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Facile ! J'étais au milieu des autres pour... pour l'exécution. Je ne t'ai pas quittée des yeux un seul instant et je t'ai vue fuir avec le médecin.

Il y avait un tel tumulte sur la place que j'ai pu me glisser dans la foule qui s'éparpillait de tous côtés. Les gardes et les eunuques avaient bien autre chose à faire qu'à nous surveiller. Je suis allée chez Abou-al-Khayr où j'espérais te retrouver, mais on m'a dit qu'il soignait la sultane Amina et devait être à l'Alcazar Genil. Alors, me voilà ! Tu...

tu n'es pas fâchée que je sois venue ? ajouta la petite avec une soudaine inquiétude. Tu sais, j'ai tellement envie de retourner en France ! J'aime bien mieux moucher des gosses, cuire le pot et laver les écuelles que bâiller d'ennui dans la soie et le velours au milieu d'une prison dorée et d'une bande de femelles en folie !

Pour toute réponse, Catherine embrassa de nouveau la jeune fille et se mit à rire.

— Tu as bien fait et c'est moi qui te demande pardon d'avoir manqué à ma promesse. Ce n'était pas tout à fait de ma faute...

— Je le sais bien ! L'important, c'est d'être ensemble !...

— Quand vous en aurez terminé avec les politesses, coupa la voix railleuse d'Abou-al-Khayr, vous voudrez peut-être vous souvenir que le temps presse et que Mansour n'attendra pas.

CHAPITRE XV

Sous les voiles de la « Magdalène »

Une demi-heure plus tard, la troupe silencieuse qui sortait de l'Alcazar Genil n'avait plus rien de commun avec celle qui était entrée, peu avant, sous la conduite furieuse de Mansour ben Zegris. Les sombres cavaliers aux visages voilés s'étaient mués en gardes réguliers du Calife, les selhams noirs remplacés par des burnous blancs. Mansour lui-même avait abandonné vêtements brodés d'or et fabuleux rubis entre les mains d'Amina et portait la tenue d'un simple officier.

Gauthier et Josse étaient mêlés aux soldats, le casque enturbanné enfoncé jusqu'aux yeux, et serraient de près une grande litière aux rideaux de soie hermétiquement fermés qui formait le centre du cortège.

Dans cette litière, Arnaud, toujours inconscient, était étendu sous la surveillance attentive d'Abou-al-Khayr, de Catherine et de Marie. Les deux femmes étaient habillées en servantes de bonne maison et, tandis que Marie, armée d'un chasse-mouches en plumes, éventait le blessé, Catherine se contentait de tenir entre les siennes l'une des mains entourées de bandages. Elle brûlait de fièvre, cette main, et Catherine anxieuse ne quittait pas des yeux le visage aux yeux clos, momentanément dévoilé. Car la grande habileté d'Abou-al-Khayr avait été de faire habiller Arnaud de somptueux vêtements féminins, les plus grands qu'on ait pu trouver. Emmitouflé d'amples voiles de léger satin bleu nuit rayé d'or, en pantalons bouffants et babouches brodées, le chevalier figurait assez bien la grande dame, âgée et malade, qu'il était censé représenter. Cet étrange accoutrement avait détendu les nerfs de Catherine. Il apportait une note amusante qui, de cette fuite précipitée, faisait une manière de fugue où l'amour avait son mot à dire. Et puis, ce qui comptait avant tout, c'était le départ, c'était le fait de quitter cette ville étrange et dangereuse d'où ils avaient, peu de temps auparavant, si peu de chances de sortir. Aussi fut-ce d'un ton calme qu'elle demanda à Mansour, en prenant place sur les matelas de la literie :

— Que dirons-nous si nous rencontrons les gens du Calife ?

— Que nous escortons la vieille princesse Zeinab, grand-mère de l'émir Abdallah qui règne à Almeria. Elle est censée regagner son palais après une visite à notre sultane dont elle est, depuis longtemps, l'amie.

— Et l'on nous croira ?

— Qui oserait dire le contraire ? coupa Abou-al- Khayr. Le prince Abdallah, cousin du Calife, est si susceptible que le maître lui-même prend de grandes précautions dans ses rapports avec lui. Almeria est le plus important de nos ports. Quant à moi, il est normal, étant médecin, que j'escorte cette noble dame, conclut-il en s'installant à son tour sur les coussins du véhicule.

Maintenant, la troupe chevauchait dans la nuit, sans autre bruit que le pas amorti des chevaux. Dans la ville toute proche, l'agitation continuait. Toutes les lumières étaient allumées, de larges pots à feu flambaient sur le rempart et Grenade brillait dans l'ombre comme une énorme colonie de vers luisants. L'image, que Catherine contemplait, en entrebâillant les rideaux, avec une avidité où entrait un sentiment de triomphe, était admirable, mais les cris et le vacarme qui débordaient les hautes murailles la rendaient sinistre. Là-bas, on gémissait, on mourait, les fouets claquaient sur les échines courbées par la peur...

La voix de Mansour parvint à la jeune femme, grognant :

— Le Calife règle ses comptes ! Avançons plus vite ! Si je suis reconnu, il nous faudra combattre et nous ne sommes qu'une vingtaine ! — Vous nous oubliez, seigneur ! coupa sèchement Gauthier qui chevauchait tout contre la litière, si près que Catherine pouvait le toucher en tendant le bras. Mon compagnon, Josse, sait se battre.

Quant à moi, j'ai la prétention d'en valoir dix.

Les yeux sombres de Mansour détaillèrent le géant, Catherine devina l'ombre d'un sourire au ton de sa voix quand il répondit tranquillement :

— Alors, disons que nous sommes trente et un et qu'Allah nous garde !

Il alla reprendre la tête de la petite colonne qui s'enfonça bientôt dans la campagne obscure. Les feux de Grenade reculèrent peu à peu.

Le chemin, mal tracé pour qui ne le connaissait pas, se fit raidillon et d'un seul coup la ville disparut derrière un puissant épaule- ment rocheux.

— La route sera rude, commenta Josse de l'autre côté de la litière.

Nous devrons franchir de hautes montagnes. Mais, d'autre part, il est plus facile de s'y défendre.

Un commandement brutal claqua dans la nuit et la troupe s'arrêta.

Aussitôt inquiète, Catherine écarta le rideau après un coup d'œil plein d'appréhension du côté d'Arnaud. Mais il dormait toujours, insensible, bienheureusement, aux événements extérieurs. L'épaulement rocheux s'était effacé. Grenade était redevenue visible. Visible aussi le palais d'Amina où les lampes brûlaient aux créneaux des blanches murailles.

La voix de Mansour parvint à Catherine, chargée d'une involontaire inquiétude.

— Il était temps ! Regardez !

Une troupe de cavaliers aux manteaux blancs, portant des torches qui, au vent de la course, semaient la nuit d'étincelles, franchissaient au grand galop le pont romain et, dans un nuage de poussière, freinaient devant le portail de l'Alcazar Genil. En tête, l'étendard vert du Calife brillait au poing d'un alferez. Toute la troupe s'engouffra dans les lourdes portes ouvertes... Catherine eut un frisson. Il était temps, en effet ; quelques minutes de plus au palais et tout recommençait : le cauchemar, la peur et, pour finir, la mort !

De nouveau, la voix de Mansour :

— Nous sommes trop loin pour être vus ! Béni soit Mahomet car nous eussions été un contre cinq !

Catherine passa la tête à travers le rideau, chercha la haute silhouette du chef.

— Et Amina ? demanda-t-elle. Ne risque-t-elle rien ?

— Que pourrait-elle craindre ? On ne trouvera rien chez elle. Les vêtements de mes hommes sont déjà enterrés dans le jardin et il n'est pas un de ses serviteurs ou de ses femmes qui ne préférât se couper la langue plutôt que la trahir. Et même si Muhammad la soupçonne de m'avoir aidé, il est à cent lieues d'imaginer qu'elle ait pu vous secourir et ne tentera rien contre elle. Le peuple l'adore et je crois qu'il l'aime toujours. Pourtant, conclut-il dans une brusque explosion de rage, il faudra bien qu'il me la rende un jour ! Car je reviendrai ! Je reviendrai plus puissant que jamais et, ce jour- là, je le tuerai ! Par Allah, mon retour verra son dernier moment !...