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— Catherine ! Où allez-vous ?

Elle se tourna vers lui, eut un faible sourire.

— J'ai besoin d'être seule un moment, mon ami... Je crois que vous pouvez comprendre cela ? Je vais simplement à la chapelle... Laissez-moi !

Elle quitta la salle, franchit la cour, le porche et sortit sous la voûte qui enjambait le chemin. Elle voulait se rendre dans la petite chapelle, dédiée à saint Jacques, qui s'élevait de l'autre côté. Tout à l'heure, avant le souper, on lui avait montré la grande église du Moustier, mais elle avait trouvé trop d'or et de gemmes sur les Vierges en majesté, trop d'objets étranges entourant le gisant de pierre, si formidable qu'il accaparait tout l'intérêt, du roi Sanche le Fort. Elle voulait un lieu paisible, étroit, où elle pût se retrouver seule avec elle- même et avec Dieu. Cette chapelle, jouxtant l'espèce de caveau bas où l'on ensevelissait les pèlerins morts sur la route, lui semblait l'endroit propice.

Hormis une statue du saint voyageur devant laquelle brûlait une lampe à huile, il n'y avait rien qu'un autel de pierre et des dalles usées.

Il y faisait froid, humide, mais Catherine était au-delà des sensations du corps. Elle avait, tout à coup, l'impression d'être morte... Puisque Arnaud l'avait trahie, son cœur avait perdu sa raison de battre !... Pour une femme inconnue, l'homme qu'elle avait aimé plus que tout avait, d'un seul coup, arraché les liens qui les attachaient l'un à l'autre. Et Catherine se retrouvait amputée d'une partie d'elle-même, la meilleure, l'essentielle, seule au milieu d'un désert sans fin. Ses mains étaient vides, son cœur vide, sa vie dévastée. Lourdement, elle se laissa tomber, à deux genoux, sur la pierre froide, enfouit son visage dans ses mains tremblantes.

— Pourquoi ? balbutia-t-elle. Pourquoi ?...

Un long moment elle demeura prostrée, sans penser, sans prier, sans même sentir le froid qui pénétrait son corps. Elle n'avait pas de larmes. Dans cette chapelle noire ef glacée, elle était comme au fond d'un tombeau et ne souhaitait plus en sortir. Incapable même de réfléchir elle tournait continuellement dans sa tête cette seule idée torturante : « Il » l'avait oubliée pour une autre... Après avoir juré de l'aimer tant qu'il lui resterait un souffle de vie, il avait ouvert les bras à une ennemie de sa race, de son Dieu... et sans doute lui disait-il maintenant ces mots tendres que Catherine écoutait en tremblant...

Pourrait-elle jamais s'arracher cette pensée, cette image de l'esprit ?

Pourrait-elle ne pas en mourir ?

Elle était si accablée qu'elle sentit à peine que deux mains fermes l'obligeaient à se relever puis posaient un manteau sur ses épaules frissonnantes.

— Venez, Catherine, fit la voix ferme de Jean Van Eyck. Ne restez pas là ! Vous allez attraper la mort !

Elle le regarda d'un air égaré.

— La mort ?... Mais, Jean, je suis morte !... On m'a tuée !

— Ne dites pas de sottises ! Venez !

Il l'obligea à sortir, mais, parvenue sous la vieille voûte qu'éclairait une torche fichée dans le mur, elle s'arracha des mains qui la soutenaient, s'adossa contre la muraille. Le vent qui s'engouffrait dans le passage fit voler ses cheveux, mais son souffle violent lui fit du bien.

— Laissez-moi, Jean, je... j'ai besoin de respirer !...

— Respirez ! Mais écoutez-moi !... Catherine, je devine ce que vous souffrez, mais je vous défends de dire que vous êtes morte, que votre vie est finie ! Tous les hommes n'oublient pas si aisément. Il en est qui savent aimer plus que vous ne pouvez le croire.

— Si Arnaud a pu m'oublier, qui donc saura rester constant ?

Sans répondre, le peintre délaça le col de son pourpoint, tira de sa poitrine un parchemin plié, scellé, qu'il tendit à la jeune femme :

— Tenez ! Lisez... Je crois que l'heure est venue d'accomplir ma mission ! Lisez ! Cette torche éclaire suffisamment... Allons, lisez ! Il le faut ! Vous en avez besoin...

Il glissa le parchemin entre les doigts glacés de la jeune femme. Un moment, elle le tourna et le retourna... Il était scellé d'une cire noire où s'imprimait une simple fleur de lys.

— Ouvrez ! souffla Jean.

Elle obéit, presque machinalement, se pencha pour déchiffrer les quelques mots du message, très court en vérité. Comme une enfant, elle les épela :

Le regret de toi ne me laisse ni trêve ni repos. Reviens, mon doux amour, et c 'est moi qui demanderai pardon !... PHILIPPE...

Catherine releva la tête, rencontra le regard anxieux du peintre.

D'une voix basse, ardemment persuasive, il murmura :

— Celui-là n'a pas oublié, Catherine... Vous l'avez abandonné, bafoué, insulté ! Pourtant il ne songe, lui, qu'à vous aimer ! Lorsque l'on connaît son orgueil insensé, on comprend tout le prix de cette lettre, n'est-ce pas ? Revenez avec moi, Catherine ! laissez-moi vous ramener à lui. Il a tant d'amour à vous donner qu'il vous fera oublier toutes vos douleurs ! De nouveau, vous serez reine... et plus encore !

Venez.

Il cherchait à l'entraîner, mais elle résista. Doucement, elle hocha la tête :

— Non, Jean ! Je serai reine, dites-vous, et plus encore ? Oubliez-vous la duchesse ?

— Monseigneur n'a d'amour que pour vous. La duchesse, en lui donnant un fils, a fait son devoir. Il ne lui en demande pas plus.

— Mon orgueil en demanderait davantage ! Quels que soient les torts de messire Arnaud, je porte toujours son nom et ne puis traîner ce nom, comme un captif, à la cour de l'ennemi.

— Vous êtes éloignée de la politique depuis longtemps. Tout s'arrange, Catherine. Bientôt, le roi Charles VII et le duc Philippe feront la paix, cela ne fait de doute pour personne !

— Peut-être ! Mais j'ai un fils. Je dois l'élever comme le veut son rang. Il ne verra pas sa mère reconnue comme maîtresse du duc Philippe ! Je ne lui infligerai pas ce déshonneur doré !

— Vous êtes encore sous le coup du choc reçu. Allez dormir un peu, Catherine. Demain, le jour venu, vous verrez plus clair en vous.

Et vous comprendrez que vous vous devez, à vous-même, de vivre enfin le destin brillant que vous avez rejeté. Vous aurez des terres indépendantes, une principauté ! Votre fils sera plus puissant que vous ne l'avez jamais rêvé... Écoutez-moi ! Croyez- moi ! Le duc vous aime plus que jamais !...

La jeune femme appliqua ses deux mains sur ses oreilles, secouant douloureusement la tête.

— Taisez-vous, Jean ! Pour ce soir, je ne veux plus rien entendre !

Je vais rentrer... dormir un peu, si je puis y parvenir. Pardonnez-moi...

Vous ne pouvez pas comprendre.

Repoussant la main qui se tendait de nouveau, elle regagna la grande salle. Elle était à demi plongée dans l'obscurité. Seules, les braises du feu mourant éclairaient les corps étendus un peu partout, là où le sommeil avait surpris les voyageurs. Catherine vit Josse, roulé en boule comme un chat, dormant près de la cheminée... Seule, Ermengarde, assise un peu plus loin, veillait encore...

Elle se leva en voyant apparaître Catherine, mais la jeune femme lui fit signe de ne pas bouger. Elle ne voulait pas se mêler à tous ces gens. Plus que jamais, elle éprouvait un impérieux besoin de solitude.

Non pour songer à la lettre qu'elle avait laissée tomber à ses pieds tout à l'heure, ni pour se lamenter encore sur son sort. Elle voulait, cette fois, réfléchir, essayer de voir clair... L'appel de Philippe aurait du moins servi à la remettre d'aplomb. A cette heure, le cloître devait être vide...

Malgré l'épaisseur des murailles, on entendait vaguement les voix des hospitaliers qui chantaient à la chapelle... Serrant son manteau autour d'elle, Catherine poussa la porte basse qui menait au promenoir, s'engagea sous les lourdes arcades en arc brisé, séparées par de solides contreforts habitués à supporter des toits chargés de neige. La lumière crue de la lune découpait en noir l'architecture sévère du cloître sur le fond blafard du jardin dévasté par l'hiver.