Ses mamelles montent et descendent tandis que palpite fortement sa veine jugulaire.
— Que vous arrive-t-il, douce Francine ?
— C’est le petit ! halète la palefrenière de poils pubiens.
— Quel petit, ma douce ?
— Toinet.
Mon sang nœud fait qu’un tour.
— Quoi, Toinet ?
— Il vient de téléphoner de Genève. Il paraissait surexcité. Il m’a fait comme ça : « Dites à papa qu’il va être content de moi. Je viens de gagner le canard. »
« Et à cet instant, il y a eu une sorte de branle-bas dans sa cabine, des chocs. Je l’ai entendu qui s’écriait : “Mais qu’est-ce que vous me voulez ?” Puis la communication a été interrompue. »
Un linge brûlant m’enveloppe la tronche et mon guignolet se met à chamader.
— Il y a combien de temps de ça ? demandé-je.
— A l’instant.
Putain ! Je voudrais, d’une enjambée, me trouver à Genève. Qu’est-il arrivé à mon vaillant petit troupier ? Ce dégourdoche fureteur a dû mettre le nez dans une méchante fourmilière et il s’est fait poirer !
Je saute sur le téléphone et réclame, en priorité, la mise à ma dispose d’un jet privé. On n’en peut obtenir que dans des cas d’exception, mais moi, codirluche de cette taule, je décide que c’en est un. En deux coups les gros, on m’informe que dans quarante-cinq minutes un zinc sera à ma disposition à Orly et que les autorités compétentes vont se mettre en contact avec la Suisse.
— Je viens avec toi ? demande Jérémie.
— Non, tu poursuis l’enquête : rubrique des navigants en cheville avec Marmelard, ainsi que nous venions d’en convenir. Du doigté, hein ? Je compte sur toi.
— Moive, j’t’ suis ! décide Béru.
Il tend la main à son hoir :
— Amène-toive, mon bijou, j’vas t’faire voir du pays !
— Tu te fous de moi ! pesté-je. Aller enquêter à Genève avec ton affreux moutard !
— Mercille du compliment ! balbutie tout à coup Alexandre-Benoît, terrassé.
Et il pleure de vraies larmes issues d’une vraie peine.
— Oh ! merde, ne me joue pas la grande scène de la répudiation, soupiré-je. Amenez-vous, les ogres ; après tout, vous me changerez les idées !
Nous enjambons (de Bayonne) le Vieux pour gagner plus vite la sortie.
Bérurier soupire en lui lançant un regard miséricordieux :
— Franch’ment, j’croive qu’il a eu été, l’Achille !
Naturellement, Apollon-Jules ne va pas rater une aussi belle occasion de gerber dans le petit Jet flambant neuf ! C’est leur malédiction, chez les Bérurier, la dégueulasserie intégrale : scatologiques, hirsutes, dégueulatoires, mal embouchés.
Je n’ignore pas que certains de mes lecteurs (ceux qui sont un peu cons, donc une infime minorité), tordent le nez quand je raconte trop réalistement leurs excès et pauvretés, aux Bérurier. Mais pourquoi ne pas relater ce qui est, du moment que cela est ? Filtrer les faits et les dits, c’est les émasculer, les dénaturer. Tartes aux fraises pimpantes ou flaques de dégueulis appartiennent à l’existence. Elles sont de nous !
Le valeureux papa s’emploie à réparer les dégâts sous les maugréments du pilote. Ce n’est pas une sinécure d’avoir un mouflet pareil à garder ! L’institutrice du poussah en sait quelque chose, le môme rampant sous ses jupes quand elle a le dos tourné ou se tapant déjà un rassis devant ses condisciples pendant le calcul. Il reste proche de la bête, Apollon-Jules.
En cours de vol, et nonobstant les débordements (c’est le mot juste) de Bérurier bis, j’ai mis au point un plan d’action immédiate.
En débarquant, j’ai la satisfaction d’être attendu, au bas de la passerelle, par deux inspecteurs de la Sûreté genevoise : le blond Strückbach et le brun Fidélio, garçons d’une trentaine d’années qui demeurent perplexes en me voyant en compagnie d’un gros type violacé et de son fils couvert de traînées malencontreuses.
Leur bagnole est sur la piste, nous y prenons place. Je leur résume à gros traits ce qui m’amène : une femme impliquée dans un assassinat à Paris et qui se déplace dans une Audi décapotable bleu pétrole immatriculée à Genève. Mon jeune stagiaire de fils que j’envoie ici se renseigner. Son coup de téléphone triomphant, voici deux heures environ, et qui tourne court.
Les deux jeunes inspecteurs semblent intéressés. Ils conciliabulent ; au bout de quoi, Fidélio qui ne pilote pas décroche le téléphone et se met à converser avec différents services, en termes brefs et à voix basse. Si basse que j’entrave que pouic à ce qu’il bonnit.
Après un moment de discussion hachée menu, il raccroche.
— On a, en effet, reçu la visite de votre fils au Service des automobiles, à Carouge et il a obtenu ce qu’il désirait, c’est-à-dire les noms de trois propriétaires d’Audi décapotables bleues pour le canton de Genève. On lui a également donné des renseignements concernant les cantons francophones Vaud, Valais, Fribourg, Neuchâtel, Jura ; mais si on s’en réfère à l’appel téléphonique qu’il vous a lancé, il n’a pas eu besoin de chercher plus avant.
— Je peux avoir les identités des propriétaires d’Audi en question ?
— Naturellement. On va vous remettre tout ça à l’hôtel de police. Vous pensez déposer plainte à propos de votre fils ?
— Non. Pour l’instant, je n’ai que de l’inquiétude et pas de preuve qu’il lui soit arrivé quelque chose. Je préfère m’occuper de cette histoire personnellement et avec la plus grande discrétion. Si quelque chose cafouillait, évidemment, je vous alerterais.
— J’veux manger ! déclare Apollon-Jules. Tout de suite, autrement je te mords !
— T’as jamais essayé de lui mettre une tarte dans le museau ? demandé-je à Sa Majesté. Je trouve intolérable qu’un chiare parle de cette façon à son père !
— De quoi qu’y s’mêle, le grand con ? fustige Apollon-Jules. N’heureus’ment que j’sus pas son fils !
— Moive, j’sus pas partisan de frapper, déclare le champion toutes catégories du passage à tabac, l’homme qui a effeuillé davantage de mâchoires qu’un amoureux de marguerites. Surtout les enfants, continue Bérurier-le-Gros. Tu risques d’leur fout’ des complesques.
— Je veux manger ! réitère fortement l’Infernal.
— On va dire au chauffeur d’nous stopper d’vant une charcutrerie, décide le faible père.
Là, j’explose :
— Crois-tu que je t’ai amené à Genève pour te regarder remplir ce goret de boustifaille, Sac-à-merde ? Toinet a probablement été kidnappé, et au lieu de foncer sur les pistes qui se proposent, on doit gaver ce demeuré ! Ah ! non ! Meeeeerde ! Chauffeur, arrêtez-vous. Tiens, Gros, voilà mille balles suisses, alimente le bambin et rentrez chez vous !
— Fâche-toi pas…, balbutie le Mastard. T’es là à pendre la mouche du coche, si tu serais père, tu comprendrerais.
Le môme s’est déjà dévoituré et fonce en direction d’une boulangerie sise à quelques encablures.
— Casse-toi ou je t’explose ! fais-je au Mammouth.
Vaincu, il descend du taxi afin de rejoindre sa production séminale prolongée.
— Continuons ! fais-je au conducteur, un vieux Spanish aux rides grises, coiffé d’une gâpette à pompons.
— Moussiou, me déclare cet homme de bien, il n’est plu de jounesse !
— Tout coït perpétré sans préservatif devrait entraîner la peine capitale pour son auteur, ajouté-je avec conviction.
Premier arrêt de mon chemin de croix : la demeure de M. et Mme Bergovici, à Corsier, une sorte de grand chalet en bordure de lac, muni d’un ponton et d’un hangar à barlus. Un parc entoure la propriété.