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Bien plus tard, debout, ruisselant d’eau sur la berge, il parla doucement, encore haletant.

— Tu étais… le plus grand… de ceux qui se sont élevés contre moi… au cours de tous les âges… c’est bien dommage, en vérité…

Puis il traversa la rivière et continua son chemin dans les collines rocheuses.

Quand il entra dans Alundil, le voyageur s’arrêta à la première auberge. Il prit une chambre, demanda un bain. Et se lava dans le baquet plein d’eau tandis qu’un serviteur nettoyait ses vêtements.

Avant dîner, il alla à la fenêtre pour regarder la rue. La forte odeur des slézards montait dans l’air tranquille, avec les bruits de nombreuses voix.

Des gens quittaient la ville. Dans la cour derrière l’auberge, une caravane préparait son départ pour le lendemain matin. La fête du printemps finissait cette nuit. Dans la rue, des marchands faisaient encore du commerce, des mères calmaient leurs enfants fatigués et un prince de l’endroit rentrait de la chasse avec ses hommes, deux oiseaux de feu liés sur le dos de son slézard rapide. Le voyageur observa deux prostituées lasses discutant avec un prêtre, qui semblait encore plus las, hochait sans arrêt la tête et qui finit par s’en aller. Une lune, déjà haute dans le ciel, paraissait dorée vue à travers le Pont des Dieux. Une deuxième plus petite venait d’apparaître à l’horizon. L’air du soir était frais et apportait au voyageur, parmi les senteurs de la ville, le parfum des choses qui naissent au printemps, petites pousses, herbe tendre, l’odeur fraîche du blé de printemps bleu-vert, de la terre humide, de l’eau trouble d’un bras de la rivière. Il se pencha en avant, et put voir le temple sur la colline.

Il appela un serviteur, lui demanda de monter son dîner dans sa chambre et envoya chercher un marchand de la ville.

Il mangea lentement, sans prêter attention à la nourriture, et quand il eut fini, on introduisit le marchand.

L’homme portait un manteau plein d’armes diverses et parmi celles-ci, le voyageur choisit finalement un long cimeterre et un court poignard droit, qu’il passa à sa ceinture.

Puis il sortit dans le soir et marcha le long de la grande rue pleine d’ornières. Des amants se tenaient enlacés sous les porches. Il passa devant une maison où des pleureuses gémissaient sur un mort. Un mendiant le suivit en boitant tout au long d’un pâté de maisons, jusqu’à ce qu’il se tourne, le regarde dans les yeux et lui lance : « Tu n’es pas boiteux ! » Et l’homme partit rapidement, se perdit dans la foule. Dans le ciel les feux d’artifice commencèrent à éclater au-dessus de lui, envoyant de longs serpentins de lumière cerise jusqu’au sol. Du temple lui parvint le son des cornes jouant la musique nagaswaram. Un homme sortit en chancelant d’une porte, le toucha en passant, et il brisa son poignet quand il sentit sa main sur sa bourse. L’homme lança une malédiction, appela à l’aide, mais il le poussa dans la rigole d’écoulement et continua à marcher, faisant reculer les deux compagnons du voleur d’un seul regard sombre.

Enfin, il arriva devant le temple, hésita un moment, puis entra.

Il suivit dans la cour intérieure un prêtre qui rentrait une petite statue exposée le jour dans une niche.

Il observa la cour, puis alla rapidement vers la statue de Kâli. Il l’étudia un long moment, tira son cimeterre et le posa à ses pieds. Quand il le reprit et se tourna, il vit que le prêtre l’observait. Il lui fit un signe de tête, et l’autre s’approcha vivement, lui dit bonsoir.

— Bonsoir, prêtre.

— Que Kâli bénisse votre arme, guerrier.

— Merci, c’est fait.

— Vous parlez comme si vous en étiez sûr, fit le prêtre avec un sourire.

— Et c’est présomptueux de ma part ?

— Eh bien, ce n’est peut-être pas du meilleur goût.

— Néanmoins, j’ai senti sa puissance descendre sur moi tandis que je contemplais son autel.

Le prêtre frissonna.

— Malgré mes fonctions, je me passerais volontiers de cette faveur.

— Vous la craignez ?

— Disons qu’en dépit de sa magnificence, fit le prêtre, l’autel de Kâli n’est pas aussi fréquenté que ceux de Lakshmi, Sarasvatî, Shakti, Sitala, Ratri et autres déesses moins terrifiantes.

— Mais elle est plus grande que toutes celles-là.

— Et plus terrible.

— En dépit de sa force, elle n’est pas une déesse injuste.

— Quel est l’homme qui désire encore la justice quand il a passé ses vingt ans, guerrier ? fit le prêtre avec un sourire. Pour ma part, je trouve la miséricorde infiniment plus attirante. Je préférerai toujours une divinité clémente.

— C’est fort bien, mais je suis, comme vous dites, un guerrier. Ma propre nature est proche de la sienne. La déesse et moi sommes généralement d’accord sur la plupart des sujets. Et quand nous ne le sommes pas, je me rappelle qu’elle est femme.

— Je vis ici, et pourtant je ne parle pas avec cette familiarité des dieux sous ma garde.

— En public, en tout cas. Je connais les prêtres. J’ai bu avec plus d’un d’entre vous, et je sais que vous blasphémez comme le reste de l’humanité.

— Il y a un temps et un lieu pour toute chose, dit le prêtre en jetant derrière lui un regard à Kâli.

— Certes. À présent, dites-moi pourquoi l’on n’a pas nettoyé l’autel de Yama ces temps-ci ? Il est plein de poussière.

— On l’a nettoyé hier, mais tant de gens sont passés devant.

— Et pourquoi, fit l’autre en souriant, n’y a-t-il pas d’offrandes à ses pieds ni les restes des sacrifices ?

— Personne n’offre de fleurs à la Mort. Les pèlerins viennent, regardent et s’en vont. Nous autres prêtres avons toujours pensé que les deux statues étaient bien situées. Elles font un couple terrible, toutes les deux, n’est-ce pas ? La Mort et Celle qui sème la destruction.

— Un couple puissant. Mais essayez-vous de me dire que personne n’offre de sacrifice à Yama ?

— Non, personne, à part nous les prêtres, quand le calendrier des dévotions le demande, et de temps à autre un habitant de la ville, quand un être aimé est sur son lit de mort et s’est vu refuser la réincarnation. C’est tout. À part cela, je n’ai jamais vu offrir de sacrifice à Yama, simplement, sincèrement, avec bonne volonté et affection.

— Il doit en être offensé.

— Mais non, guerrier. Toute chose vivante n’est-elle pas en soi un sacrifice à la Mort ?

— Vous avez raison. Quel besoin a Yama de leur bonne volonté et de leur affection. Les offrandes sont inutiles, puisqu’il prend ce qu’il veut.

— Comme Kâli, reconnut le prêtre. Et j’ai souvent vu une justification de l’athéisme en ces deux divinités. Par malheur, elles se manifestent trop fortement en ce monde pour qu’on puisse nier leur existence. Dommage.

— Un prêtre qui croit à contrecœur ! fit le guerrier en riant. Cela me plaît. Oui, cela m’amuse. Tenez, achetez-vous un tonneau de soma, pour les sacrifices !

— Merci, guerrier. Partageriez-vous mes libations ?

— Par Kâli, j’accepte ! Mais qu’elles soient modérées.

Il accompagna le prêtre dans le bâtiment central. Ils descendirent tous deux à la cave, où le prêtre mit en perce une barrique de soma, et remplit deux gobelets.

— Bonne santé et longue vie !

— À la santé de vos deux sombres divinités, Yama et Kâli !

— Merci.

Ils avalèrent le fort breuvage et le prêtre tira deux nouveaux gobelets.

— Pour vous réchauffer la gorge, la nuit est fraîche.

— D’accord.

— Nous sommes assez contents de voir partir les voyageurs. Leurs dévotions ont enrichi le temple, mais ils ont aussi considérablement fatigué le personnel.