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J’extrais mon carnet d’adresses et lui donne le biniouphone du Prince Igor.

— Tu pourras me joindre à ce turlu une bonne partie de la soirée, beau blond.

— D’accord.

La Claudette paraît pensive et triste.

— Dites, chuchote-t-elle, vous ne pensez pas que mon père a trempé dans une mauvaise affaire ? C’était un homme totalement intègre, vous savez ! Il me prêchait sans cesse l’honnêteté, le droit chemin, la vertu. Il n’était pas riche, n’avait que sa paie d’employé d’Air France pour nous faire vivre.

Je lui prends la main et la porte à mes lèvres, toute douce et palpitante.

— Je ne pense que du bien de votre papa, petite chérie. Les facteurs qui délivrent le courrier ne sont pas responsables du contenu des lettres. A vue de nez, on se sera servi de lui pour coltiner des messages un peu glauques. Il ne vous a jamais fourni de précisions sur son fameux ami fabricant de cartes ?

— Je vous jure que non.

En tout cas, à présent, je sais à quelle porte aller frapper : celle de Christine Marmelard qui m’a bien eu avec ses airs de pauvre épouse délaissée. Mais je n’irai la voir qu’une fois que je saurai à quoi m’en tenir à propos des fameux messages codés.

De sa main, Claudette, je passe à ses lèvres.

Pour un baiser très rapide et chaste, d’une grande douceur. Néanmoins, elle en frissonne de partout.

Et ça j’aime, tu vois ?

LA NUIT VA FINIR

Je lui affirme avec tant d’énergie qu’on ne peut manger du caviar sans boire de la vodka qu’elle finit par « céder à mes instances », comme disent les éboueurs.

Elle s’étrangle, tousse en grimaçant, se comprime la poitrine.

— Oh ! non : c’est bien trop fort ! proteste-t-elle.

Devant ce constat d’échec, je lui commande une demi-champagne, ce breuvage étant le seul produit de remplacement en pareil cas. Mes amis des coteaux champenois vont me traiter de puant en me voyant qualifier leur divin breuvage de « produit de remplacement », je plaide non coupable, affirmant que les huileux œufs d’esturgeons ont besoin d’être digérés à l’aide d’un alcool fort. J’en parlais l’autre jour avec le livreur maghrébin de notre épicier et il était en plein accord avec moi.

Pour commencer, on cause de ses études, Claudette. Plutôt brillante, la petite grand-mère. Elle espérait aller haut, aller loin, mais la mort brutale du père remet tout en question et ce n’est pas avec ce que versera l’assurance qu’elle pourra fréquenter l’E.N.A. Moi, d’entendre ça après m’être ingurgité un carafon de Moscovskaïa, ça me met la pitié en torche. Tu sais quoi ? Je m’entends dire à ce moustique brusquement débarqué dans ma vie que je l’aiderai ! Pourtant je ne suis pas beurré, tant s’en faut (temps-sang-faux).

Elle interloque, la doucette. Me regarde ébaubie (et Bobby ?).

— Mais, objecte-t-elle, on ne se connaît pas…

Je lui répondrais bien qu’on va remédier à cette carence, mais j’aurais peur de la choquer.

— Il existe des élans, fais-je. J’en ai parfois et je considère comme un devoir sacré d’y répondre. Nous sommes sur terre pour nous entraider, pompiéré-je, hors antenne. Vous êtes, je l’ai compris au premier regard, une fille bien ; seule dans la vie désormais. Toinet, le garçon qui vous a conduite à moi s’est trouvé orphelin un vilain jour, ayant perdu père et mère dans la même journée. Je l’ai recueilli, ma mère l’a élevé et à présent c’est un type qui me fait honneur. Ce que j’ai fait pour lui, je peux le refaire partiellement pour vous.

Je jacte. La tchatche, la tchatche, la bon Dieu de tchatche, toujours ! Et in petto de me traiter d’hypocrite de merde. De me dire que je joue le grand seigneur parce que cette gamine, ce beau fruit vert, m’agace les chailles et que j’en ai une cornac qui me remue dans l’Eminence, bougre de dégueulasse ! Salaud ! Fourgueur de bite !

Tant qu’à la fin, je cesse de parler. On a fini le beluga et on passe au chachlik caucasien. Claudette a bu une coupe de mouette échaudée. Ça suffit pour faire briller ses jolis yeux. Je la ressers, mais elle dit « non » en empoignant le goulot de la boutanche pour m’obliger de le relever, chose d’une grande impolitesse, mais comment le saurait-elle ? Courageusement je le lui dis, en lui expliquant qu’elle ne peut passer outre les convenances élémentaires. Lorsqu’elle sera ambassadeur au Guatemala (grattez-moi-la), elle ira se saisir du goulot quand le maître d’hôtel la servira ! Elle a les larmes z’aux z’yeux de honte, mais comprend et me remercie.

Moment de gêne. Inévitable. Pour le dissiper, je lui caresse la joue du dos de la main. Main velue de mâle qui, là encore, provoque le frisson. Si tu veux essayer, madame, passe-moi un coup de bigorno, on prendra rendez-vous (je fais des livraisons à domicile).

Pour donner audit frisson toute son ampleur, je lui vote un délicat baiser XVIIIe dans les cheveux fous qui moussent sur ses tempes. Là, mon turbo se déclenche et la tête de mon nœud se fait une bosse en heurtant violemment le dessous de la table, Où ça va, ça ? Tu ne le pressens pas, Eloi ?

Une main s’appuie sur mon épaule, là où mon tailleur n’a pas besoin de rembourrer, tant tellement qu’il y a du muscle.

Je volte : Mathias et sa « nièce ». Ma première question est naïve :

— Comment savâtes-tu que j’étais ici ?

— Tu m’as donné le téléphone !

Malin, pour un flic !

— Asseyez-vous. Vous avez dîné ?

— Pas eu le temps.

— Vous prendrez bien une louche de caviar en passant ?

C’est pas de refus. Une omelette, ils auraient probablement décliné, mais là, ce ne sont pas les mêmes œufs que je leur propose.

Les gentils tsars du Prince Igor se grouillent d’assurer le couvert des arrivants. La nièce est tellement moche que ça fait du bien de contempler Claudette. Je te l’ai déjà narrée dans des précédenteries, l’assistante du tricératops. Vilaine, mais érudite ; fanatisée par son tonton ; comme lui surdouée en matière de chimie. Donne illico la nature d’une tache, qu’elle soit de foutre ou d’origine nasale. Elle ira loin si la femme du Rouquin ne la trucide pas après avoir découvert leur liaison coupable.

— Tu sais que je n’ai pas eu à visiter le professeur Tanner, glousse le crustacé court-bouillonné : cette exquise a découvert le code en moins de trois minutes !

— Ne me dis pas !

Il souffle à sa mocheté :

— Dis, toi, ma petite reine !

La petite reine (c’est vrai que si elle était moins grosse, elle ressemblerait à un vélo) dévoile, en tartinant son caviar :

— Tous les mots sont de deux syllabes, n’importe leur langue d’origine. Il convient de ne pas s’occuper de la première et de conserver la seconde. Je les ai donc transcrits sur un papier en les numérotant ; le mariage s’opère en assemblant les syllabes des mots pairs, puis des mots impairs. Vous voulez que je vous fasse une démonstration ?

— Plus tard, car j’ai compris, ma chérie.

— Bon. Une fois admise cette technique, ça a été ridiculement facile de constituer le message.

Elle ouvre la besace de facteur rural lui tenant lieu de sac à main et y prend une feuille de bloc sténo pliée en deux.

Je prends connaissance du texte décodé :

Vol 1608. Vendredi 19 De Gaulle. Code angelot. Jambe. Extrême prudence.

Aucune signature.

Je relis, re-relis, apprends le message par cœur (par chœur, Parker).

— Mande pardon, coassé-je, voulant me faire aussi gros qu’à Elbeuf. Le combien sommes-nous ?

— Mais… le dix-neuf ! répond coquinement Mathias.