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— Allah est grand ! soupira Mansour d'un air tellement extasié que Catherine retint un sourire. Ce guerrier au visage de fanatique semblait détenir une bonne dose de naïveté. Lui faire avaler les pires couleuvres était apparemment la chose du monde la plus facile ! Il est vrai que la réputation d'Abou-al-Khayr était si grande !

Mais déjà les yeux noirs de Mansour se tournaient vers Catherine, s'y fixaient bien que la jeune femme, imitant Amina, eût caché son visage. L'aspect insolite de cette silhouette inconnue frappa sans doute le sombre seigneur car il demanda :

— Qui est cette femme ? Je ne l'ai jamais vue.

— Une fugitive ! La favorite blanche de Muhammad. Pendant que tu combattais, Abou le médecin l'a fait fuir en même temps que le condamné, l'homme qui a tué Zobeïda et qui est d'ailleurs son époux.

Le visage de Mansour exprima une stupeur non déguisée.

Visiblement, il ignorait tout de Catherine et d'Arnaud.

— Quelle est cette étrange histoire ? Et que veut dire tout ceci ?

Sous la semi transparence du voile, Catherine devina le sourire de la sultane. Elle connaissait, très certainement, les moindres réactions de son inquiétant amoureux et jouait de lui avec une incroyable aisance.

— Cela veut dire, répondit-elle avec une note de solennité dans la voix, que le Calife s'apprêtait à offenser la loi sainte en s'emparant du bien d'autrui. Cette femme, par grands périls et grandes douleurs, est venue de son lointain pays franc reprendre à Zobeïda son époux qu'elle retenait captif, mais sa beauté a éveillé le désir dans le cœur de Muhammad. C'est pour défendre son épouse menacée de mort que le chevalier franc a tué la Panthère.

Ce petit discours fit incontestablement sur Mansour une profonde impression. Ses raisonnements étaient, en général, d'une grande simplicité : si l'on était l'ennemi du Calife, on était obligatoirement son ami. Son regard perdit sa menace, se chargea de sympathie.

— Où est le chevalier franc ? demanda-t-il.

— Ici même. Abou le médecin l'a soigné. Il repose.

— Il faut qu'il fuie. Et cette nuit même !

— Pourquoi ? demanda la sultane. Qui viendrait le chercher ici ?

Les gardes du Calife. La mort de ce chien, dont la tête pend à ma selle, jointe à la fuite de sa favorite et du meurtrier de sa sœur ont rendu Muhammad enragé. Cette nuit, toutes les maisons de Grenade, et même les villas de la campagne seront fouillées... et jusqu'à ta demeure, ô princesse !

Une ombre passa dans le regard mobile de la sultane.

— Tu as donc échoué ?

— Que croyais-tu en me voyant arriver ? Que je venais déposer la couronne califale au pied de ton lit ? Non, je venais réconforter mes hommes, prendre moi- même quelques forces avant de fuir. Mon palais est déjà aux mains de l'ennemi. Je suis heureux de te voir en vie, mais je dois fuir. Si tes protégés veulent échapper à Muhammad, il leur faut quitter Grenade cette nuit même car le Calife les recherche plus activement encore que moi-même !

Catherine, avec une angoisse facile à comprendre, avait suivi le bref dialogue d'Amina et de Mansour. En même temps, à mesure qu'elle réalisait le sens des paroles, une lassitude montait en elle.

Encore fuir, encore se cacher... et dans quelles conditions ! Comment faire quitter Grenade à son époux, blessé et drogué par Abou ? Elle allait poser la question à la sultane quand la voix douce de celle-ci s'éleva de nouveau, mais, cette fois, Catherine constata qu'une nuance de colère la faisait trembler.

— Tu vas donc me quitter encore, Mansour ? Quand te reverrai-je ?

— Il ne tient qu'à toi de me suivre ! Pourquoi demeurer auprès de cet homme qui ne t'a apporté que déceptions et douleurs ? Je t'aime, tu le sais, et je peux te donner le bonheur. Le Grand Sultan t'accueillerait avec joie...

— Il n'accueillerait pas une épouse adultère. Tant que Muhammad vivra il me faudra demeurer. Maintenant, il te faut songer à mettre la mer entre lui et toi. Quelle route prends-tu ? Motril ?

Le cavalier noir secoua la tête.

Trop facile ! C'est là qu'on me cherchera en premier lieu. Non.

Almeria ! Le chemin est plus long, mais le prince Abdallah est mon ami et j'ai un navire dans le port.

— Alors, emmène le Franc et son épouse. Seuls, ils sont perdus : les cavaliers de Muhammad les auront vite repris. Avec toi, ils ont une chance...

— Laquelle ? Leur description doit, à cette minute, partir à francs étriers pour tous les postes frontières et tous les ports... Moi, je m'en sortirai toujours parce que j'ai des alliés, des amis, des serviteurs partout. Mais je ne donne pas cher de leur peau.

Sans laisser à Catherine le temps de s'affoler, Abou- al-Khayr intervint :

— Un moment, seigneur Mansour ! Accepte seulement de les emmener avec toi et je me charge de les dissimuler. J'ai pour cela une idée. D'ailleurs, je vous accompagnerai, si tu le permets. Tant que mes amis ne seront pas définitivement hors de portée des bourreaux du Calife, je ne regagnerai pas ma demeure.

Le petit médecin avait parlé avec tant de grandeur simple et de vraie noblesse que Mansour n'osa pas refuser.

Tandis que Catherine serrait doucement, dans un geste de gratitude profonde, la main de son ami, il bougonna :

— C'est bon ! Fais comme tu l'entends, Abou le Médecin, mais sache ceci : dans la moitié d'une heure seulement, je quitterai ce palais ! Le temps, je te l'ai dit, de réconforter hommes et chevaux. Si tes protégés ne sont point prêts à m'accompagner, ils resteront. J'ai dit !

Abou-al-Khayr se contenta de s'incliner en silence. Mansour, tournant les talons, rejoignit le sombre escadron qui, rigide, attendait, massé près de la porte, brides aux bras, mur noir troué d'yeux luisants.

Le chef leur dit quelques mots et, silencieusement, l'un derrière l'autre, ils gagnèrent les communs du palais. Le médecin, alors, se tourna vers Catherine et vers Amina :

— Venez, dit-il, nous n'avons pas beaucoup de temps.

Mais, en franchissant le seuil du palais, une idée traversa Catherine. D'un geste vif, elle détacha la fabuleuse ceinture d'Harounal-Raschid et la tendit à la sultane.

— Tiens ! dit-elle, cette ceinture t'appartient. Pour rien au monde, je ne voudrais l'emporter.

Un instant, les doigts minces d'Amina caressèrent les énormes gemmes. Il y avait une tristesse dans sa voix quand elle murmura :

— Le jour où je l'ai portée pour la première fois, je croyais bien qu'elle était la chaîne même du bonheur... Mais j'ai compris, par la suite, que c'était bien une chaîne, rien qu'une chaîne... et fort lourde.

Ce soir, j'ai espéré que mes entraves se briseraient... Hélas, elles sont toujours là et tu m'en rapportes la preuve ! N'importe ! Sois-en tout de même remerciée...

Les deux femmes allaient passer dans les appartements privés d'Amina, sur les pas du médecin, quand deux esclaves noires, grandes et vigoureuses sous des robes rayées de brun, apparurent, moitié portant, moitié traînant une femme beaucoup plus petite, toute vêtue de noir et qui se débattait comme une furie.

— On l'a trouvée à la porte ! fit l'une des deux esclaves. Elle criait qu'elle voulait voir Abou le Médecin, qu'on lui a dit, à sa maison, qu'il se trouvait ici...

— Lâchez-la, ordonna Abou qui, ajouta, tourné vers la nouvelle venue : Que veux-tu ?

Mais celle-ci ne lui répondit pas. Elle venait de reconnaître Catherine et, avec un cri de joie, elle arrachait son voile noir, se précipitait vers elle.

— Enfin, je te retrouve ! Tu avais pourtant promis de ne pas partir sans moi.

— Marie ! s'écria la jeune femme avec un mélange de joie et de honte tout à la fois car, au milieu de ses angoisses, elle avait oublié Marie et la promesse qu'elle lui avait faite : - Comment as-tu fait pour fuir et pour me retrouver ? ajouta-t-elle en l'embrassant.