Après avoir eu accès au dernier document clé concernant le règne de Trajan VII, me suis-je empressé de terminer la biographie de sa vie extraordinaire ?
Non. Non. Et voici pourquoi.
Quatre jours après que j’eus terminé ma lecture du journal, encore enivré par tout ce que j’y avais découvert, un messager arriva de Rome pour nous annoncer que l’empereur Lodovicus Augustus César venait de mourir d’une crise d’apoplexie et que son fils, le César Demetrius, venait de lui succéder sur le trône sous le nom de Demetrius II Augustus.
Il se trouve que j’étais avec le César lorsque ce message nous parvint. Il ne laissa paraître aucun chagrin en apprenant la mort de son père, ni aucune joie à l’idée de sa propre accession au pouvoir. Il se contenta d’un petit sourire, un simple rictus du coin des lèvres, et se tourna vers moi : « Eh bien, Draco, il semble que nous soyons de nouveau sur le départ, si peu de temps après notre dernier voyage. »
Je n’aurais jamais cru, personne d’autre d’ailleurs, que Demetrius puisse devenir un jour empereur. Nous espérions tous que Lodovicus trouverait un moyen ou un autre pour empêcher cela : qu’il se découvrirait peut-être un fils illégitime resté inconnu jusqu’à ce jour, caché pendant toutes ces années à Babylone ou Londinium, et qui aurait eu sa préférence. Après tout, Lodovicus lui-même avait délibérément ignoré les pitreries de son héritier de fils, préférant l’envoyer en Sicile ces trois dernières années en lui interdisant de remettre les pieds sur le continent, même si tout lui était permis sur cette terre d’exil.
Mais aujourd’hui, cet exil était terminé. Et en cet instant, tous les projets de grandeur qu’avait César pour la Sicile furent oubliés.
Ce fut comme si ces projets n’avaient jamais existé. « Tu siégeras parmi mes hauts ministres, Draco, me dit le nouvel empereur. Je pense te nommer consul dès la première année. J’occuperai l’autre poste de consul moi-même. Tu auras aussi le portefeuille du ministère des Travaux publics, car la capitale a grand besoin d’être embellie. J’ai une idée pour un nouveau palais et nous pourrions peut-être aussi faire quelque chose pour cette vieille ruine qu’est le Capitole ; il y a aussi quelques nouveaux dieux qui, à mon avis, apprécieraient que nous leur érigions des temples, ensuite… »
Si j’avais été Trajan Draco, j’aurais peut-être assassiné ce pauvre fou de Demetrius à cet instant précis pour monter moi-même sur le trône, à la fois pour le bien de l’Empire et pour le mien. Mais je ne suis que Tiberius Ulpius Draco et non mon homonyme Trajan, Demetrius est donc devenu empereur… et vous connaissez la suite.
Quant à mon livre sur Trajan le Dragon, eh bien, peut-être qu’un jour je le terminerai, lorsque l’empereur n’aura plus de projets à me confier. Mais j’en doute, et même si cela lui arrivait, après avoir lu le journal de la circumnavigation de Trajan, je ne suis pas sûr que ce soit le genre de livre dont le public ait besoin. Si je devais faire le compte rendu des extraordinaires réalisations de mon ancêtre, oserais-je tout raconter ? Je ne le pense pas. Je me sens donc un peu soulagé de laisser mon œuvre inachevée prendre la poussière dans sa boîte. Cette recherche, découvrir la véritable nature de mon illustre ancêtre le Dragon, était le but de toute une vie ; mais j’avais creusé un peu trop loin et je le connaissais aujourd’hui un peu trop bien.