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— Allons, réveille-toi, Lumière de l'Aurore, ma perle précieuse !

Réveille-toi pour contempler ta gloire !

Catherine rouvrit des yeux méfiants. La gloire en question consistait en un bataillon d'esclaves aux bras chargés d'objets divers, agenouillées un peu partout dans la chambre. On lui présentait des soieries, des mousselines de toutes les couleurs, de lourds bijoux d'or sertis de pierres d'une grosseur barbare, des buires de parfums et d'huiles rares, des oiseaux aux longues plumes légères qui avaient l'air d'énormes joyaux aux couleurs fulgurantes. Mais ce qui retint immédiatement le regard de la nouvelle favorite, ce fut la forme débordante de Fatima qui, assise en tailleur sur un gros coussin posé à même le sol, les mains nouées sur son ventre drapé de soie rouge vif et sa noire figure fendue d'un sourire lunaire, la regardait s'éveiller avec une mine réjouie. Penchée sur Catherine, une jeune esclave couleur café au lait bassinait ses paupières.

S'apercevant que la jeune femme la regardait, l'Éthiopienne se leva et s'inclina avec une étonnante souplesse, balayant le sol des absurdes plumes de paon fixées à sa coiffure.

— Que fais-tu là ? demanda Catherine du bout des lèvres.

— Je suis venue saluer l'astre naissant, ô Splendeur ! Il n'est bruit, dans les souks, que de la bien-aimée du Calife, de la perle rare que j'ai eu le privilège de découvrir...

— Et tu viens, dès l'aurore, chercher ta récompense, j'imagine ?

Le ton méprisant de Catherine n'effaça pas le sourire de Fatima.

Visiblement, la négresse éclatait d'une joie qui la rendait imperméable à toute autre impression.

— Ma foi non ! Je suis venue t'apporter un présent.

— Un présent ? De ta part ?

— Pas tout à fait. De la part d'Abou-le-Médecin !

Tu sais, Lumière de l'Aurore, nous avons gravement méconnu cette belle âme !

Le nom de son ami secoua comme par enchantement la nonchalance de Catherine. Au fond de la vague de colère, de douleur et de dégoût où elle avait plongé, la pensée d'Abou était quelque chose de réconfortant. Elle se redressa sur un coude, repoussant l'esclave qui alla s'agenouiller un peu plus loin.

— Que veux-tu dire ?

La main noire de Fatima désigna un grand couffin de paille dorée où s'empilaient les plus beaux fruits que Catherine ait jamais vus, la plupart lui étant d'ailleurs inconnus.

— Il est venu, dès le premier éclat du jour, apporter ceci en me priant de monter en Al Hamra t'en faire l'offrande.

— Toi ? Il ne devrait pourtant guère éprouver de reconnaissance envers toi ! Ne m'as-tu pas dupé ?

— C'est pourquoi je dis qu'Abou-al-Khayr possède une grande âme. Non seulement il ne m'en veut pas, mais encore il est plein de gratitude pour ce que j'ai fait: «Tu as permis que j'assure, sans le vouloir, le bonheur de mon Calife, m'a-t-il dit avec des larmes dans la voix, et, désormais, le Commandeur des Croyants se souviendra, dans ses prières, d'Abou-le-Médecin qui lui a sacrifié un joyau sans prix ! »

Quant à toi, poursuivit l'Éthiopienne avec volubilité, il te supplie d'accepter ces fruits, d'honorer chacun d'eux du contact de tes lèvres afin qu'en échange ils raffermissent ton cœur effrayé par ta chance, vivifient tes forces et te donnent l'éclat qui rendra durable ton bonheur.

Ces fruits, à ce qu'il assure, ont des vertus magiques, mais qui n'ont de pouvoir que pour toi !

Fatima pouvait continuer à débiter, avec une satisfaction vaniteuse, de belles phrases bien tournées, Catherine avait compris que cet envoi matinal contenait autre chose que des fruits, même magnifiques. Elle se força au sourire, prise d'une hâte soudaine d'être débarrassée de tous ces gens, et de Fatima la toute première.

— Remercie mon ancien maître de sa générosité. Dis-lui que je n'ai jamais douté de la bonté de son cœur et que je ferai tout au monde pour conquérir à jamais le cœur de celui que j'aime. Si je n'y parviens pas, je saurai mourir, fit-elle, jouant audacieusement sur les mots.

Voyant que sa visiteuse ne faisait pas mine de bouger, que les servantes paraissaient figées dans leurs attitudes d'offrande, Catherine appela auprès d'elle Morayma qui entrait à cet instant précis et la fit pencher pour lui parler bas.

— Je suis encore lasse, Morayma. Je voudrais dormir pour achever de restaurer mes forces, être plus belle quand reviendra le Maître. Est-ce possible ?

— Plus rien n'est impossible, ô rose entre les roses ! Tu n'as qu'à ordonner. On te laissera reposer autant que tu le voudras ! J'aime à te voir si raisonnable, si soucieuse de plaire ! Tu iras loin !

Sa main teintée au henné désignait les yeux encore gonflés de la jeune femme.

— Il est heureux que le maître soit absent. Tu auras ainsi tout le temps de retrouver l'éclat du bonheur ! Sortez, vous autres !

— Reviens me voir bientôt, Fatima ! dit Catherine à la grosse négresse qui allait se retirer, assez désappointée, avec les autres.

J'aurai sans doute besoin de toi et je serai toujours heureuse de te voir.

Il n'en fallut pas plus pour que les plumes de paon, un peu consternées l'instant précédent, reprissent une arrogante stabilité.

Gonflée d'orgueil, se voyant déjà la confidente de la favorite, de la future sultane peut-être si elle donnait un fils au Calife, Fatima se retira majestueusement, les porteuses de présents royaux sur ses talons.

Dors maintenant, fit Morayma. en tirant les immenses voiles de mousseline rose qui enveloppaient le lit de Catherine. Et ne mange pas trop de fruits, ajouta-t-elle voyant que la jeune femme attirait la corbeille auprès d'elle. Cela fait gonfler lorsque l'on en abuse et, en ce qui concerne les figues...

La phrase demeura en suspens. Morayma s'était soudain jetée sur le sol et s'y prosternait, paumes étendues et face contre terre. Au seuil de la chambre, dans le cadre gracieux d'un arc mauresque, la princesse Zobeïda venait d'apparaître.

Ses cheveux, dénoués, pendaient jusqu'à ses reins et elle portait simplement une sorte de gandoura de brocart bleu-vert serrée à la taille par un large cercle d'or ; mais, malgré ce négligé, sa mince silhouette offrait une image parfaite de l'orgueil à l'état pur. Le sang de Catherine bondit quand la voix étouffée de Morayma lui souffla :

— Lève-toi et agenouille-toi ! Voici la princesse...

Aucune force humaine n'aurait pu contraindre la

jeune femme à faire ce qu'on lui demandait. Se prosterner, elle, devant cette sauvagesse qui osait lui prendre son époux ? Même le plus élémentaire instinct de conservation ne pourrait l'y obliger ! La haine que cette femme lui inspirait la brûlait jusqu'aux entrailles.

Immobile, dressant au contraire avec arrogance sa tête fine, elle regarda venir l'autre avec des prunelles que la colère rétrécissait.

— Par pitié !... pour toi et pour moi, agenouille-toi ! chuchota Morayma affolée tandis que Catherine se contentait de hausser les épaules. .

Zobeïda, cependant, était arrivée jusqu'au lit. Ses grands yeux sombres en examinaient l'occupante avec une curiosité qui l'emportait sur la colère.

— Est-ce que tu n'entends pas ce qu'on te dit ? Tu dois te prosterner devant moi !

— Pourquoi ? Je ne te connais pas !

— Je suis la sœur de ton maître, femme, et, comme telle, ta souveraine ! Tu ne dois pas, en ma présence, t'élever au-dessus de la poussière que tu es ! Lève-toi et prosterne-toi !

— Non ! fit Catherine nettement. Je suis bien ici et je n'ai aucune envie de me lever. Mais je ne t'empêche pas de t'asseoir.

Elle vit une bouffée de colère assombrir le beau visage mat et, un instant, trembla pour sa vie. Mais non... Zobeïda se maîtrisait. Un sourire méprisant arqua ses lèvres rouges et elle haussa les épaules.