— Comment vous sentez-vous ? lui dis-je.
Elle évasive un peu, le temps de se recaler le cigare.
— Regardez qui vient d’arriver ! j’ajoute, joyeux.
Elle sourit à Christine.
— Bonjour, Christine, murmure-t-elle.
L’intéressée (si intéressante) marmorise. Souvent, les menteurs confondus se minéralisent, j’ai observé.
— Elle se trompe, assure Mme Bonacieux.
Pauvre Constance ! Comme c’est pitoyable !
— Nous allons revenir, dis-je en l’entraînant hors de la pièce. Où l’emmener ? La chambre de m’man ? Sacrilège ! C’est un endroit sacré où je ne pénètre que pour embrasser ma vieille lorsque je rentre tard ou qu’une grosse grippe la tient au lit. Il sent la lavande, la camomille, le buis séché, le linge propre, le papier jauni. On y trouve des reliques de papa, des souvenirs de moi nourrisson, des gadgets du bon Dieu aussi, tout ce qui constitue la sainteté d’une mère comme Féloche.
En désespoir de cause, j’ouvre la lourde de la piaule d’aminches.
Béru est en train de tirer la dame Ravachol. Elle doit disposer d’un moulin à huile de première car il se l’embourbe à la bourgeoise, sans que la chose présente la moindre difficulté malgré la dimension surnaturelle de son chibre.
— Gentleman, hein ? lui lancé-je, grinçant.
— Ell’ a des circonstances éternuantes, plaide le Monstre ; comment voudrais-tu-t-il qué passasse à côté d’un paf comm’ l’mien, une radasse pareille !
— Voilà du renfort ! grincé-je en faisant entrer Constance Bonacieux.
— Bienv’nue au clube ! lance le Joyeux. Quand c’est qu’en a pou’ une, y en a pou’ deux !
LA NUIT VA FINIR (suite attenante)
— Venez, monsieur Azzola. Vous êtes apparenté au célèbre accordéoniste ?
— Pas à ma connaissance.
— Ne vous appelle-t-on pas Zozo ?
— Des amis, parfois.
— Montons au premier.
Il gravit à ma suite les degrés de bois. Il a, cette nuit, une bouille de révolutionnaire sud-américain. Ça provient de sa moustache panchovilienne et de sa frime grêlée.
Je le fais pénétrer dans ma piaule. Il cabre en apercevant Maria-la-Polonaise. Une véritable surprise est infiniment difficile à surmonter. Peu d’êtres, même parmi les endurcis, parviennent à conserver leur impassibilité quand ils sont télescopés par l’inattendu.
— Bonjour, Zozo, fait la « convoyeuse d’explosifs ».
— Je vous demande pardon, madame, mais je ne vous connais pas, riposte Azzola qui vient de récupérer.
La femme, qui n’est plus shootée au sérum de vérité, comprend qu’elle déconne et qu’il y a danger, aussi fait-elle marche arrière en cata.
— Vous ressemblez à quelqu’un que je connais, dit-elle. Sur l’instant, je vous ai pris pour lui, mais il est évident que je me trompais.
— Y a pas de mal, répond Azzola.
Fumeux, comme ambiance. Je feins d’avaler ces couleuvres grosses comme des boas constructeurs (Béru dixit).
— Cette personne est unijambiste, fais-je à Azzola. Voici sa prothèse au pied du lit.
Il a un coup d’œil indifférent sur le désagréable objet, il attend la suite.
— Certains services pensent que Mme Samanski utilise sa fausse jambe pour passer en fraude des denrées interdites. Mais cette prothèse est aussi vide qu’une coquille d’escargot dont on a consommé le pensionnaire.
Je me saisis du membre artificiel et montre l’ouverture au transporteur.
— Une corne d’abondance pillée, mon cher… Zozo.
Alors qu’il ne s’attendait à rien de tel, je la lui fourre dans les bras.
— Voyez l’épaisseur du talon ! dis-je. Si ce machin-là recèle un élément douteux, ce ne peut être que dans le talon. Soyez gentil : tenez-moi la jambe, si j’ose dire.
Je vais prendre dans le tiroir du bas de ma commode une élégante trousse à outils qui me reste d’une des bagnoles grand prestige que j’ai eues. J’aime les beaux objets et je me résolvais plus facilement à abandonner la voiture que cette trousse hyper-chic. J’en sors une forte pince aux mâchoires de caïman. L’instrument est chromé, avec le sigle de l’auto gravé en bonne place.
— Tenez bon, surtout ! dis-je en approchant l’outil béant.
— Non ! crie Maria Samanski !
— Non ! fait en écho le grêlé.
Et il dépose précautionneusement la jambe sur le tapis.
— C’est le Vulgagrossium 18 qui vous fout les jetons, Zozo ? Vous avez peur d’être réduit en morve par cet explosif ?
Il est égaré, pour le coup. Se sent complètement perdu.
— Allons, mec, lui dis-je, ta gonzesse, la mère Christine m’a tout balancé, il ne me reste plus qu’à recouper sa déclaration avec la tienne. Simple travail de police. La routine, mon vieux ; on n’y échappe pas.
LA NUIT EST FINIE (enfin !)
Le jour se lève, il faut tenter de vivre, comme l’a écrit je ne sais plus qui, mais je n’ai pas de pube à lui faire en citant son nom. Est-ce que je rouspète, moi, quand je me vois pompé, détroussé de la prose comme au coin d’un bois dont on fait les pipes ? Que je retrouve mes idées dans les bouquins des autres (et encore j’en bouquine peu), affublées d’oripeaux déguiseurs, mais quand je les lis, il me crient « Papa » ! Seulement je m’en fous, m’en bafoue. Ma prose n’est que crottin tombé de moi, ramasse et fais-en de l’engrais pour tes pots de géranium ! Ecrire c’est donner !
Dans ma maison transformée en succursale de la P.J., tout le monde somnole, y compris Félicie. Béru pionce en travers du lit où il a tringlé Mado et Christine (Oh ! chère Mme Bonacieux que j’eusse aimée et qui se montre si décevante). Ses partenaires, brisées de fatigue amoureuse, gisent à ses côtés ; bras en croix, jambes ouvertes, inondées de satisfaction sexuelle, de sueur coïtale et de sperme à grosses mailles.
Maman dort dans son fauteuil voltaire en produisant un petit chuintement du nez.
L’inspecteur Homère Danflaque, blotti dans un fauteuil avec Maria sur ses genoux. Il a laissé, en s’endormant, sa dextre dans la toison de notre soubrette. Pinaud, allongé sur le canapé (bénéfice de l’âge), sa cigarette sur son gilet où elle a percé un trou avant de s’éteindre. Le fils Bérurier couché sous le même canapé, une flaque de dégueulis en guise d’oreiller. Mathias et Miss : Maud, Nadèje, Dominique, France ? (sur le nombre, il est fatalement sorti au tirage, ce putain de prénom !) dans le petit salon intime où j’ai procédé à mes interrogatoires. Ils sont allongés sur le tapis, avec des coussins sous la tête et le manteau de Mister Pivoine en guise de carouble. Ils chérubinent, tendrement enlacés dans cette attitude unique que génère un coït F.R.V. 100 (effervescent).
Ah ! qu’ils s’aiment, ces deux-là. Quel dommage que Xavier ait dix-huit enfants à nourrir, habiller, coloniser ! Comme son existence serait harmonieuse en compagnie de cette fille, savante des mêmes conneries que lui, enchantée de sa queue de fauvette, enivrée par sa gloire policière. Le facteur sonne toujours deux fois ! Si le Rouillé ne va pas ouvrir maintenant, il l’aura dans le fignedé pour toujours et devra continuer de supporter sa mégère et de lui faire un enfant annuel.
Quant à Azzola, j’ignore s’il en écrase, comme tout le monde, car je l’ai descendu dans notre ancienne cave à charbon (à présent on se chauffe au gaz) et l’ai menotté à un tuyau. Pour libérer ma conscience (dont la voix reste chuchoteuse), je dois t’avouer lui avoir mis quelques pains de deux livres dans la gueule, car il tentait de battre à Niort. Ça l’a magiquement décalcitré et il a fini par bouffer le morcif. Je ne vais pas tarder à t’informer, n’étant pas de ces policiers égoïstes qui gardent pour eux leurs découvertes et se refusent à toute déclaration même fiscale.