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— Ne veux-tu donc plus revoir tout cela ? Il n'est point de prison dont on ne puisse s'échapper, sauf le tombeau, murmura-t-elle.

Rentrons chez nous, Arnaud, je t'en supplie...

Il n'eut pas le temps de répondre. Brusquement, le mirage s'évanouit, le charme vola en éclats. Précédée d'une cohorte d'eunuques porteurs de torches et flanquée de Morayma, Zobeïda venait d'apparaître sous le portique et s'avançait le long du bassin. L'eau sembla prendre feu, la nuit s'effaça, les mains, unies la minute précédente, se séparèrent.

Les yeux sombres de Zobeïda se posèrent d'abord sur Catherine avant de revenir, interrogateurs, sur Arnaud. Au froncement de sourcils qui avait accompagné ce regard, Catherine comprit que la Mauresque s'étonnait de la trouver encore vivante. Elle s'expliqua d'ailleurs plus clairement :

— Tu as pardonné à ta sœur, mon seigneur ? Sans doute avais-tu tes raisons. D'ailleurs, ajouta-t-elle avec une perfidie calculée, j'en suis heureuse car mon frère t'en sera reconnaissant. Son retour est annoncé. Demain, cette nuit peut-être, le Commandeur des Croyants regagnera Al Hamra ! Nul doute que sa première pensée ne soit pour sa bien-aimée...

À mesure que parlait Zobeïda, Catherine voyait, navrée, se détruire sous ses yeux tout ce qu'elle venait de reconquérir. La main d'Arnaud ne tenait plus la sienne et la colère, de nouveau, habitait son regard.

La réalité avait repris ses droits avec ses personnages impossibles à effacer : le Calife et sa sœur. Catherine, pourtant, voulut encore lutter.

— Arnaud... supplia-t-elle, j'ai encore tant de choses à te dire...

— Tu les lui diras plus tard ! Morayma, emmène-la maintenant chez elle et veille à ce qu'elle soit prête si mon noble frère revient !

— Où l'emmènes-tu ? interrogea sèchement Arnaud. Je veux savoir !

— Tout près d'ici. La chambre qui sera la sienne donne sur ce jardin. Vois comme je suis bonne pour toi ! je loge ta sœur chez moi pour que tu puisses la voir. Dans l'enceinte même du harem où tu n'as pas le droit de pénétrer, ce serait impossible... Laisse-la aller, maintenant. Il est tard, la nuit s'avance, on ne peut causer jusqu'à l'aube...

Oh ! cette voix ronronnante, endormante et persuasive ! Qui donc, en l'entendant, eût supposé, rien qu'un instant, qu'elle portait son poids total de perfidie et de haine ? Arnaud, pourtant, commençait à connaître Zobeïda.

— Tu es bien conciliante, tout à coup ! Cela ne te ressemble guère.

La princesse haussa les épaules et répondit, suave :

— Elle est ta sœur et tu es mon seigneur ! Cela dit tout.

Sur un homme normalement constitué, il est bien rare que la flatterie ne porte pas et, à cet instant, Catherine, inquiète, déplora qu'Arnaud fût tellement normal et eût conservé une telle dose de naïveté. Il semblait satisfait d'entendre Zobeïda s'exprimer avec cette modération.

Catherine, elle, n'était pas dupe. Si la Mauresque faisait patte de velours, il fallait redoubler de vigilance et sa soudaine mansuétude ne lui disait rien qui vaille. Le sourire, la voix charmeuse ne démentaient pas la dureté calculatrice du regard. Les nombreuses épreuves subies par Catherine lui avaient, du moins, appris à lire dans un regard, à épier les réactions de l'ennemi : Arnaud, malgré la cruauté de son passage en léproserie, malgré l'effondrement physique et moral d'une aussi terrible expérience, n'avait jamais eu à se défendre contre une foule d'adversaires plus forts que lui comme l'avait fait sa femme.

Loyal et chevaleresque, il avait du mal à se méfier d'un sourire tendre, d'une parole caressante, surtout chez une femme...

Catherine se laissa cependant emmener par Morayma avec une certaine docilité. Pour cette nuit, tout était dit ! Pourtant, avant de s'éloigner, elle se retourna une dernière fois vers Arnaud, sentit son cœur moins transi en constatant qu'il la suivait des yeux.

— Un homme doit savoir choisir son destin, Arnaud... et s'il est digne de lui-même, il ne doit permettre à personne, tu m'entends, à personne de s'interposer entre lui et sa conscience...

La chambre, en effet, donnait immédiatement sur le jardin. De l'étroite, mais confortable couchette où Morayma l'avait étendue, Catherine pouvait voir luire, entre deux minces colonnettes, le bassin sous la lune. Morayma, en l'y installant, lui avait fait remarquer le luxe délicat de la petite pièce, toute vêtue de cristal mauve et vert amande serti de cèdre à l'or assourdi.

— C'est peut-être moins somptueux que ton autre appartement, lui dit-elle, mais plus raffiné ! Zobeïda n'aime pas les grandes pièces. Tu ne manqueras de rien ici et tu auras presque l'impression d'habiter le jardin.

La Juive se donnait, évidemment, beaucoup de mal pour vanter la nouvelle installation de Catherine. Besoin de la rassurer en se rassurant elle-même ? Peut-être !... Des deux, c'était sans doute elle qui en avait le plus urgent besoin car sous ses voiles safran brodés de bleu, Morayma tremblait comme de la gelée... Catherine voulut l'obliger à le reconnaître.

— Pourquoi as-tu si peur, Morayma ? Que crains- tu ?...

— Moi ? fit l'autre avec une parfaite mauvaise foi. Je n'ai pas peur.

J'ai... j'ai froid !

— Par cette température ? La brise de tout à l'heure est tombée.

On ne voit même plus bouger les feuilles du jardin.

— J'ai froid tout de même... J'ai toujours froid !

Tout en parlant, elle disposait au chevet du lit de Catherine une jatte de lait que la jeune femme contempla avec une certaine surprise.

— Pourquoi ce lait ?

— Au cas où tu aurais soif. Et puis, il te faut boire beaucoup de lait pour l'éclat et la souplesse de ta peau.

Catherine soupira ! C'était bien le moment de s'occuper de sa peau ! On semblait, dans ce palais, se préoccuper uniquement de secrets de beauté et elle commençait à être plus que lasse de ce rôle d'animal de luxe bichonné, engraissé, pomponné pour la consommation du maître.

Comme si elle n'avait as d'autre souci que l'éclat de son teint !...

Tandis que Morayma disparaissait aussi vite que le permettaient ses courtes jambes, Catherine tenta de raisonner sa situation. La proximité immédiate de Zobeïda ne lui faisait pas peur. Sans doute la princesse y regarderait-elle à deux fois avant de persécuter celle qu'elle croyait la sœur de son amant et ce n'était pas elle qui tourmentait le plus la jeune femme. C'était Arnaud !... Comme il était étrange et déconcertant !

Tout à l'heure, quand il l'avait reconnue, elle n'avait pas douté une seconde de sa joie de la retrouver ni même de son amour pour elle. Il y a des élans qui ne trompent pas ! Mais Zobeïda avait soufflé cette joie comme une chandelle avec ses insinuations venimeuses et Arnaud avait oublié cette brusque bouffée de bonheur pour ne plus écouter que sa jalousie, sa colère d'époux trahi. Encore, songeait tristement Catherine, ignorait-il certains épisodes tels que celui du camp des tziganes, avec le malheureux Fero, ou celui du donjon de Coca... et il fallait qu'il les ignorât toujours, sinon il n'y aurait plus ni trêve ni repos, ni bonheur possible pour Catherine. Il se détournerait d'elle à tout jamais...

Pourtant, la fatigue due aux émotions de cette journée finit par clore ses yeux, mais elle ne s'endormit pas de ce sommeil profond qui restaure si bien, en quelques heures, les forces les plus amoindries.

Elle dormait mal, nerveusement, avec de brusques sursauts et un subconscient plus actif que jamais. Du fond de son sommeil, elle avait l'intuition d'un danger dont, bien sûr, elle ne pouvait déterminer la nature, mais qui s'approchait inexorablement.