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– Pour tuer Tybald? dit Colline.

– Absolument, continua Rodolphe. Enfin, cette échelle que tu vois doit me servir pour entrer chez ma maîtresse, qui se trouve précisément posséder un balcon.

– Mais l'oiseau, l'oiseau? dit l'obstiné Colline.

– Eh! parbleu, cet oiseau, qui est un pigeon, doit jouer le rôle du rossignol, et indiquer, chaque matin, le moment précis où, prêt à quitter ses bras adorés, ma maîtresse m'embrassera par le cou et me dira de sa voix douce, absolument comme dans la scène du balcon: Non, ce n'est pas le jour, ce n'est pas l'alouette… c'est-à-dire non, il n'est pas encore onze heures, il y a de la boue dans la rue, ne t'en va pas, nous sommes si bien ici. Afin de compléter l'imitation, je tâcherai de me procurer une nourrice, pour la mettre aux ordres de ma bien-aimée; et j'espère que l'almanach sera assez bon pour m'octroyer de temps en temps un petit clair de lune, alors que j'escaladerai le balcon de ma Juliette. Que dis-tu de mon projet, philosophe?

– C'est joli comme tout, fit Colline; mais pourrais-tu m'expliquer aussi le mystère de cette superbe enveloppe qui te rend méconnaissable… Tu es donc devenu riche?

Rodolphe ne répondit pas, mais il fit signe à un garçon de café et lui jeta négligemment un louis en disant:

– Payez-vous!

Puis il frappa sur son gousset, qui se mit à chanter.

– Tu as donc un clocher dans tes poches, que ça sonne tant que ça?

– Quelques louis seulement.

– Des louis en or? dit Colline d'une voix étranglée par l'étonnement; montre un peu comment c'est fait. Sur quoi les deux amis se séparent, Colline pour aller raconter les mœurs opulentes et les nouvelles amours de Rodolphe; celui-ci pour rentrer chez lui.

Ceci se passait dans la semaine qui avait suivi la seconde rupture des amours de Rodolphe avec Mademoiselle Mimi. Accompagné de son ami Marcel, le poëte, quand il eut rompu avec sa maîtresse, éprouva le besoin de changer d'air et de milieu, et quitta le noir hôtel garni, dont le propriétaire le vit partir sans trop de regrets ainsi que Marcel. Tous deux, comme nous l'avons déjà dit, allèrent chercher gîte ailleurs, et arrêtèrent deux chambres dans la même maison et sur le même carré. La chambre choisie par Rodolphe était incomparablement plus confortable qu'aucune de celles qu'il eût habitées jusque-là. On y remarquait des meubles presque sérieux; surtout un canapé en étoffe rouge devant imiter le velours, laquelle étoffe n'observait aucunement le proverbe: «Fais ce que dois.»

Il y avait aussi, sur la cheminée, deux vases en porcelaine avec des fleurs, au milieu une pendule en albâtre avec des agréments affreux. Rodolphe mit les vases dans une armoire; et comme le propriétaire était venu pour monter la pendule arrêtée, le poëte le pria de n'en rien faire.

– Je consens à laisser la pendule sur la cheminée, dit-il, mais seulement comme objet d'art; elle marque minuit, c'est une belle heure, qu'elle s'y tienne! Le jour où elle marquera minuit cinq minutes, je déménage… Une pendule! disait Rodolphe, qui n'avait jamais pu se soumettre à l'impérieuse tyrannie du cadran, mais c'est un ennemi intime qui vous compte implacablement votre existence heure par heure, minute par minute, et vous dit à chaque instant: voici une partie de ta vie qui s'en va. Ah! Je ne pourrais pas dormir tranquille dans une chambre où se trouverait un de ces instruments de torture, dans le voisinage desquels la nonchalance et la rêverie sont impossibles… Une pendule dont les aiguilles s'allongent jusqu'à votre lit et viennent vous piquer le matin quand vous êtes encore plongé dans les molles douceurs du premier réveil… Une pendule dont la voix vous crie: ding, ding, ding! C'est l'heure des affaires, quitte ton rêve charmant, échappe aux caresses de tes visions (et quelquefois à celles des réalités). Mets ton chapeau, tes bottes, il fait froid, il pleut, va-t'en à tes affaires, c'est l'heure, ding, ding… C'est déjà bien assez d'avoir l'almanach… Que ma pendule reste donc paralysée, sinon…

Et tout en monologuant ainsi, il examinait sa nouvelle demeure et se sentait agité par cette secrète inquiétude qu'on éprouve presque toujours en entrant dans un nouveau logement.

– Je l'ai remarqué, pensait-il, les lieux que nous habitons exercent une influence mystérieuse sur nos pensées, et par conséquent sur nos actions. Cette chambre est froide et silencieuse comme un tombeau. Si jamais la gaieté chante ici, c'est qu'on l'amènera du dehors; et encore elle n'y restera pas longtemps, car les éclats de rire mourraient sans échos sous ce plafond bas, froid et blanc comme un ciel de neige. Hélas! quelle sera ma vie entre ces quatre murs?

Cependant, peu de jours après, cette chambre si triste était pleine de clartés et résonnait de joyeuses clameurs; on y pendait la crémaillère, et de nombreux flacons expliquaient l'humeur gaie des convives. Rodolphe lui-même s'était laissé gagner par la bonne humeur contagieuse de ses convives. Isolé dans un coin avec une jeune femme venue là par hasard et dont il s'était emparé, le poëte madrigalisait avec elle de la parole et des mains. Vers la fin de la fête, il avait obtenu un rendez-vous pour le lendemain.

– Allons, se dit-il lorsqu'il fut seul, la soirée n'a pas été trop mauvaise, et ce n'est pas mal inaugurer mon séjour ici.

Le lendemain, à l'heure convenue, arriva Mademoiselle Juliette. La soirée se passa seulement en explications. Juliette avait appris la récente rupture de Rodolphe avec cette fille aux yeux bleus qu'il avait tant aimée; elle savait qu'après l'avoir quittée déjà une fois, Rodolphe l'avait reprise, et elle craignait d'être la victime d'un nouveau revenez-y de l'amour.

– C'est que, voyez-vous, ajouta-t-elle avec un joli geste de mutinerie, je n'ai point du tout envie de jouer un rôle ridicule. Je vous préviens que je suis très-méchante; une fois maîtresse ici, et elle souligna par un regard l'intention qu'elle donnait au mot, j'y reste et ne cède point ma place.

Rodolphe appela toute son éloquence à la rescousse pour la convaincre que ses craintes n'étaient point fondées, et la jeune femme ayant de son côté bon désir d'être convaincue, ils finirent par s'entendre. Seulement, ils ne s'entendirent plus quand sonna minuit; car Rodolphe voulait que Juliette restât, et celle-ci prétendit s'en aller.

– Non, lui dit-elle comme il insistait. Pourquoi tant se presser? Nous arriverons bien toujours où nous devons arriver, à moins que vous ne vous arrêtiez en route; je reviendrai demain.

Et elle revint ainsi tous les soirs pendant une semaine, pour s'en retourner de même quand sonnait minuit.

Ces lenteurs n'ennuyaient point trop Rodolphe. En amour ou même en caprice, il était de cette école de voyageurs qui n'ont jamais grand'hâte d'arriver, et qui, à la route droite menant au but directement, préfèrent les sentiers perdus qui allongent le voyage et le rendent pittoresque. Cette petite préface sentimentale eut pour résultat d'entraîner d'abord Rodolphe plus loin qu'il ne voulait aller. Et c'était sans doute pour l'amener à ce point où le caprice, mûri par la résistance qu'on lui oppose, commence à ressembler à de l'amour, que Mademoiselle Juliette avait employé ce stratagème.

– À chaque nouvelle visite qu'elle faisait à Rodolphe, Juliette remarquait un ton de sincérité plus prononcé dans ce qu'il lui disait. Il éprouvait, lorsqu'elle était un peu en retard, de ces impatiences symptomatiques qui enchantaient la jeune fille; et il lui écrivait même des lettres dont le langage avait de quoi lui faire espérer qu'elle deviendrait prochainement sa maîtresse légitime.

Comme Marcel, qui était son confident, avait une fois surpris une des épîtres de Rodolphe, il lui dit en riant:

– Est-ce du style, ou bien penses-tu réellement ce que tu dis là?

– Vraiment oui, je le pense, répondit Rodolphe, et j'en suis bien un peu étonné; mais cela est ainsi. J'étais, il y a huit jours, dans une situation d'esprit très-triste. Cette solitude et ce silence, qui avaient succédé si brutalement aux tempêtes de mon ancien ménage, m'épouvantaient horriblement; mais Juliette est arrivée presque subitement. J'ai entendu résonner à mon oreille les fanfares d'une gaieté de vingt ans. J'ai eu devant moi un frais visage, des yeux pleins de sourire, une bouche pleine de baisers, et je me suis tout doucement laissé entraîner à suivre cette pente du caprice qui m'aura peut-être amené à l'amour. J'aime à aimer.