'es-tu pas demeuré auprès de ton maître, à partager sa joie ?

La formidable silhouette rouge de la douairière, son accent impérieux allumèrent une lueur de crainte dans les yeux de l'écuyer.

Celle-là ressemblait à un rocher... Le Gascon eut l'air de se recroqueviller. Il baissa la tête.

— Messire Arnaud l'a voulu !... Il m'a renvoyé vers sa mère, dont il savait la souffrance, pour lui porter la bonne nouvelle de sa guérison, lui dire...

— Que son fils, un capitaine du Roi, un chrétien, avait oublié ses devoirs et ses serments pour les beaux yeux d'une houri ? Belle nouvelle à apprendre à une noble dame ! Si la dame de Montsalvy est telle que je l'imagine, il y a de quoi la tuer net !

— Dame Isabelle est morte, fit Catherine sombre- ment. Plus rien ne peut l'atteindre ! Et ta mission est remplie, Fortunat !... Tu peux à ton gré rentrer en France ou retourner auprès de ton maître...

Une expression de curiosité cruelle apparut sur la figure maigre du Gascon.

— Et vous, dame Catherine, interrogea-t-il avidement, qu'allez-vous faire ? Je pense que vous n'aurez pas l'idée d'aller revendiquer votre époux ? Vous n'arriveriez même pas jusqu'à lui... Les femmes chrétiennes sont réduites en esclavage là-bas, et travaillent sous le fouet, ou alors on les jette aux soldats pour qu'ils s'en amusent... à moins qu'on ne les fasse périr dans d'affreux supplices ! Pour vous, croyez-moi, le mieux est un bon couvent et...

La phrase s'acheva dans un affreux gargouillis. La belle main vigoureuse d'Ermengarde l'avait saisi à la gorge et lui coupait le souffle.

— Je t'ai déjà dit de te taire ! gronda la douairière. Et je ne répète jamais deux fois la même chose.

Mais, comme si rien de tout cela ne la concernait plus, Catherine n'avait pas daigné répondre. Elle se détournait, embrassait d'un regard vacillant tous ces visages anxieux tournés, tendus vers elle, puis, lentement, se dirigeait vers la porte, les plis noirs de sa robe balayant la paille répandue sur les dalles. Jean Van Eyck voulut la suivre. Il appela :