Выбрать главу

— Sam ?

Sam acquiesça d’un hochement de tête.

— J’essaie de deviner ton identité véritable, Brahma, mais j’avoue que je n’y arrive pas.

— C’est heureux, quand on doit être un dieu qui fut, est et sera éternellement.

— Quels beaux vêtements tu portes ! Tout à fait charmant.

— Merci. Il m’est difficile de croire que tu existes encore, En vérifiant, j’ai vu que tu n’as pas demandé de corps neuf depuis un demi-siècle. C’est prendre de grands risques.

— La vie est pleine de risques, d’incertitudes, tout est affaire de chance, fit Sam en haussant les épaules.

— C’est vrai. Je t’en prie, assieds-toi, mets-toi à l’aise.

Sam tira un fauteuil. Une fois assis, il leva de nouveau les yeux. Brahma était à présent sur un haut trône de marbre rouge sculpté ; un parasol de même couleur se déployait au-dessus de lui.

— Ça n’a pas l’air bien confortable.

— Il y a des coussins de caoutchouc mousse, fit le dieu en souriant. Tu peux fumer, si tu veux.

— Merci, fit Sam et il tira sa pipe de l’escarcelle attachée à sa ceinture.

— Qu’es-tu devenu depuis le temps où tu as quitté les hauteurs du Ciel ?

— J’ai cultivé mon jardin.

— Nous aurions pu t’utiliser ici dans nos serres hydroponiques. C’est même peut-être encore possible. Parle-moi un peu de ton séjour parmi les hommes.

— La chasse au tigre, les incidents de frontière avec les royaumes du voisinage, la botanique, entretenir le moral du harem, la vie, quoi. À présent, mes forces diminuent, et je voudrais une nouvelle jeunesse. Mais pour l’obtenir, j’ai cru comprendre que je devais me faire examiner le cerveau. C’est vrai ?

— En un sens, oui.

— Et dans quel but, puis-je le demander ?

— Pour que le mal échoue et que le bien l’emporte.

— Et si je suis mauvais, que va-t-il m’arriver ?

— On te fera expier tes mauvaises actions dans une forme inférieure.

— As-tu sous la main les pourcentages de ceux qui échouent et de ceux qui réussissent à l’examen ?

— Ne crois pas que j’aie perdu mon omniscience, fit Brahma en plaçant son sceptre devant sa bouche pour dissimuler un bâillement, si j’avoue avoir oublié ces chiffres pour le moment.

— Tu as besoin d’un jardinier dans la Cité Céleste ? fit Sam avec un petit rire.

— Oui. Veux-tu poser ta candidature ?

— Je ne sais pas. Peut-être.

— Peut-être bien que oui, peut-être bien que non ?

— En effet. Autrefois il n’y avait pas tous ces tripotages de l’esprit d’un homme. Si l’un des Premiers voulait changer son vieux corps, il payait le prix du nouveau et on le servait.

— Nous ne sommes plus aux jours anciens.

— On penserait presque que vous cherchez à détruire tous les Premiers qui ne se rangent pas derrière vous.

— Il y a de la place pour bien des gens dans un panthéon. Il y a une niche pour toi, si tu la demandes.

— Sinon ?

— Demande un corps à la Salle du Karma.

— Et si je choisis la divinité ?

— On ne sondera pas ton cerveau. On dira aux Maîtres de te servir bien et promptement. Une machine volante te sera envoyée pour t’emmener au Ciel.

— Cela demande réflexion. J’aime beaucoup ce monde, bien qu’il soit plongé dans l’âge des ténèbres. Mais cet amour ne m’aidera pas à jouir des choses que je désire, s’il est décrété que je doive mourir de la vraie mort, ou prendre la forme d’un singe et errer dans la jungle. D’autre part, je n’aime pas tellement la perfection artificielle telle qu’elle existait au Ciel la dernière fois où j’y suis allé. Attends un moment, pendant que je médite.

— Ton indécision est une impertinence, en face d’une telle offre.

— Je sais. Je penserais sans doute de même si j’étais à ta place. Mais si j’étais Dieu, je crois bien que dans ma miséricorde je donnerais un moment de silence à un homme qui doit prendre une décision capitale en ce qui regarde sa vie.

— Sam, tu es impossible avec tes marchandages ! Qui d’autre me ferait attendre quand son immortalité est en jeu ? Tu ne crois tout de même pas pouvoir discuter avec moi ?

— Eh bien, je descends d’une lignée de marchands de slézards, et il est une chose que je désire beaucoup.

— Quoi ?

— Qu’on réponde à quelques questions qui me tourmentent depuis un certain temps.

— Lesquelles ?

— Comme tu le sais, j’ai cessé d’assister aux réunions du vieux Conseil il y a plus d’un siècle, car elles étaient devenues des séances interminables, uniquement faites pour ajourner les décisions, et servir de prétexte à la grande fête des Premiers. Je n’ai rien contre les fêtes. À la vérité, je n’y suis allé pendant un siècle et demi que pour boire de nouveau du bon alcool de la Terre. Mais je pensais que nous devions faire quelque chose pour les passagers, tout autant que pour les nombreux rejetons de nos nombreux corps, plutôt que de les laisser errer dans un monde dangereux et retourner à la sauvagerie. Je pensais que nous, les membres de l’équipage, devions les aider, les faire profiter de la technologie que nous avions sauvegardée, plutôt que de nous bâtir un imprenable paradis et de traiter le monde comme une chasse gardée et une maison de prostitution. Je me suis donc demandé longtemps pourquoi ne le faisait-on pas. Ce serait une manière aussi honnête qu’équitable de diriger le monde.

— J’en déduis que tu es un accélérationiste ?

— Non, je cherche simplement à m’informer. Je suis curieux de connaître les raisons de cet état de choses, c’est tout.

— Eh bien, je vais te répondre, dit Brahma. C’est parce que les hommes ne sont pas prêts pour ce mode de vie. Si nous avions agi immédiatement, la chose eût pu être faite. Mais au début, cela nous fut indifférent. Et quand la question se posa, nous ne nous sommes pas tous trouvés du même avis. Trop de temps s’était écoulé depuis notre arrivée. Ils n’étaient pas prêts et ne le seront pas avant quelques siècles. Si à présent, ils se trouvaient brusquement dotés d’une technologie avancée, les guerres qui s’ensuivraient auraient pour résultat de détruire ce qu’ils ont déjà fait. Car ils ont déjà beaucoup fait. Ils ont commencé à construire une civilisation ressemblant à celle de leurs ancêtres. Mais ce sont encore des enfants, et comme des enfants, ils joueraient avec nos cadeaux et s’y brûleraient les doigts. Ils sont nos enfants, engendrés par nos Premiers corps depuis longtemps morts, et par le deuxième, le troisième et tous les autres que nous avons eus. Nous avons donc envers eux des responsabilités de parents. Nous ne pouvons et ne devons leur permettre d’arriver de manière accélérée à une révolution industrielle et de détruire ainsi la première société stable de cette planète. Nos fonctions parentales consistent à les guider, par l’intermédiaire des temples. Les dieux et les déesses sont fondamentalement des images du père et de la mère. Qu’y a-t-il de plus vrai et de plus juste que d’assumer ces rôles et de les jouer parfaitement ?

— Pourquoi alors détruisez-vous votre propre technologie débutante ? La presse à imprimer a été redécouverte trois fois, à ma connaissance, et chaque fois détruite.

— Ce fut fait pour la même raison. Ils n’étaient pas prêts à s’en servir. Et elle n’a pas été vraiment découverte, ce fut plutôt un souvenir. Une machinerie légendaire que quelqu’un a décidé de reproduire. Si une chose doit être inventée, il faut qu’elle résulte de facteurs déjà présents dans la culture, et non d’un souvenir tiré du passé, comme un lapin du chapeau du prestidigitateur.