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— Sa femme l’a fait tuer ! assure-t-elle en me regardant fixement.

— Etait-ce le meilleur moyen de recouvrer sa liberté ? Avec la photo en question, le divorce était dans sa poche !

— Un divorce implique le partage des biens ; supposez qu’elle ait tout voulu pour elle ?

— Vous êtes une drôle de femme, laissé-je tomber doucement (pas que ça se brise).

— Chacun lutte avec les armes qu’il peut. Ce que j’ai vécu était intolérable.

— Oui, je comprends, réponds-je avec sincérité, la situation était inconfortable.

Je retourne au salon, fais signe à Béru.

Il se pointe, pompette d’avoir vidé deux bouteilles de Château Palmer 1966 (3e cru classé de Margaux). Du Palmer à ce goret ! Connasse de Maria 4, j’aurais dû descendre moi-même à la cave.

— Monte dans la chambre d’ami avec Mme Ravachol et tiens-lui compagnie jusqu’à nouvel ordre ; je ne veux pas qu’elle ait de contact avec les « sucepets » en attente. Et tâche à être correct, surtout !

Le Gravos, indigné :

— Pour qui me prends-tu-t-il ! J’sus d’la race des gentlemans, bordel à cul de merde !

Exeunt les deux dans nos hauteurs clodoaldiennes.

Je demande maintenant à la fille Ravachol de me suivre.

Pas plus intimidée qu’à notre first entrevue, la nympho.

Comme la première fois, je lui brandis la photo compromettante qui la représente embroquée sur le chibre de Marmelard.

— Depuis que nous nous sommes vus, votre mère vous a parlé de cette image pieuse ?

— Pourquoi m’en aurait-elle parlé ? Elle la connaît ?

Je m’abstiens de répondre, vu que c’est ma pomme qui interroge, et non cette pécore au minou brûlant.

— Roger Marmelard ne vous l’avait pas montrée, les jours précédant son assassinat, ni fait allusion ?

— Absolument pas ! Avant que vous ne veniez à la maison, je ne soupçonnais même pas son existence.

— Question subsidiaire, à laquelle vous n’êtes pas obligée de répondre : qui a fait tuer Marmelard, selon vous ?

— A qui le crime profite-t-il ? répond-elle sans se départitionner de son calme, peu courant chez les ados.

En voilà une qui va nous accomplir une belle trajectoire si les gros cochons ne lui bouffent pas trop le cul !

— Merci, fais-je, vous pouvez retourner au salon.

— Où est ma mère ?

— Un de mes hommes est en train de l’interroger.

Elle me quitte.

M’man vient d’ouvrir des pots de pâté, de découper en tranches une rosette de Lyon que j’ai ramenée d’un récent voyage dans ce que l’on appelait jadis « la Cité de la soie ». On dirait que cette réception impromptue autant que nocturne l’amuse, ma Félicie d’amour. Du moment que c’est son grand qui l’organise, elle s’y consacre corps et âme. Elle amène des denrées alimentaires en grand nombre, because Apollon-Jules. Comme nettoyeur de tranchées, on ne peut trouver mieux. Il a le tout-à-l’égout branché sur le trouduc, ce môme ! C’est du phénomène de foire ! Un jour, il présentera un numéro de boulimie sur la scène des music-halls, je prends le pari. Son dabe est déjà battu, sa vioque itou. Il est le Mozart de la bâfrouze !

Je le biche par une portugaise.

— C’est ça, lutin : bouffe, bouffe à en éclater, mais si tu gerbes ailleurs que dans la cuvette des chiches, je te ferai avaler ton dégueulis !

Il me file une œillade de veau et grommelle :

— ’m’fait chier, c’con !

Et réempare dix tranches de sauciflard ; bien me montrer qu’il m’emmerde.

— Madame Marmelard, dis-je alors, vous voulez venir ?

Elle a toujours son regard mouillé de gazelle chaste. Quand elle bouge, son parfum suave devient intenable pour un dermique de ma trempe.

On va s’enfermer au petit salon. Tu sais que j’assure le loquet de laiton, machinalement, sans arrière-pensée, je le jure sur la tête de m’man !

— Asseyez-vous.

Avec elle, c’est pas la démonstration de cuisses. Elle s’assoit sobre, la reine Christine.

— Nous allons en avoir pour un bon moment, j’annonce.

Mimique exprimant l’acceptation, presque la résignation. Mme Bonacieux n’est que douceur. Un ange déguisé en jeune femme appétissante. Je me dis que si je lui faisais l’amour, je ne l’attaquerais pas par une tyrolienne à moustache, mais par des caresses délicates. Celles-ci démarreraient par le cou et s’achèveraient aux petits orteils des pinceaux, avec grande kermesse paroissiale autour du rosebud, dans l’intervalle.

Hélas, cette intimité doit déboucher sur autre chose. Nous sommes réunis pour faire jaillir la vérité, et non du foutre, comme le dit si souvent la reine Elisabeth two quand il est question de ses brus.

Faut monter en ligne, mon Sana.

Une fois de plus, la fatidique photo du couple Roger-Marie-Catherine.

— Etes-vous au courant de l’existence de cette photographie, jolie madame ?

Son visage à un haut-le-corps, comme écrivait Alexandre Dumas. Elle révulse des châsses.

— Mais quelle abomination, murmure la pauvrette. Qui est cette gamine ?

— Vous n’êtes pas physionomiste : elle se trouve présentement dans mon salon ; il est vrai que sur ce cliché on voit davantage ses fesses que son visage !

— C’est la fille de la Ravachol ?

— Exact.

Et sais-tu ce qu’elle ajoute ?

— Pauvre Roger ; il était tombé bien bas !

— Ah ! madame, soupiré-je, quand le démon de la chair s’empare de nous autres, malheureux hommes, nos facultés de résistance deviennent inexistantes !

« D’ailleurs, poursuis-je après avoir humecté mes lèvres, les femmes ont également leurs faiblesses, n’est-ce pas-t-il ? »

Elle continue d’examiner l’image scabreuse, avec les yeux qu’aurait une joueuse d’harmonium vierge à cinquante-sept ans devant la même photo.

— Je suis contraint de vous poser une question indiscrète, madame, mon enquête l’exige : avez-vous une liaison ?

Là, elle se lève de son siège de quatre centimètres.

— Pourquoi une telle calomnie, monsieur le directeur ?

— Ce serait tout à fait normal et excusable de la part d’une femme délaissée. J’ai ouï-dire que M. Azzola était votre amant ?

Elle se met à pleurer.

— Mais quelle honte ! Pourquoi les sentiments d’amitié les plus purs sont-ils bafoués par des ragots ?

— L’existence est ainsi faite, dis-je. On ajoute même que vous participeriez avec lui à un trafic douteux.

— Quoi ! (En réalité elle profère quou-ou-ha-ha-ha-a-a-aa.)

Je lui tends la carte à musique que m’a rendue le Soleil-d’Austerlitz (en l’eau-cul-rance Mathias).

— Cet objet vous dit quelque chose ?

— Il m’est arrivé d’en voir, et même d’en recevoir au moment de mon mariage, sinon…

— Suivez-moi, jolie dame.

On se respire l’escadrin et je la fais entrer dans ma chambre où la Maria polak dort sous la surveillance de Jeanine, Esther, Léopoldine, Hermance (mais t’inquiète pas : je suis sur la bonne voie).

— Vous connaissez cette personne, Christine ?

Et là, tu peux croire que je la sonde de Java à Sumatra.

Elle regarde. Il s’est formé deux plis à l’angle de ses paupières, rien de plus.

— Non ! répond-elle résolument.

— Vous pouvez réveiller cette femme ? demandé je à Roselyne, Barbara, Pulchérie, Cunégonde (faut pas désarmer).

La maîtresse-assistante-nièce se penche sur la droguée pour lui tapoter les joues.

— Madame, madame ! l’appelle-t-elle, réveillez-vous.

L’endormie cesse de l’être au prix d’un effort.