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Je l’examine : le désert du Ténéré ! Un fauteuil, une bibliothèque contenant des ouvrages achetés en souscription à des clubs du livre et qui ne furent jamais ouverts, des reproductions de toiles d’avant-garde. Du volume mobilisé pour rien. Au prix du mètre carré, c’est dommage.

Apparition de Béru :

— Maâme, est-ce qu’ j’pourrais-t-il vous d’mander une serpillière et un seau d’eau, rapport à mon enfant qu’ j’l’ai trop lanterné avant d’monter et qui, d’c’fait, a un peu r’peint les murs d’vos lavoirtories ?

— Vous trouverez le matériel dans la cuisine !

— Mercille infiniment. Si n’en out’ vous m’ permettassiez d’lu faire prend’ un petit bain, c’s’rait, j’croive, le mélieur moilien d’r’mett’ l’ compteur n’à zéro d’en c’ qui l’concerne. Les gamins, v’savez ce qu’y sont ? C’est dur dur d’êt’ papa quand c’est qu’la mère fait la java su’ les bords d’la Méditerreranée, à Venise. Bon, j’m’occupe de tout et j’vous rendrerai les lieux aussi clines qu’on les a trouvés en arrivant !

Il disparaît.

Cette fois, la veuve prend le fou rire.

— Vous me jurez que cet homme est réellement policier ? insiste-t-elle.

— Et un grand policier, je vous le répète, ajouté-je. Je suis heureux de vous voir sourire.

Tout autre, croyant à un rappel à l’ordre, se sentirait obligé de vite adopter une frime en coin de rue bombardée. Elle non. Son regard bleu profond étincelle.

— Quel est votre prénom ? je questionne.

— Christine. Pourquoi ?

— Pour ça, fais-je.

J’approche ma bouche de la sienne et lui vote un délicieux baiser, tout juste humide, chaleureux sans voracité.

— Ça ressemblerait à quoi d’embrasser une femme dont on ignore le prénom ? lui demandé-je.

Elle ne répond pas. Elle n’est ni en colère ni effarouchée. Ça a été un élan, un geste d’êtres vivants sensibles à la qualité d’un instant qui ne se reproduira sans doute plus jamais. Qui ne déclenche pas la classique succession des mots, des gestes menant au plaisir soudain débusqué.

Je ne la prie pas de m’excuser. Il n’y a pas de reproche dans son regard.

— Je vais être obligé d’attendre la fin des ablutions du petit monstre, dis-je. J’en profiterai pour noter des renseignements à propos de Roger Marmelard.

LE PETIT POUSSAH

— V’là c’te p’tite misère réparée, annonce fièrement Béru en revenant, son rejeton à la main.

Le môme est enveloppé dans une serviette de bain orange qui le fait ressembler à quelque moinillon bouddhiste.

Il pleurniche.

L’auteur (présumé) de ses jours ajoute :

— J’ai balancé la serpillière à la poubelle, p’tite maâme, vu qu’avait plus grand-chose à en espérer. D’aut’part, comme y a fallu qu’je lavasse ses fringues, j’v’s’emprunte c’te servetouze que je ramènerai d’main, c’qui m’vaudra la joie d’tailler un’ p’tite bavette av’c vous.

— Pourquoi pleure-t-il ? demande Christine.

— Il a faim, explique mon ami. C’t’un enfant que, dès qu’y s’vide, faut l’remplir, sinon ça l’tiraille à l’intérieur. Mon père était tout pareil. Quand on voiliait aller dans la p’tite cabane au fond du jardin, ma mère commençait à sortir la terrine et l’sauciflard du bahut.

Comme le mouflet se met à glapir, son géniteur tente de l’endiguer :

— Chiale pas, Bébé rose, on va aller ach’ter d’l’andouille d’Vire.

— J’ai faim ! répond l’abomination.

— Et on prendrera du pâté d’tronche, mon petit gars.

— J’veux tout de suie ! chougne ce succédané de Bérurier.

— Moui, mon gaillard, on y va !

— J’veuille qu’la dame é m’donne à manger ! catégorise le petit poussah !

— Tu vas pas bouffer son fricot à un’ pauv’ veuve. D’ailleurs, dans la cuisine, on a j’té un œil d’encurieus’ment au frigidaire : y reste just’ un reste d’gratin dauphinois.

— J’l’veux, nom de Dieu ! hurle Apollon-Jules en tapant du pied.

— Jure pas, Apo, c’est vilain. Chère maâme, ça vous ennuierait qu’ c’ bambin finisse vot’ gratin ?

— Pas le moins du monde. D’ailleurs, c’est celui de ma bonne dont c’est le jour de sortie. Pour ma part, je fuis les hydrates de carbone !

— Encore une que Montricard a ensuqué av’c son bouquin ! Béru-me-prend-il-à-témoin. V’là un p’tit marle qu’a trouvé l’ bon filon.

— Viens, bon Dieu ! gueule Béru fils, la vieille a dit qu’j’pouvais manger l’gratin !

Intéressés par cette nouvelle péripétie, nous escortons les goinfres jusqu’à la cuisine. Le môme s’est jeté sur le réfrigérateur, a chopé le plat et se met à manger avec la main.

— Ferme au moins la lourde du frigo, tu vas t’enrhumer, p’tit mec.

Le boulimique amorce un pas arrière et clôt le réfrigérateur d’un coup de pied.

— Tu veuilles pas qu’j’t’ l’réchauffe ? s’inquiète le papa gâteau.

— Fais pas chier, bon Dieu !

Il en a plein la gueule jusqu’aux sourcils, le bâfreur !

Le Gros tente de saisir un peu de nourriture, pour son propre compte, mais son fils lui mord le doigt.

— Charogne ! crie le malheureux père, mais t’es donc un vrai loup !

— Pas chier, d’Dieu ! halète le fauve.

— Y a une chose qui faut qu’on cause, Apo : tu vas arrêter d’jurer à tout bout de champ. Chez un enfant, ça fait désord’. Et puis, nous, les Bérurier, sans êt’ r’ligieux, on a la foi. On sait qu’l’bon Dieu, même si on Le verrerait jamais, faut faire comme s’Il eguesisterait. Si tu Lu donnes pas sa chance, comment veux-tu qu’y t’ donnerait la tienne, hein ? L’est p’t’êt’ Dieu, mais pas con, Dieu ! C’s’raye trop beau d’l’ chambrer pendant la vie pour qu’ensute y t’assoyât à sa droite, merde ! Tu s’rais là, à Lu faire des crasses, à s’fout’ d’ Son alvéole, à Lu traîner l’saintnom dans la merdouille, comme c’est gentil d’êt’ mort ! « V’nez vite, jus’ment, on a un gratin d’langouste au four ; Bouddha prépare l’riz qui va z’avec et Mahomed Vous servira un bon café ! » Mets-toi dans la caboche qu’t’as fini d’ blasphémer, doré d’ l’avant. Traite-moi d’con si tu voudras, Apo, mais pas l’Seigneur, bordel de Dieu ! Pas l’ Seigneur ! Sinon j’t’emplâtre !

Apollon-Jules répond par un long rot langoureux mais soumis.

* * *

Alors que je raccompagne ces MM. Bérurier à leur domicile, Sa Majesté, délaissant son œuvre pédagogique, redevient flic :

— Faut qu’j’vais t’ montrer un truc marrant, grand.

— Oui ?

— T’t’à l’heure, dans la salle d’bains, j’cherchais un séchoir pour sécher l’cul d’Apo. En ouvrant un tiroir, j’ai tiré trop fort et il est tombé. En ramassant c’dont il cont’nait, j’ai trouvé ça sous l’papier qu’en garnissait l’ fond.

Il me présente une photo. Je la connais déjà. C’est celle que m’apporta Roger Marmelard, le jour de sa visite, et qui le montre en train de calcer sa « pseudo belle-fille » mineure.

Apollon-Jules me l’arrache des doigts.

— P’pa, fait-il en la contemplant : le type d’ la photo, y la baise, la môme, ou y l’encule ?

— Tiens, je m’l’étais pas demandé, dit le père ; tu m’poses une colle, fiston. Quand y a baisance en l’vrette, c’est duraille d’s’ faire une opinion. Dans c’cas-là, franch’ment, j’croive pas qu’y l’encule, elle aurait l’air moins réjoui.

La découverte du Mammouth me perplexite.

Pourquoi Marmelard a-t-il placé cette image hautement compromettante pour lui dans sa salle de bains ? A moins que « Mme Bonacieux » ne l’eût reçue et conservée ? J’irai lui poser la question, prochainement.