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— Je le verrai peut-être, répondit froidement Pritcher, lorsque j’aurai rencontré le gouverneur. A ce propos, et si nos mentalités étaient conditionnées ?

— Bah ! Vous en avez l’habitude », répondit Channis avec un mépris brutal.

Pritcher pâlit imperceptiblement et se détourna avec effort. Ils ne s’adressèrent plus la parole de la journée.

Dans le calme silence de la nuit glaciale, Pritcher tendait l’oreille vers la respiration régulière de son compagnon. Rassuré, il régla son poste de poignet sur la longueur d’ultra-onde dont il était le seul à disposer, à l’exclusion de Channis, et, par de silencieux frôlements d’ongles, se mit en communication avec l’astronef.

La réponse lui parvint sous la forme de brèves périodes de vibrations inaudibles, qui dépassaient à peine le seuil des perceptions sensorielles.

« Vous n’avez encore reçu aucune nouvelle communication ? »

La réponse fut répétée à deux reprises successives.

« Aucune. Nous attendons toujours. »

Il descendit du lit. Il faisait froid dans la pièce. Il s’enveloppa de la couverture fourrée et se plongea dans la contemplation des étoiles, si différentes, par leur brillance et leur complexité, de l’uniforme poussière galactique qui dominait les nuits de sa périphérie natale.

Quelque part, au milieu de ces astres, se trouvait la réponse aux questions qui bouleversaient son entendement, et il souhaitait ardemment que lui parvînt enfin la solution qui résoudrait pour lui ces problèmes irritants.

Pendant un instant, il se demanda une fois de plus si le Mulet avait raison – si la conversion l’avait effectivement privé de cette énergie indomptable que donne la confiance en soi. Ou n’était-ce pas plutôt l’effet de l’âge et des vicissitudes que lui avaient values les dernières années ?

En réalité, il n’en avait cure.

Il était las.

Le gouverneur de Rossem arriva en modeste apparat. Son seul compagnon était l’homme en uniforme qui tenait les commandes du véhicule terrestre.

Celui-ci était d’apparence somptueuse mais ses performances semblaient des plus médiocres au général. Dépourvu de maniabilité, il virait avec une lamentable gaucherie et, plus d’une fois, le moteur cala par suite d’un changement de vitesse trop précipité. Il était évident, à première vue, qu’il utilisait un combustible chimique et non atomique.

Le gouverneur tazendien descendit prestement sur la légère couche de neige et s’avança entre deux rangées d’Anciens respectueux. Il passa rapidement sans les regarder et pénétra dans la maison. Tous y entrèrent à sa suite.

De la place qu’on leur avait assignée, les deux hommes de l’Union observaient la scène. Le gouverneur était trapu, plutôt massif, court, fort peu impressionnant.

Et puis après ?

Pritcher maudit son absence de sang-froid. Son visage demeurait bien entendu d’un calme glacial. Sa défaillance passerait inaperçue de Channis – mais il savait fort bien que sa tension artérielle s’était accrue et que sa gorge était desséchée.

Il ne ressentait pas une peur physique. Il n’était pas de ces êtres stupides et sans imagination, formés d’une pâte trop grossière pour être accessibles à la peur, mais la crainte physique était un sentiment que l’on pouvait raisonner et dominer.

Il s’agissait ici de tout autre chose, d’une peur toute différente.

Il jeta un coup d’œil rapide vers Channis. Le jeune homme examinait ses ongles dont il grattait machinalement une imperceptible aspérité.

Une vague d’indignation gagna Pritcher. Qu’avait à craindre Channis d’être mentalement contrôlé ?

Pritcher prit une profonde inspiration et tenta de réfléchir. Dans quel état d’esprit se trouvait-il avant que le Mulet eût converti le démocrate qu’il avait été ? Il lui était difficile de se souvenir. Il n’avait pas une nette conception de sa mentalité. Il était impuissant à rompre les fils de la toile d’araignée qui le liaient émotionnellement au Mulet. Sur le plan intellectuel, il se souvenait qu’il avait tenté une fois d’assassiner le Mulet, mais, en dépit de tous ses efforts, il lui était impossible de retrouver les sentiments qui avaient motivé son acte. Cependant, il s’agissait peut-être d’une action d’autodéfense de son esprit, car à la seule intuition de ce que ces sentiments auraient pu être – sans qu’il fût question de détails, mais seulement de l’orientation générale de son influx émotionnel – il sentit des nausées lui monter à la gorge.

Et si le gouverneur modelait à son tour son esprit ?

Qu’adviendrait-il si les tentacules mentaux d’un membre de la Seconde Fondation s’insinuaient le long des anfractuosités émotionnelles de son psychisme, pour les faire éclater et les rassembler à nouveau selon une configuration différente ?

Il n’avait éprouvé aucune sensation la première fois. Aucune souffrance, aucun déchirement affectif – même pas le sentiment d’une solution de continuité. Il avait, depuis toujours, aimé le Mulet. S’il avait jamais existé une époque – remontant à cinq courtes années – où il avait cru ne pas l’aimer, où il l’avait haï –, il ne pouvait s’agir que d’une affreuse illusion. La seule pensée de cette illusion le plongeait dans l’embarras le plus profond.

Mais de souffrance, point.

La rencontre avec le gouverneur serait-elle une réédition de cette expérience ? Tous les événements passés – toute sa dévotion au service du Mulet – toute l’orientation de sa vie – iraient rejoindre le royaume des rêves brumeux que représentait pour lui le mot démocratie. Le Mulet deviendrait à son tour un rêve, et sa loyauté se consacrerait désormais à la seule Tazenda.

Il se détourna brusquement, pris d’une violente envie de vomir.

A ce moment, la voix de Channis explosa dans son oreille.

« Je crois que le moment est venu, général. »

Pritcher se retourna de nouveau. Un Ancien venait d’ouvrir silencieusement la porte et se tenait sur le seuil, avec un calme plein de dignité et de respect.

« Au nom des Seigneurs de Tazenda, Son Excellence le Gouverneur a le plaisir de vous accorder une audience et vous demande de bien vouloir paraître devant lui.

— Certainement », dit Channis. Il resserra sa ceinture d’une secousse et se coiffa d’un capuchon rossemite.

Pritcher serra les mâchoires. La véritable partie allait enfin commencer.

Le gouverneur de Rossem n’était pas un homme de formidable apparence. Tout d’abord, il était nu-tête, et ses cheveux châtains, clairsemés et grisonnants, donnaient de la douceur à son visage. Ses arcades sourcilières s’abaissèrent et ses yeux enchâssés dans un réseau de fines rides prirent un regard scrutateur ; cependant, son menton rasé de frais était petit et fuyant, et selon les canons de cette pseudo-science qui prétend déterminer le caractère par l’étude de la conformation faciale, c’était un faible.

Pritcher évita les yeux et fixa le menton. Il ne savait pas si cette manœuvre serait efficace – ou s’il existait quelque possibilité de parade.

La voix du gouverneur était haut perchée, indifférente.

« Soyez les bienvenus sur Tazenda. Que la paix soit avec vous. Avez-vous mangé ? »

Sa main – doigts longs, veines apparentes – désigna la table en fer à cheval, d’un geste quasi royal.

Ils s’inclinèrent et prirent place. Le gouverneur s’installa au sommet, du côté extérieur du fer à cheval, et eux à l’intérieur. A droite et à gauche, s’étendait la double rangée des Anciens, silencieux.

Le gouverneur s’exprimait en phrases courtes et hachées, faisant l’éloge des aliments importés de Tazenda (ils étaient, en effet, d’une qualité quelque peu différente, bien qu’à vrai dire pas tellement supérieure à la nourriture plus rustique des Anciens), déplorant le climat rossemite et faisant allusion comme par hasard à la complexité des voyages spatiaux.