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– Je t'achèterai des pendants d'oreilles, lui dit-il.

– Ah! dit Mimi, vous avez de l'argent, vous!

– Et un chapeau de paille d'Italie, continua le vicomte Paul.

– Non, dit Mimi, si vous voulez me faire plaisir, achetez-moi ça.

Et elle lui montrait la livraison où elle venait de lire la poésie de Rodolphe.

– Ah! pour cela, non, fit le vicomte piqué.

– C'est bien, répondit Mimi froidement. Je l'achèterai moi-même, avec de l'argent que je gagnerai moi-même. Au fait, j'aime mieux que ce ne soit pas avec le vôtre.

Et pendant deux jours Mimi retourna dans son ancien atelier de fleuriste, où elle gagna de quoi acheter la livraison. Elle apprit par cœur la poésie de Rodolphe; et, pour faire enrager le vicomte Paul, elle la répétait toute la journée à ses amis. Voici quels étaient ces vers:

Alors que je voulais choisir une maîtresse Et qu'un jour le hasard fit rencontrer nos pas, J'ai mis entre tes mains mon cœur et ma jeunesse Et je t'ai dit: fais-en tout ce que tu voudras. Hélas! Ta volonté fut cruelle, ma chère: Dans tes mains ma jeunesse est restée en lambeaux, Mon cœur s'est en éclats brisé comme du verre, Et ma chambre est le cimetièr Où sont enterrés les morceaux De ce qui t'aima tant naguère. Entre nous maintenant, n-i, ni-, c'est fini, Je ne suis plus qu'un spectre et tu n'es qu'un fantôme, Et sur notre amour mort et bien enseveli, Bous allons, si tu veux, chanter le dernier psaume. Pourtant ne prenons point un air écrit trop haut, Nous pourrions tous les deux n'avoir pas la voix sûre; choisissons un mineur grave et sans fioriture; moi je ferai la basse et toi le soprano. Mi, ré, mi, do, ré, la.-Pas cet air, ma petite! S'il entendait cet air que tu chantais jadis, Mon cœur, tout mort qu'il est, tressaillirait bien vite, Et ressusciterait à ce De Profundis. Do, mi, fa, sol, mi, do.-Celui-ci me rappelle Une valse à deux temps qui me fit bien du mal Le fifre au rire aigu raillait le violoncelle Qui pleurait sous l'archet ses notes de cristal. Sol, do, do, si, si, la.-Point cet air, je t'en prie, Nous l'avons, l'an dernier, ensemble répété Avec des allemands qui chantaient leur patrie Dans les bois de Meudon, par une nuit d'été. Eh bien! ne chantons pas, restons-en là, ma chère; Et pour n'y plus penser, pour n'y plus revenir, Sur nos amours défunts, sans haine et sans colère Jetons en souriant un dernier souvenir. Nous étions bien heureux dans ta petite chambre Quand ruisselait la pluie et que soufflait le vent; Assis dans le fauteuil, près de l'âtre, en décembre Aux lueurs de tes yeux j'ai rêvé bien souvent. La houille pétillait; en chauffant sur les cendres, La bouilloire chantait son refrain régulier, Et faisait un orchestre au bal des salamandres Qui voltigeaient dans le foyer. Feuilletant un roman, paresseuse et frileuse, Tandis que tu fermais tes yeux ensommeillés, Moi je rajeunissais ma jeunesse amoureuse, Mes lèvres sur tes mains et mon cœur à tes pieds. Aussi, quand on entrait, la porte ouverte à peine, On sentait le parfum d'amour et de gaîté Dont notre chambre était du matin au soir pleine, Car le bonheur aimait notre hospitalité. Puis l'hiver s'en alla; par la fenêtre ouverte, Le printemps un matin vint nous donner l'éveil, Et ce jour-là tous deux dans la campagne verte Nous allâmes courir au-devant du soleil. C'était le vendredi de la Sainte Semaine, Et, contre l'ordinaire, il faisait un beau temps, Du val à la colline, et du bois à la plaine, D'un pied leste et joyeux, nous courûmes longtemps. Fatigués cependant par ce pèlerinage, Dans un lieu qui formait un divan naturel Et d'où l'on pouvait voir au loin le paysage, Nous nous sommes assis en regardant le ciel. Les mains pressant les mains, épaule contre épaule, Et sans savoir pourquoi, l'un et l'autre oppressés, Notre bouche s'ouvrit sans dire une parole, Et nous nous sommes embrassés. Près de nous l'hyacinthe avec la violette Mariaient leur parfum qui montait dans l'air pur; Et nous vîmes tous deux, en relevant la tête, Dieu qui nous souriait à son balcon d'azur. Aimez-vous, disait-il; c'est pour rendre plus douce La route où vous marchez que j'ai fait sous vos pas Dérouler en tapis le velours de la mousse. Embrassez-vous encor,-je ne regarde pas. Aimez-vous, aimez-vous: dans le vent qui murmure, Dans les limpides eaux, dans les bois reverdis, Dans l'astre, dans la fleur, dans la chanson des nids, C'est pour vous que j'ai fait renaître ma nature. Aimez-vous, aimez-vous; et de mon soleil d'or, De mon printemps nouveau qui réjouit la terre, Si vous êtes contents, au lieu d'une prière Pour me remercier-embrassez-vous encor. Un mois après ce jour, quand fleurirent les roses Dans le petit jardin que nous avions planté, Quand je t'aimais le mieux, sans m'en dire les causes Brusquement ton amour de moi s'est écarté. Où s'en est-il allé? Partout un peu, je pense; Car, faisant triompher l'une et l'autre couleur, Ton amour inconstant flotte sans préférence Du brun valet de pique au blond valet de cœur. Te voilà maintenant heureuse: ton caprice Règne sur une cour de galants jouvenceaux, Et tu ne peux marcher sans qu'à tes pieds fleurisse Un parterre émaillé d'odorants madrigaux. Dans les jardins de bal, quand tu fais ton entrée, Autour de toi se forme un cercle langoureux; Et le frémissement de ta robe moirée, Pâme en chœur laudatif ta meute d'amoureux. Élégamment chaussé d'une souple bottine Qui serait trop étroite au pied de Cendrillon, Ton pied est si petit qu'à peine on le devine Quand la valse t'emporte en son gai tourbillon. Dans les bains onctueux d'une huile de paresse, Tes mains, brunes jadis, ont retrouvé depuis La pâleur de l'ivoire ou du lis que caresse Le rayon argenté dont s'éclairent les nuits. Autour de ton bras blanc une perle choisie Constelle un bracelet ciselé par Froment, Et sur tes reins cambrés un grand châle d'Asie En cascade de plis ondule artistement. La dentelle de Flandre et le point d'Angleterre, La guipure gothique à la mate blancheur, Chef-d'œuvre arachnéen d'un âge séculaire, De ta riche toilette achève la splendeur. Pour moi, je t'aimais mieux dans tes robes de toile Printanière, indienne ou modeste organdi, Atours frais et coquets, simple chapeau sans voile, Brodequins gris ou noirs, et col blanc tout uni. Car ce luxe nouveau qui te rend si jolie Ne me rappelle pas mes amours disparus, Et tu n'es que plus morte et mieux ensevelie Dans ce linceul de soie où ton cœur ne bat plus. Lorsque je composai ce morceau funéraire Qui n'est qu'un long regret de mon bonheur passé, J'étais vêtu de noir comme un parfait notaire, Moins les besicles d'or et le jabot plissé. Un crêpe enveloppait le manche de ma plume, Et des filets de deuil encadraient le papier Sur lequel j'écrivais ces strophes, où j'exhume Le dernier souvenir de mon amour dernier. Arrivé cependant à la fin d'un poëme Où je jette mon cœur dans le fond d'un grand trou, – Gaîté de croque-mort qui s'enterre lui-même, Voilà que je me mets à rire comme un fou. Mais cette gaîté-là n'est qu'une raillerie: Ma plume en écrivant a tremblé dans ma main, Et quand je souriais, comme une chaude pluie, Mes larmes effaçaient les mots sur le vélin.

II

C'était le 24 décembre, et ce soir-là le quartier latin avait une physionomie particulière. Dès quatre heures du soir, les bureaux du mont-de-piété, les boutiques des fripiers et celles des bouquinistes avaient été encombrées par une foule bruyante qui s'en vint dans la soirée prendre d'assaut les boutiques des charcutiers, des rôtisseurs et des épiciers. Les garçons de comptoir, eussent-ils eu cent sous comme Briarée, n'auraient pu suffire à servir les chalands qui s'arrachaient les provisions. On faisait la queue chez les boulangers comme aux jours de disette. Les marchands de vins écoulaient les produits de trois vendanges, et un statisticien habile aurait eu peine à nombrer le chiffre des jambonneaux et des saucissons qui se débitèrent chez le célèbre Borel de la rue dauphine. Dans cette seule soirée, le père Cretaine, dit Petit-Pain, épuisa dix-huit éditions de ses gâteaux au beurre. Pendant toute la nuit, des clameurs bruyantes s'échappaient des maisons garnies dont les fenêtres flamboyaient, et une atmosphère de kermesse emplissait le quartier.