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Ils se séparèrent avec le plus grand naturel, cependant que leur hôte pénétrait dans la pièce en coup de vent, en proie à une agitation visible.

« Nobles seigneurs, les Anciens arrivent. Je prends une fois de plus la liberté de vous demander de glisser un mot en ma faveur. » Il se plia en deux dans un paroxysme de servilité.

« N’ayez crainte, nous nous souviendrons de vous, dit Channis. Sont-ce là vos Anciens ? »

C’étaient eux, apparemment. Ils étaient au nombre de trois.

L’un d’eux s’avança. Il s’inclina respectueusement, mais sans perdre un pouce de sa dignité. « Nous sommes très honorés. Nous vous avons procuré des moyens de transport et j’ose espérer que vous nous ferez l’honneur de paraître à notre salle de réunion. »

Troisième interlude

Le Premier Orateur considéra le ciel nocturne avec mélancolie. Des lambeaux de nuages passaient devant la faible clarté des étoiles. L’espace semblait agressivement hostile. Habité par le froid et les intempéries, il n’était guère accueillant, mais la présence de cette créature étrange, le Mulet, le chargeait et l’assombrissait encore d’une sinistre menace.

La réunion était terminée. Elle n’avait guère duré. On avait débattu des doutes et des incertitudes que suscitait le difficile problème mathématique posé par un mutant dont les réactions demeuraient imprévisibles. Toutes les éventualités les plus extrêmes devaient être envisagées.

Avaient-ils acquis quelque certitude ? Quelque part, dans cette région de l’espace – à portée de main, selon l’échelle galactique –, se trouvait le Mulet. Quelle action allait-il entreprendre ?

Ses hommes ne se montraient pas trop difficiles à manier. Ils réagissaient conformément aux prévisions.

Mais qu’en serait-il du Mulet lui-même ?

IV

Les Anciens de cette région particulière de Rossem n’étaient pas exactement tels qu’on aurait pu s’y attendre. Ils ne constituaient pas une simple extrapolation de la paysannerie – c’est-à-dire : plus âgés, plus autoritaires, moins amicaux.

Pas du tout.

La dignité dont ils avaient fait preuve à la première entrevue s’était accentuée au point de devenir, aux yeux des visiteurs, leur caractéristique dominante.

Ils étaient assis autour de leur table ovale comme autant de penseurs graves et avares de leurs mouvements. La plupart avaient dépassé le cap de la prime jeunesse, néanmoins les quelques individus dont le visage s’agrémentait d’une barbe la portaient courte et soigneusement entretenue. Cependant, suffisamment nombreux étaient ceux qui ne paraissaient pas avoir encore atteint la quarantaine, pour que le titre d’Ancien puisse être considéré davantage comme un témoignage de respect plutôt qu’une référence à l’âge de l’intéressé.

Les deux visiteurs venus de l’espace étaient placés au sommet de la table et, dans le silence solennel qui accompagnait un repas plutôt frugal et dont le caractère tenait plus du cérémonial que d’une opération destinée à calmer l’appétit, ils s’imprégnaient de cette atmosphère nouvelle qui offrait tellement de contrastes avec ce qu’ils avaient connu jusqu’à présent.

Le repas terminé, après qu’une ou deux observations respectueuses – trop brèves et trop simples pour qu’on puisse les qualifier de discours – eurent été prononcées par ceux des Anciens qui jouissaient apparemment de la plus haute estime, la réunion prit un tour plus familier.

On eût dit que l’atmosphère d’accueil protocolaire présidant à la réception des personnages étrangers avait cédé le pas à une ambiance rustique faite de curiosité et d’empressement amical.

Ils se pressaient autour des deux nouveaux venus et les assaillaient de questions.

Ils demandaient s’il était difficile de piloter un astronef, de combien de membres se composait l’équipage, s’il était possible de construire de meilleurs moteurs pour leurs véhicules terrestres, s’il était vrai qu’il neigeait rarement sur les autres planètes (ce qui n’était pas le cas pour Tazenda), combien de gens vivaient sur leur monde, s’il était aussi étendu que Tazenda, quelle distance les en séparait, comment étaient tissés leurs vêtements, et ce qui leur donnait ce lustre métallique, pourquoi ils ne portaient pas de fourrures, s’ils se rasaient chaque jour, quelle sorte de pierre portait la bague de Pritcher… et ainsi de suite.

Et presque toujours, les questions étaient adressées à Pritcher, comme si, en sa qualité d’aîné, il était automatiquement investi de la plus haute autorité. Le général se trouva contraint de répondre avec un luxe accru de détails. Il avait l’impression d’être entouré par une foule d’enfants. Leurs questions témoignaient d’un émerveillement extrême, absolument désarmant. Leur passion d’apprendre était immense et ne souffrait pas de résistance.

Pritcher expliqua que les astronefs n’étaient pas difficiles à piloter et que l’importance de leurs équipages variait, selon la taille de l’engin, entre un seul homme et un grand nombre ; qu’il ignorait les détails de construction de leurs moteurs, mais qu’il était certain qu’ils étaient susceptibles d’amélioration ; que les climats variaient à l’infini suivant les planètes ; que des populations se chiffrant par centaines de millions vivaient sur le monde d’où il venait, mais qu’il était beaucoup moins étendu et plus insignifiant que le grand empire de Tazenda ; que leurs vêtements étaient tissés à l’aide de fils de silicone sur lesquels le lustre était obtenu artificiellement par une orientation convenable des molécules superficielles, et qu’on pouvait les chauffer par un procédé spécial, si bien que les fourrures n’étaient pas nécessaires ; qu’ils se rasaient chaque jour ; que la pierre enchâssée dans sa bague était une améthyste. Et les questions fusaient toujours. Il sentait sa rude carapace se fondre, contre son gré, au contact de ces naïfs villageois.

Et toujours, ses réponses étaient suivies d’un rapide commentaire des Anciens, comme s’ils débattaient entre eux de la qualité des informations obtenues. Il était difficile de suivre leurs discussions particulières, car ils avaient à ce moment recours à leur version typiquement accentuée du langage galactique universel, lequel, pour avoir été trop longtemps séparé de la langue mère, avait gardé une forme archaïque.

On aurait presque pu dire que leurs brefs commentaires frôlaient le seuil de l’entendement, tout en restant subtilement compréhensibles.

Channis interrompit finalement le déluge de questions.

« Mes chers hôtes, votre tour est maintenant venu de répondre, car nous sommes étrangers et nous aimerions bien connaître, autant que possible, le noble empire de Tazenda. »

Alors, il arriva ceci qu’un grand silence tomba sur l’assemblée et les Anciens qui, l’instant d’avant, parlaient avec une intarissable volubilité, devinrent muets comme des carpes. Leurs mains qui voletaient avec tant d’agilité et de délicatesse, comme pour donner à leurs paroles plus de portée et exprimer les diverses nuances de leur pensée, s’immobilisèrent soudain à leurs côtés. Ils échangèrent des regards furtifs, enclins, selon toute apparence, à s’effacer les uns devant les autres.

Pritcher s’interposa rapidement. « Mon compagnon formule cette demande en toute amitié, car la renommée de Tazenda s’est étendue à toute la Galaxie, et nous ne manquerons pas, naturellement, d’informer le gouverneur de la loyauté et de l’affection que lui portent les Anciens de Rossem. »