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– Tout à l'heure, dit Marcel; nous attendons l'arrivée du critique influent pour allumer le punch.

À huit heures, tous les invités étaient au complet, et l'on commença à exécuter le programme. Chaque divertissement était alterné d'une tournée de quelque chose; on a jamais su quoi.

Vers les dix heures on vit apparaître le gilet blanc du critique influent; il ne resta qu'une heure et fut très-sobre dans sa consommation.

Sur le minuit, comme il n'y avait plus de bois et qu'il faisait très-froid, les invités qui étaient assis tiraient au sort à qui jetterait sa chaise au feu.

À une heure tout le monde était debout.

Une aimable gaieté ne cessa point de régner parmi les invités. On n'eut aucun accident à regretter, sinon un accroc fait à la poche aux langues étrangères de l'habit de Colline, et un soufflet que Schaunard appliqua à la fille du chancelier de Cromwell.

Cette mémorable soirée fut pendant huit jours l'objet de la chronique du quartier; et Phémie, Teinturière, qui avait été reine de la fête, avait l'habitude de dire en en parlant à ses amies:

– C'était fièrement beau; il y avait de la bougie, ma chère.

VI MADEMOISELLE MUSETTE

Mademoiselle Musette était une jolie fille de vingt ans, qui, peu de temps après son arrivée à Paris, était devenue ce que deviennent les jolies filles quand elles ont la taille fine, beaucoup de coquetterie, un peu d'ambition et guère d'orthographe. Après avoir fait longtemps la joie des soupers du quartier latin, où elle chantait d'une voix toujours très-fraîche, sinon très-juste, une foule de rondes campagnardes qui lui valurent le nom sous lequel l'ont depuis célébrée les plus fins lapidaires de la rime, Mademoiselle Musette quitta brusquement la rue de la harpe pour aller habiter les hauteurs cythéréennes du quartier Bréda.

Elle ne tarda pas à devenir une des lionnes de l'aristocratie du plaisir, et s'achemina peu à peu vers cette célébrité qui consiste à être citée dans les courriers de Paris, ou lithographiée chez les marchands d'estampes.

Cependant Mademoiselle Musette était une exception parmi les femmes au milieu desquelles elle vivait. Nature instinctivement élégante et poétique, comme toutes les femmes vraiment femmes, elle aimait le luxe et toutes les jouissances qu'il procure; sa coquetterie avait d'ardentes convoitises pour tout ce qui était beau et distingué; fille du peuple, elle n'eut été aucunement dépaysée au milieu des somptuosités les plus royales. Mais Mademoiselle Musette, qui était jeune et belle, n'aurait jamais voulu consentir à être la maîtresse d'un homme qui ne fût pas comme elle jeune et beau. On lui avait vu une fois refuser bravement les offres magnifiques d'un vieillard si riche, qu'on l'appelait le Pérou de la Chaussée-D 'Antin, et qui avait mis un escalier d'or aux pieds des fantaisies de Musette. Intelligente et spirituelle, elle avait aussi en répugnance les sots et les niais, quels que fussent leur âge, leur titre et leur nom.

C'était donc une brave et belle fille que Musette, qui, en amour, adoptait la moitié du célèbre aphorisme de Champfort: «L'amour est l'échange de deux fantaisies.» Aussi, jamais ses liaisons n'avaient été précédées d'un de ces honteux marchés qui déshonorent la galanterie moderne. Comme elle le disait elle-même, Musette jouait franc jeu, et exigeait qu'on lui rendît la monnaie de sa sincérité.

Mais si ses fantaisies étaient vives et spontanées, elles n'étaient jamais assez durables pour arriver à la hauteur d'une passion. Et la mobilité excessive de ses caprices, le peu de soin qu'elle apportait à regarder la bourse et les bottes de ceux qui lui en voulaient conter, apportaient une grande mobilité dans son existence, qui était une perpétuelle alternative de coupés bleus et d'omnibus, d'entre-sol et de cinquième étage, de robes de soie et de robes d'indienne. Ô fille charmante! Poëme vivant de jeunesse, au rire sonore et au chant joyeux! Cœur pitoyable, battant pour tout le monde sous la guimpe entre-bâillée, ô Mademoiselle Musette! Vous qui êtes la sœur de Bernerette et de Mimi Pinson! Il faudrait la plume d'Alfred De Musset pour raconter dignement votre insouciante et vagabonde course dans les sentiers fleuris de la jeunesse; et certainement il aurait voulu vous célébrer aussi, si, comme moi, il vous avait entendu chanter de votre jolie voix fausse ce rustique couplet d'une de vos rondes favorites:

C'était un beau jour de printemps Que je me déclarai l'amant, L'amant d'une brunette Au cœur de Cupidon, Portant fine cornette, Posée en papillon.

L'histoire que nous allons raconter est un des épisodes les plus charmants de la vie de cette charmante aventurière, qui a jeté tant de bonnets par-dessus tant de moulins.

À une époque où elle était la maîtresse d'un jeune conseiller d'état qui lui avait galamment mis entre les mains la clef de son patrimoine, Mademoiselle Musette avait l'habitude de donner une fois par semaine des soirées dans son joli salon de la rue de La Bruyère. Ces soirées ressemblaient à la plupart des soirées parisiennes, avec cette différence qu'on s'y amusait; quand il n'y avait pas assez de place, on s'asseyait les uns sur les autres, et il arrivait souvent aussi que le même verre servait pour un couple. Rodolphe, qui était l'ami de Musette, et qui ne fut jamais que son ami (ils n'ont jamais su pourquoi ni l'un ni l'autre), Rodolphe demanda à Musette la permission de lui amener son ami, le peintre Marcel; un garçon de talent, ajouta-t-il, à qui l'avenir est en train de broder un habit d'académicien.

– Amenez! dit Musette.

Le soir où ils devaient aller ensemble chez Musette, Rodolphe monta chez Marcel pour le prendre. L'artiste faisait sa toilette.

– Comment, dit Rodolphe, tu vas dans le monde avec une chemise de couleur?

– Est-ce que ça blesse l'usage? dit tranquillement Marcel.

– Si ça le blesse? Mais jusqu'au sang, malheureux.

– Diable, fit Marcel en regardant sa chemise qui était à fond bleu, avec vignettes représentant des sangliers poursuivis par une meute, c'est que je n'en ai pas d'autre ici… ah bah! Tant pis! Je prendrai un faux col; et, comme Mathusalem boutonne jusqu'au cou, on ne verra pas la couleur de mon linge.

– Comment, dit Rodolphe avec inquiétude, tu vas encore mettre Mathusalem?

– Hélas! répondit Marcel, il le faut bien; Dieu le veut, et mon tailleur aussi; d'ailleurs, il a une garniture de boutons neuve, et je l'ai reprisé tantôt avec du noir de pêche.

Mathusalem était simplement l'habit de Marcel; il le nommait ainsi parce que c'était le doyen de sa garde-robe. Mathusalem était fait à la dernière mode d'il y a quatre ans, et était en outre d'un vert atroce; mais, aux lumières, Marcel affirmait qu'il jouait le noir.

Au bout de cinq minutes, Marcel était habillé; il était mis avec le mauvais goût le plus parfait: tenue de rapin allant dans le monde.

M. Casimir Bonjour ne sera jamais si étonné le jour où on lui apprendra son élection à l'institut, que ne furent étonnés Marcel et Rodolphe en arrivant à la maison de Mademoiselle Musette. Voici la cause de leur étonnement: Mademoiselle Musette, qui depuis quelque temps s'était brouillée avec son amant le conseiller d'état, avait été délaissée par lui dans un moment fort grave. Poursuivie par ses créanciers et par son propriétaire, ses meubles avaient été saisis et descendus dans la cour de la maison pour être enlevés et vendus le lendemain. Malgré cet incident, Mademoiselle Musette n'eut pas un moment l'idée de fausser compagnie à ses invités, et ne décommanda point la soirée. Elle fit gravement disposer la cour en salon, mit un tapis sur le pavé, prépara tout comme à l'ordinaire, s'habilla pour recevoir, et invita tous les locataires à sa petite fête, à la splendeur de laquelle le bon Dieu voulut bien contribuer pour les illuminations.

Cette bouffonnerie eut un succès énorme; jamais les soirées de Musette n'avaient eu tant d'entrain et de gaieté; on dansait et on chantait encore, que les commissionnaires vinrent enlever meubles, tapis et divans, et force fut alors à la compagnie de se retirer.

Musette reconduisait tout son monde en chantant:

On en parlera longtemps, la ri ra,

De ma soirée de jeudi;

On en parlera longtemps, la ri ri.

Marcel et Rodolphe restèrent seuls avec Musette, qui était remontée dans son appartement, où il ne restait plus que le lit.

– Ah çà! Mais, dit Musette, ce n'est pas déjà si gai mon aventure; il va falloir que j'aille loger à l'hôtel de la belle étoile. Je le connais, cet hôtel; il y a furieusement des courants d'air.