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— Au départ des pèlerins !

— Au départ des pèlerins !

Ils trinquèrent encore.

— Je croyais que la plupart d’entre eux venaient voir le Bouddha, dit négligemment Yama.

— C’est vrai, mais ils n’ont pas tellement envie d’éveiller l’hostilité des autres dieux. Alors, avant d’aller dans le bosquet pourpre, ils leur offrent généralement des sacrifices, ou font des dons au temple pour payer des prières.

— Que savez-vous de celui qu’on appelle Tathagata et de ce qu’il enseigne ?

— Je suis un prêtre des dieux, fit l’autre en détournant la tête, et un brahmane, guerrier. Je n’ai pas envie de parler de celui-là.

— Il vous a touché aussi, alors ?

— Cela suffit ! Mes désirs vous sont connus. Ce n’est pas un sujet dont je veuille parler.

— Aucune importance. Enfin, d’ici peu, cela n’aura aucune importance. Merci pour le soma. Et bonsoir, prêtre.

— Bonsoir, guerrier. Que les dieux vous sourient et éclairent votre chemin.

— Le vôtre aussi.

Yama remonta de la cave, sortit du temple, et traversa la ville.

Quand il arriva devant le bosquet pourpre, il y avait trois lunes dans les cieux, de petits feux de camp derrière les arbres, une pâle lumière dans le ciel au-dessus de la ville. Une brise fraîche et porteuse d’humidité faisait frémir les arbres autour de lui.

Silencieux, il entra dans le bosquet.

Dans la clairière illuminée, il vit en face de lui des rangées et des rangées d’hommes assis immobiles. Chacun portait une robe jaune, avec un capuchon jaune rabattu sur les yeux. Il y en avait des centaines et pas un ne parlait.

Il alla vers celui qui était le plus proche de lui.

— Je suis venu voir Tathagata le Bouddha.

L’homme ne parut pas l’entendre.

— Où est-il ?

L’homme resta muet.

Yama se pencha, regarda les yeux mi-clos du moine ; on eut dit que l’autre était endormi.

Alors il parla à voix haute, pour que tout le groupe l’entende.

— Je suis venu voir Tathagata le Bouddha, où est-il ?

Il eut tout aussi bien pu s’adresser à un champ couvert de pierres.

— Croyez-vous réussir à le cacher ainsi ? Croyez-vous que je n’arriverai pas à le découvrir au milieu de vous parce que vous êtes nombreux, tous vêtus de même ? Croyez-vous qu’il suffise de ne pas répondre ?

On n’entendit que les soupirs du vent passant dans les arbres derrière les moines. Les lumières vacillèrent, les frondes pourpres frémirent.

— Vous avez peut-être raison, fit Yama en riant. Mais il vous faudra bien bouger à un moment ou l’autre, si vous voulez continuer à vivre. Et je peux attendre aussi longtemps que quiconque.

Il s’assit alors par terre, s’adossa à l’écorce bleue d’un grand arbre, sa bonne lame en travers de ses genoux.

Il fut immédiatement envahi par une sorte de somnolence. Sa tête s’inclina vers sa poitrine, il la releva plusieurs fois brusquement. Puis son menton toucha une dernière fois sa cape, et il se mit à ronfler.

Il marchait sur une grande plaine bleu-vert, les herbes se courbaient pour lui faire un sentier, au fur et à mesure qu’il avançait. Au bout de ce sentier se dressait un gros arbre, comme il n’en pousse point ici-bas, un arbre qui tenait le monde en ses racines, et dont les branches portaient ses feuilles jusque parmi les étoiles.

À son pied se tenait un homme, assis jambes croisées, un léger sourire aux lèvres. Il savait que cet homme était le Bouddha. Il s’approcha et se tint immobile devant lui.

— Salut, ô Mort ! dit l’homme assis, couronné d’une auréole rose, brillant dans l’ombre de l’arbre.

Yama ne répondit point mais tira son cimeterre.

Le Bouddha continua à sourire et quand Yama s’avança, il entendit un bruit, comme une musique lointaine.

Il s’arrêta, regarda autour de lui, son arme toujours dressée.

Ils arrivèrent des quatre coins de l’horizon, les quatre Régents du monde, descendus du mont Sumernu : le Maître du Nord avança, suivi de ses Yakshas, tous vêtus d’or, montés sur des chevaux jaunes, portant des boucliers étincelant d’une lumière dorée ; l’Ange du Sud vint aussi, suivi de son armée, les Kumbhandas, montés sur des destriers bleus, portant des boucliers de saphir ; de l’Est vint le Régent dont les cavaliers portaient des boucliers de perles et étaient tous vêtus d’argent, Et de l’Ouest arriva Celui dont les Nâgas montaient des chevaux rouge sang, étaient tous vêtus de rouge et tenaient devant eux des boucliers de corail. Les sabots des bêtes ne semblaient pas toucher le sol, et l’on n’entendait que la musique, de plus en plus forte.

— Pourquoi les Régents du monde approchent-ils d’ici ? dit Yama, presque inconsciemment.

— Ils viennent pour emporter mes os, répliqua le Bouddha toujours souriant.

Les quatre Régents serrèrent la bride, leurs armées s’arrêtèrent derrière eux. Yama leur fit face.

— Vous venez pour emporter ses os, dit-il, mais qui viendra chercher les vôtres ?

Les Régents mirent pied à terre.

— O, Mort, vous n’aurez pas cet homme, dit le Maître du nord, car il appartient au monde, et nous le défendrons.

— Écoutez-moi, Régents qui habitez le Sumernu, dit Yama, revêtant son Aspect. La garde de ce monde vous a été confiée. Il est entre vos mains. Mais la mort emporte qui elle veut et quand elle veut. Il ne vous est point donné de contester mes Attributs, ni la façon dont ils agissent.

Les quatre Régents vinrent se placer entre Yama et Tathagata.

— Nous contestons votre façon d’agir avec celui-là, Yama, car il tient entre ses mains la destinée de notre monde. Vous ne pourrez le toucher qu’après avoir renversé les quatre Puissances.

— Qu’il en soit ainsi, répliqua Yama. Lequel d’entre vous va le premier lutter contre moi ?

— Moi, fit celui qui venait de parler, en tirant son épée d’or.

Yama, revêtu de son Aspect, traversa de son cimeterre le métal tendre comme du beurre, frappa la tête du Régent, et l’envoya mordre la poussière.

Un grand cri s’éleva des rangs des Yakshas, et deux des cavaliers dorés s’avancèrent pour emporter leur chef. Ils firent tourner leurs chevaux, et repartirent vers le Nord.

— Au suivant.

Le Régent de l’Est vint devant Yama, portant une épée d’argent bien droite et un filet tissé de rayons de lune.

— Moi, dit-il, et il lança son filet.

Yama posa le pied dessus, le saisit dans ses mains, tira, et l’autre perdit l’équilibre. Quand le Régent chancela, il le frappa à la mâchoire.

Deux guerriers vêtus d’argent le regardèrent farouchement, puis baissèrent les yeux, et emportèrent leur Maître vers l’est, une musique discordante flottant dans leur sillage.

— Au suivant ! fit Yama.

Le solide chef des Nâgas se présenta devant lui. Il jeta ses armes, se dépouilla de sa tunique.

— Dieu de la Mort, nous allons lutter à mains nues.

Yama posa ses armes, ôta les vêtements qui couvraient le haut de son corps.

Le Bouddha restait assis à l’ombre de l’arbre, souriant, comme si ces passes d’armes ne signifiaient rien pour lui.

Yama et le chef des Nâgas luttèrent Quand enfin le Régent toucha terre, Yama se précipita sur lui, puis se releva. L’autre resta à terre.

Quand les cavaliers de l’Ouest eurent disparu, il ne restait plus que l’Ange du Sud, vêtu de bleu, devant le Bouddha.

— Et vous ? demanda le dieu de la Mort, en reprenant ses armes.

— Pour vous affronter, dieu de la Mort, je ne prendrai pas d’armes d’acier, de cuir ou de pierre, comme un enfant prend des jouets. Et je ne lutterai pas contre vous les mains nues, dit l’Ange. Je sais que vous l’emporteriez en tous les cas, car personne ne peut vous vaincre par les armes.