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Quand les dieux et les démons, tous enfants de Prajâpati, se battirent entre eux, les dieux se saisirent du principe de vie de l’Udgitha, pensant qu’avec cela ils vaincraient les démons.

Ils méditèrent sur l’Udgitha qui fonctionne par le nez, mais les démons y firent pénétrer le mal. On respire donc ce qui est plaisant et ce qui est nauséabond. Ainsi la respiration est-elle touchée par le mal.

Ils méditèrent sur l’Udgitha en tant que mots, mais les démons y firent pénétrer le mal. Quand on parle, donc, on dit la vérité et l’on ment. Ainsi les mots sont-ils touchés par le mal.

Ils méditèrent sur l’Udgitha qui fonctionne par l’œil, mais les démons y firent pénétrer le mal. On voit donc ce qui est plaisant et ce qui est laid. Ainsi l’œil est-il touché par le mal.

Ils méditèrent sur l’Udgitha en tant qu’audition, mais les démons y firent pénétrer le mal. On entend donc le bon et le mauvais. Ainsi l’oreille est-elle touchée par le mal.

Puis ils méditèrent sur l’Udgitha en tant qu’esprit, mais les démons y firent pénétrer le mal. On pense donc ce qui est décent, vrai et bien, et ce qui est indécent, faux et dépravé. Ainsi l’esprit est-il touché par le mal.

Chhandogya Upanishad (I, ii, I-6)

Le Puits d’Enfer se trouve tout en haut du monde et conduit à ses racines.

Il est probablement aussi vieux que le monde même ; ou, s’il ne l’est pas, il devrait l’être, car il le paraît.

Il y a d’abord un portail. Une énorme porte de métal poli, lourde comme le péché, érigée par les Premiers. Elle est trois fois haute comme un homme, et sa largeur est la moitié de sa hauteur. Elle est épaisse d’une coudée, et porte un anneau de cuivre gros comme une tête, une serrure compliquée et une inscription : « Partez. Ce n’est point un endroit où rester. Si vous essayez d’entrer vous échouerez et serez maudits. Si par hasard vous réussissiez, ne vous plaignez pas de ne pas avoir été prévenus, et ne nous ennuyez pas de vos prières sur votre lit de mort. » C’est signé : « Les dieux. »

La porte se trouve près du sommet d’une très haute montagne, le mont Channa, au milieu d’une région de très hautes montagnes, la chaîne des Ratnagaris. Les neiges y sont éternelles et des arcs-en-ciel éclatent sur les chandelles de glace qui pointent des calottes gelées des falaises. L’air perce comme une épée. Le ciel est pur, aussi brillant qu’un œil de chat.

Peu d’hommes ont foulé la piste qui mène au Puits d’Enfer. De ceux qui sont venus jusque-là, la plupart voulaient seulement voir si la grande porte existait. Et quand ils rentraient chez eux et racontaient qu’ils l’avaient vue, on se moquait généralement d’eux. Des éraflures révélatrices sur la plaque de la serrure témoignent que certains ont essayé d’entrer. Mais il est impossible de transporter ou de mettre en place un matériel suffisant pour enfoncer la grande porte. La piste qui mène au Puits d’Enfer a moins de trente centimètres de large dans les derniers trois cents mètres avant le sommet. Et six hommes, peut-être, pourraient se tenir serrés sur ce qui reste d’une corniche autrefois très large, devant la porte.

On dit que Pannalal le Sage, ayant affiné son esprit par la méditation et l’ascétisme, devina comment fonctionnait la serrure et entra dans le Puits d’Enfer. Il passa un jour et une nuit sous la montagne. Il fut dès lors connu sous le nom de Pannalal le Fou.

Il faut un voyage de cinq jours pour atteindre le pic de Channa où se trouve la grande porte, à partir d’un petit village sis dans le royaume septentrional de Maloua. Ce village de montagne, le plus proche du mont Channa, n’a pas de nom, car il est habité par des hommes farouches et indépendants qui n’ont aucun désir que leur bourg soit marqué sur les cartes des percepteurs du raja. De ce raja, qu’il suffise de dire que c’est un homme de taille moyenne et d’âge mur, malin, assez gros, qui n’est point pieux, et dont la notoriété et la fabuleuse richesse n’ont rien d’exceptionnel. Il est riche parce qu’il extorque de lourds impôts à ses sujets. Quand ses sujets commencent à se plaindre, et que des bruits de révolte s’entendent par le royaume, il déclare la guerre à un royaume voisin et double les impôts. Si la guerre tourne mal, il fait exécuter plusieurs généraux et oblige son ministre de la Paix à négocier un traité. Si par hasard elle tourne bien, il extorque un tribut pour venger l’insulte à l’origine de toute l’affaire. D’habitude, cependant, cela se termine par une trêve, ce qui dégoûte des combats ses sujets et les réconcilie avec les impôts élevés. Il se nomme Videgha, et il a beaucoup d’enfants. Il aime les graks, ces oiseaux à qui l’on peut apprendre à chanter des chansons paillardes, et les serpents qu’il nourrit de temps à autre avec les graks qui ne peuvent retenir un air. Il aime également lancer les dés. Il n’aime pas particulièrement les enfants.

Le Puits d’Enfer commence à la grande porte au sommet de la montagne tout au nord du royaume de Videgha, au-delà duquel il n’existe plus d’autres royaumes humains. Le Puits d’Enfer descend, tourne en vrille, jusqu’au cœur du mont Channa, traversant de vastes cavernes inexplorées ; il s’étend au loin sous la chaîne des Ratnagaris, et de longs couloirs descendent jusqu’aux racines du monde.

Le voyageur arriva devant cette porte.

Il était vêtu simplement et voyageait seul. Il semblait savoir exactement où il allait et ce qu’il faisait.

Il grimpa sur le sentier du mont Channa, montant avec précaution le long de sa face redoutable et désolée.

Il lui fallut presque toute la matinée pour atteindre sa destination, la porte.

Quand il fut enfin devant elle, il se reposa un moment, but quelques gorgées d’eau à sa gourde, s’essuya la bouche du revers de la main et sourit.

Puis il s’assit, adossé à la porte et mangea son déjeuner. Quand il eut fini, il jeta les feuilles qui l’avaient enveloppé par dessus le rebord de la corniche et les regarda tomber, portées çà et là par les courants, jusqu’à ce qu’elles eussent disparu. Alors il alluma sa pipe et fuma paisiblement.

Une fois reposé, il se leva, fit face à la porte.

Il posa la main sur la plaque de la serrure, fit lentement une série de gestes. On entendit à l’intérieur un son musical. Il leva la main, saisit l’anneau et tira de toutes ses forces. La porte bougea lentement d’abord, puis plus vite. Il fit un pas de côté. Elle s’ouvrit complètement, le battant dépassant le rebord de la corniche.

Il y avait un autre anneau semblable au premier sur le panneau intérieur de la porte. Il le saisit, s’arc-bouta, pour empêcher la porte de se replier contre la falaise, hors d’atteinte.

Une bouffée d’air chaud sortit de l’ouverture derrière lui.

Il referma la porte, s’arrêta le temps nécessaire pour allumer une des nombreuses torches qu’il avait emportées. Puis il entra dans un couloir qui s’élargit au fur et à mesure qu’il avançait.

Le sol se mit brusquement à descendre en pente raide et au bout de cent pas, le plafond était si haut qu’il en devenait invisible.

Au bout de deux cents pas, il était au bord du puits. Il se tenait au milieu d’une immense obscurité traversée par la lumière de sa torche. Les parois avaient disparu, sauf celles derrière lui et à sa droite. Le sol disparaissait à quelques pas devant lui.

Au-delà, c’était un puits apparemment sans fond. Il ne pouvait en voir l’autre bord, mais savait qu’il était circulaire, et que sa circonférence s’élargissait au fur et à mesure qu’on descendait.