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— Garin, chuchota-t-elle, est-ce bien vous ? Répondez-moi, par grâce ! Car vous me reconnaissez, n'est-ce pas ?

Le moine tourna vers elle un regard surpris. Un vague et triste sourire détendit légèrement sa bouche serrée. Lentement, il hocha la tête...

No comprendo... ! murmura-t-il en revenant aussitôt à sa topaze. Catherine s'approcha encore, comme si elle voulait elle aussi contempler de plus près l'énorme pierre. Le velours de sa robe toucha la bure du moine. Une espèce de colère montait en elle. La ressemblance, même de tout près, était criante. Elle aurait pu jurer que cet homme était Garin... et pourtant... il avait une lenteur de gestes, une sorte de raucité dans la voix aussi, qui la déroutaient.

— Regardez-moi ! implora-t-elle. Ne faites pas comme si vous ne me reconnaissiez pas ! Je n'ai pas changé à ce point. Vous savez bien que je suis Catherine !

Mais, de nouveau, l'énigmatique moine hochait la tête, se reculait un peu. Derrière elle, Catherine entendit la belle voix grave de don Alonso l'appelant pour admirer les pierres qu'il venait de sortir. Elle eut une brève hésitation, jeta un coup d'œil rapide à Fray Ignacio.

Calmement, ses mains, dont aucun tremblement ne compromettait la sûreté de gestes, couchaient la grosse topaze sur le velours d'un petit coffre qui en contenait d'autres. Il semblait avoir déjà oublié la jeune femme.

L'heure qu'elle vécut dans la chambre souterraine devait laisser à Catherine une impression de rêve éveillé. Elle regardait, sans les voir, les pierres aux éclats différents mais très belles que lui montrait son hôte, mais toute son attention allait vers l'austère et noire silhouette, cherchant à surprendre un geste, une expression, un regard qui, peut-être, lui donneraient la clef de cette vivante énigme. En vain ! Fray Ignacio avait repris son travail comme s'il eût été absolument seul. Il se contenta de la même brève inclination de tête qu'à leur arrivée lorsque Catherine et don Alonso quittèrent la

salle du trésor. Ils remontèrent, en silence, vers les appartements.

— Je vous reconduis chez vous ! dit aimablement l'archevêque.

— Non... s'il vous plaît ! Je remercie Votre Grandeur, mais je voudrais, avant de me retirer, prendre des nouvelles de mon serviteur.

Je vais le rejoindre.

Elle allait s'éloigner, se ravisa.

— Pourtant... dit-elle, j'aimerais savoir : ce Fray Ignacio me semble un homme extraordinaire ! Y a-t-il longtemps qu'il veille sur tant de merveilles ?

— Sept ou huit ans, je pense ! répondit don Alonso sans méfiance.

Mes gens l'ont trouvé un jour, mourant de faim, sur le grand chemin.

Il avait été chassé par ses frères du couvent navarrais où il avait fait profession à cause de ses pratiques étranges. Je vous l'ai dit, je crois : on le prenait pour sorcier. D'ailleurs... ne l'est-il pas un peu ? À cette époque il se rendait à Tolède où il voulait s'initier à la Kabbale. Mais tout ceci n'a pour vous que peu d'intérêt. Je vous laisse, dame Catherine, et vais me reposer. En vérité, je me sens exténué.

La contemplation de ses trésors avait du accroître la nervosité habituelle de don Alonso car, tandis qu'il s'éloignait, Catherine nota que ses tics étaient plus prononcés que jamais.

Les dernières paroles du prélat résonnaient encore dans sa tête. Elle passa sur son front moite une main tremblante... Sept ou huit ans !... Il y en avait dix que Garin avait été pendu. Avait-il alors, au prix d'un miracle, pu gagner ce couvent navarrais d'où il avait été chassé pour sorcellerie ? Ou bien n'y avait-il jamais eu de couvent navarrais ?

D'ailleurs, cette accusation de sorcellerie la gênait. Garin adorait les pierres précieuses et, en cela, il rejoignait le moine mystérieux.

Pourtant, jamais Catherine ne l'avait vu s'occuper d'alchimie. Il était curieux de toutes choses, certes, mais il n'y avait pas le moindre laboratoire dans la maison de la rue de la Parcheminerie, pas plus qu'à Brazey. Devait-on en conclure qu'il s'était caché pour se livrer à ces recherches ésotériques ?... ou bien que le goût lui en était venu après l'effondrement de sa fortune ? Trouver la fabuleuse Pierre philosophale, quelle tentation pour un homme dépouillé de toutes choses !

Brusquement, Catherine s'arracha à sa rêverie. Sans vouloir réfléchir davantage, elle se dirigea vers le donjon, feignant de ne pas voir Tomas, soudainement apparu dans la cour. Continuellement, depuis son arrivée, elle rencontrait le sombre page. Il apparaissait sur son chemin, qu'elle se rendît à la chapelle, au donjon ou dans toute autre partie du château sans qu'elle pût jamais prévoir son approche. Il ne lui adressait pas la parole, se contentant de la regarder avec des yeux où se mêlaient la colère et la convoitise, mais de loin, sans approcher. Catherine, que cette longue figure mettait mal à l'aise, avait pris le parti de ne jamais paraître s'apercevoir de sa présence.

Elle fit de même ce soir-là, monta d'une traite jusqu'à la chambre de Gauthier.

Le Normand se remettait rapidement de l'opération que lui avait fait subir Hamza. Sa constitution exceptionnelle, jointe à la minutieuse propreté dont l'entourait son médecin et à l'excellente nourriture dispensée au château, lui avait fait surmonter tous les dangers qui rendaient le plus souvent mortelle ce genre d'intervention.

Malheureusement, le géant semblait avoir perdu la mémoire.

Certes, il avait retrouvé la clairvoyance, une pleine connaissance de ce qui l'entourait, une entière conscience ; mais, de tout ce qui s'était passé avant la minute où il avait ouvert les yeux dans la chambre du donjon, il n'avait gardé aucun souvenir. Pas même de son propre nom et, de cet état de chose, Catherine se désespérait. Lorsque le médecin maure lui avait appris que Gauthier avait repris conscience, elle s'était précipitée auprès de lui, mais, quand elle s'était penchée sur le lit, elle avait éprouvé une peine cruelle. Le géant l'avait regardée, avec des yeux pleins d'admiration, comme si elle avait été une apparition, mais rien n'avait indiqué qu'il la reconnût. Elle lui avait parlé, alors, se nommant, répétant qu'elle était Catherine, qu'il ne pouvait pas ne pas la reconnaître... mais Gauthier avait hoché la tête.

— Pardonnez-moi, dame, avait-il murmuré. Certes, vous êtes belle comme la lumière... mais je ne sais pas qui vous êtes, je ne sais même pas qui je suis, avait-il ajouté tristement.

— Tu te nommes Gauthier Malencontre. Tu es à la fois mon serviteur et mon ami... As-tu donc tout oublié de jadis, de toutes nos peines, de Montsalvy... de Michel ? de Sara... et de messire Arnaud ?

Un sanglot avait étranglé sa voix au nom de son époux, mais, dans le regard morne du géant, aucune lueur ne s'était allumée. De nouveau, il avait secoué la tête.

— Non... je ne me souviens de rien !

Elle s'était alors retournée vers Hamza qui, silencieux, les bras croisés sous sa robe blanche, observait la scène d'un coin de la pièce.

Son regard douloureux avait imploré tandis qu'elle murmurait :

— Est-ce... qu'il n'y a rien à faire ?

Il l'avait appelée près de lui d'un signe discret, entraînée au-dehors.

— Non. Je ne peux plus rien faire. Seule, la nature a le pouvoir de lui rendre le souvenir.

— Mais comment ?

— Un choc moral peut-être ! J'avoue que je l'avais espéré de ton apparition auprès de lui, mais j'ai été déçu !

— Pourtant, il m'était très attaché... Je peux même dire qu'il m'aimait sans jamais oser le montrer.

— Alors, essaie de réveiller cet amour. Il se peut que le miracle se produise. Mais il se peut aussi qu'il ne vienne jamais. Tu seras, alors, sa mémoire et tu devras tout lui réapprendre de son passé.

Ces paroles, Catherine se les redisait en pénétrant dans l'étroite pièce qu'une seule chandelle éclairait. Gauthier, assis dans l'embrasure de la fenêtre, regardait la nuit. Ses longues jambes repliées, vêtu d'une sorte de gandoura rayée serrée à la taille par une écharpe, il semblait plus grand que jamais. Il tourna la tête lorsque Catherine entra, offrant à la lumière son visage creusé par la souffrance, mais où les yeux gris avaient retrouvé un regard direct. Très amaigrie, la silhouette du Normand restait impressionnante. Catherine, jadis, lui disait souvent, en riant, qu'il avait l'air d'une machine de siège. Il en restait quelque chose, mais la maladie avait paré d'une sorte de distinction le visage rude aux traits grossiers qui avait retrouvé une jeunesse attendrissante.