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— Alors... laisse-le fuir ! Nul ne pourra te le reprocher.

— Fuir ?

Cette fois, il la regarda et Catherine, déçue, vit que son regard avait l'éclat froid de l'acier.

Sais-tu que le Grand Vizir en personne s'est institué son geôlier ?

Sais-tu qu'outre les vingt soldats maures qui le gardent à vue, il y a, près du cachot où il est enfermé, une troupe d'hommes du Grand Cadi qui veille également. Car Allah lui-même exige le sang du meurtrier d'une princesse de Grenade. Il me faudrait, pour le laisser fuir, éloigner tout ce monde... et j'y risquerais mon trône !

À mesure qu'il parlait, l'espoir avait, peu à peu, abandonné Catherine. Elle comprenait soudain que cette bataille était vaine, qu'il chercherait tous les prétextes pour refuser une grâce qu'il ne voulait pas accorder. Il haïssait Arnaud, plus certainement parce qu'il était son époux qu'à cause de Zobeïda ! Elle fit cependant une ultime tentative pour l'attendrir.

— Ta sœur voulait me livrer aux esclaves, dit-elle nettement, m'exposer nue sur le rempart puis me jeter à ses bourreaux mongols.

Arnaud a frappé pour me sauver et toi tu me refuses sa vie !... et tu dis que tu m'aimes ?

— Je t'ai dit que je ne pouvais pas !

— Allons donc ! Es-tu, oui ou non, le maître ici ? Et qu'était Zobeïda d'autre qu'une femme... une de ces femmes tellement méprisées, de si peu d'importance pour ceux de ta race ? Et tu voudrais me faire croire que le Grand Cadi lui-même, le Saint Homme de Grenade, exige le sang de mon époux !

— Zobeïda était du sang du Prophète ! tonna Muhammad. Et qui verse le sang du Prophète doit mourir ! Le crime est plus grand encore lorsque l'assassin est un Infidèle ! Cesse de me demander l'impossible, Lumière de l'Aurore. Les femmes n'entendent rien aux affaires des hommes !

Le mépris qui sonnait dans sa voix fit bondir Catherine.

— Si tu voulais... pourtant, toi que l'on dit si fort !

— Mais je ne veux pas !

Brutalement, il s'était tourné vers elle, l'avait saisie par les bras qu'il serrait dans sa colère, approchant de celui de Catherine un visage que la rage empourprait.

Ne comprends-tu pas que tes prières irritent encore davantage ma colère contre lui ? Pourquoi donc ne vas-tu pas au bout de ta pensée ? Pourquoi ne me dis-tu pas : libère-le parce que je l'aime et que je ne renoncerai jamais à lui ! Libère-le parce que j'ai besoin de le savoir vivant à tout prix... même au prix de tes baisers ! Folle ! c'est justement ton amour pour lui, plus encore que le désir de venger ma sœur, qui lui vaut ma haine. Car je le hais maintenant, tu entends...

je le hais de toutes mes forces, de toute ma puissance parce qu'il a su obtenir ce que je désirais plus que tout au monde : être aimé de toi.

— Penses-tu mieux réussir en le tuant ? demanda Catherine froidement. Les morts ont une puissance que tu ne parais pas supposer. Tu aurais pu garder captive l'épouse d'Arnaud de Montsalvy, mais tu ne posséderas jamais sa veuve ! D'abord parce que je ne lui survivrai pas. Ensuite parce que le sang dont tu seras couvert me ferait horreur si je devais vivre encore...

D'une brusque secousse, elle s'était dégagée, éloignée de quelques, pas et, maintenant, elle le défiait du regard. Il était étrange de voir combien la colère rendait les hommes semblables entre eux.

Sur le masque exaspéré de celui-là, elle retrouvait le reflet d'autres fureurs, celles de tous les hommes qui l'avaient aimée ou qu'elle avait combattus. Et toujours elle était sortie, finalement, victorieuse.

Du moment qu'il ne faisait pas appel à son cœur ou à sa sensibilité, elle se sentait forte en face d'un homme en colère. Mais, en pensant que cette faiblesse ; que dénote toujours la colère lui livrerait Muhammad, elle se trompait. Les autres étaient de sa race. Celui-là était différent. Il y avait un monde entre eux par-dessus lequel leurs esprits ne pouvaient se rejoindre.

Au prix d'un effort violent sur lui-même, le Calife se calma. Tournant le dos à Catherine, il retourna s'asseoir sur son trône, reprit son sceptre comme s'il cherchait dans l'emblème de sa puissance une défense ; contre cette femme trop attirante. Catherine se raidit, '

inquiète soudain du regard oblique qu'il lui jetait tandis qu'un mince sourire faisait luire ses dents sous sa barbe blonde. La peur maintenant glissait insidieusement en elle ! La fureur de Muhammad était moins terrifiante que ce sourire !

— Tu ne mourras pas, Lumière de l'Aurore ! commença-t-il doucement.

— Cesse de m'appeler ainsi ! s'insurgea la jeune femme. Ce nom me fait horreur. Le mien est Catherine !

— J'ai peu l'habitude de ces noms barbares, mais je ferai selon ton désir. Donc, tu ne mourras pas... Catherine... car je veillerai à ce qu'aucun moyen ne t'en soit laissé. Et je t'aurai quand je voudrai.

Non... ne proteste pas ! Je n'aurai pas sur les mains le sang de ton époux... car c'est toi-même qui le tueras !

Le cœur de Catherine manqua un battement. Elle crut avoir mal entendu, demanda avec angoisse :

— Que dis-tu ? J'ai mal compris...

— Tu le tueras, de ta jolie main fine. Écoute plutôt : ton époux est au fond d'une geôle, en ce moment. Il y restera jusqu'au jour des funérailles solennelles de sa victime, qui auront lieu au coucher du soleil, dans une semaine d'ici. Ce jour-là, il mourra afin que l'esclave accompagne sa maîtresse dans l'Au-delà et que Zobeïda, puisse, dans la tombe, contempler les restes sanglants de son meurtrier. Jusque-là, il ne boira, ni ne mangera, ni ne dormira, afin que le peuple voie quelle pauvre chose ma colère peut faire d'un chevalier franc. Mais ce qu'il va souffrir n'est rien auprès de l'univers de tortures qu'il devra endurer avant de mourir. A la face du ciel, devant tout le peuple, les bourreaux lui feront regretter cent fois d'être né... à moins que...

— À moins que quoi ? souffla Catherine, la gorge sèche.

— À moins que tu n'abrèges son supplice. Tu y assisteras, ma rose, parée comme il convient à une sultane. Et tu auras le droit d'abréger ses toitures en le frappant, toi-même, avec l'arme même dont il s'est servi pour tuer.

Ainsi, c'était cela qu'il avait trouvé pour la faire souffrir ? Le choix abominable entre frapper, elle-même, l'homme qu'elle adorait, ou bien l'entendre hurler pendant des heures dans les supplices ! Mon Dieu ! Comment pourrait-elle trancher cette vie dont dépendait la sienne ? Tristement, pitoyablement elle murmura, comme pour ellemême :

— Il bénira la mort que lui donnera ma main.

— Je ne crois pas. Car il saura que tu m'appartiendras désormais en toute propriété. On ne lui laissera pas ignorer que, le soir même, je t'épouserai.

Une telle cruauté se lisait sur le beau visage du Calife que Catherine détourna les yeux, écœurée.

— Et l'on te dit bon, noble, généreux !... On te connaît mal !

Pourtant ne te réjouis pas trop vite. Moi non plus, tu ne me connais pas ! Il y a une limite à la souffrance.

— Je sais. Tu as dit que tu mettrais fin à tes jours. Pas avant le jour du supplice, cependant, car rien ne pourrait sauver ton époux de la torture si tu n'étais plus. Il te faut rester vivante pour lui, douce dame !

Elle leva sur lui un regard de noyée. Quel genre d'amour lui vouait donc cet homme ? Il lui criait sa passion et, l'instant suivant, la torturait avec une froide cruauté... Mais elle ne raisonnait plus, ne luttait plus ! Elle était à bout d'espoir. Pourtant, il n'était pas possible qu'il ne se trouvât pas, au plus profond du cœur de cet homme, de ce poète, une toute petite place accessible à la pitié...

Lentement, elle se laissa glisser à genoux, courba la tête.

— Seigneur ! murmura-t-elle. Je t'implore ! Vois... je suis à tes pieds, je n'ai plus d'orgueil, plus même d'amour-propre. Si tu as pour moi un peu d'amour, si peu que ce soit, ne me laisse pas souffrir ainsi ! Tu ne peux me condamner à la torture que seront les jours à venir, tu ne peux vouloir que j'agonise lentement sous le même toit que toi. Si tu ne veux, ou ne peux m'accorder la vie de mon époux, alors permets-moi de le rejoindre. Laisse-moi partager ses souffrances et sa mort et, devant Dieu qui m'entend, je jure qu'en mourant je te bénirai...