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Il commença à descendre en suivant le sentier qui tournait le long de la paroi, et il sentit l’air chaud qui montait des profondeurs. Ce sentier avait été fait de main d’homme. On le sentait, bien qu’il fût abrupt. Il était peu sûr, il était étroit, il y avait quelques petites crevasses à sa surface, ou des éboulis. Mais sa pente régulière épousant la paroi montrait qu’il avait été construit dans un but précis.

Il descendit avec précaution. À sa gauche, la paroi, à sa droite, le vide.

Au bout d’une éternité, il aperçut loin au-dessous de lui un minuscule point lumineux au milieu de l’obscurité.

En suivant la courbe de la paroi, il arriva bientôt à un endroit où la lumière fut moins lointaine ; il la vit au-dessous de lui, à sa droite.

Un autre détour du sentier, et elle était juste en face de lui.

Quand il passa devant la niche creusée dans la paroi où se cachait la flamme, il entendit en son esprit une voix qui criait :

— Libère-moi, maître, et je mettrai le monde à tes pieds !

Mais il pressa le pas, sans même jeter un coup d’œil à ce qui était presque un visage, dans l’ouverture.

D’autres lumières apparurent alors, flottant dans l’océan de ténèbres au-dessous de lui.

Le puits s’élargit encore. Il était plein à présent de lueurs, qui devinrent de plus en plus brillantes, semblables à des flammes ; mais ce n’étaient point des flammes. Il était plein de formes, de visages, d’images à demi oubliées. Et de chacune un cri s’éleva quand le voyageur passa : « Libère-moi, libère-moi ! »

Mais il ne s’arrêta point.

Il atteignit le fond du puits, le traversa dans toute sa largeur, marchant au milieu de pierres brisées, sautant au-dessus des fissures du sol rocheux. Il se trouva enfin devant la paroi opposée, dans laquelle dansait un grand feu orange.

Il devint rouge cerise quand il approcha, et quand il s’arrêta, il était bleu comme le cœur d’un saphir.

Il s’élevait, deux fois haut comme le voyageur, palpitait, se tordait. De lui des petites flammes se dirigeaient vers le voyageur, mais se rétractaient rapidement, comme si elles avaient touché une invisible barrière.

En descendant, il était passé devant tant de flammes qu’il n’avait pu les compter. Il savait aussi que d’autres encore étaient cachées dans les cavernes qui s’ouvraient sur le fond du puits.

Et comme il passait devant les flammes en descendant, chacune s’était adressée à lui, utilisant sa forme particulière de communication, si bien que les mots avaient résonné comme sur un tambour dans sa tête ; menaces, prières, promesses. Mais aucun message ne lui parvint du grand brasier bleu, plus grand que tous les autres. Aucune forme ne se tournait, ne se tordait, tentante, dans son centre éclatant. C’était une flamme, et elle resta flamme.

Il alluma une nouvelle torche et l’enfonça entre deux rochers.

— Alors, tu es revenu, toi que l’on hait !

Les mots le cinglèrent comme un coup de fouet. Il retrouva son équilibre, fit face à la flamme bleue.

— Tu t’appelles Taraka ?

— Celui qui m’a enchaîné ici devrait connaître mon nom. Ne pense pas, Siddharta, que je ne puisse te reconnaître parce que tu portes un autre corps. Je regarde les courants d’énergie qui sont ton être véritable et non la chair qui les dissimule.

— Je comprends.

— Es-tu venu te moquer de moi dans ma prison ?

— Me suis-je moqué de toi au temps où l’on vous a liés ?

— En vérité, non.

— J’ai fait ce qui devait être fait. Pour sauver ma propre espèce. Les hommes étaient faibles et peu nombreux. Ton espèce s’est abattue sur eux et les auraient anéantis.

— Vous avez volé notre monde, Siddharta. Vous nous avez enchaînés ici. Quel nouvel affront veux-tu nous infliger ?

— Il y a peut-être un moyen de réparer ces torts.

— Que veux-tu ?

— Des alliés.

— Tu veux que nous prenions part à un combat ?

— Oui.

— Et quand il prendra fin, chercheras-tu de nouveau à nous lier ?

— Pas si nous pouvons arriver auparavant à un accord.

— Quelles sont tes conditions ?

— Autrefois, ton peuple marchait, visible et invisible, dans les rues de la Cité Céleste.

— C’est vrai.

— Elle est mieux fortifiée, à présent.

— Comment ?

— Vichnou le Conservateur et Yama-Dharma, dieu de la Mort, ont couvert tout le Ciel, et non pas la ville seule comme aux temps anciens, d’un dôme qu’on dit impénétrable.

— Il n’y a pas de dômes impénétrables.

— Je ne répète que ce que j’ai entendu dire.

— Il y a bien des manières d’entrer dans une ville, Siddharta.

— Tu les découvriras pour moi ?

— C’est le prix de ma liberté ?

— Oui.

— Et les autres, ceux de mon espèce ?

— Pour être libérés, il leur faut tous accepter de m’aider à faire le siège de cette Cité.

— Libère-nous, et le Ciel tombera !

— Tu parles au nom des autres ?

— Je suis Taraka. Je parle au nom de tous.

— Comment puis-je être sûr, Taraka, que les termes du marché seront respectés ?

— Veux-tu ma parole ? Je jurerai avec plaisir sur tout ce que tu voudras.

— Quand on conclut un marché, il n’est pas tellement rassurant de voir le partenaire faire si facilement des serments. Et dans tout marché, ta force est aussi ta faiblesse. Tu es si fort que tu ne peux accorder à un autre le pouvoir de te maîtriser. Tu n’as pas de dieux aux noms desquels jurer. La seule chose que tu respecteras et paieras, c’est une dette de jeu. Mais dans cette affaire, il n’y a point matière à jeu.

— Tu as le pouvoir de nous maîtriser.

— Individuellement, peut-être, mais pas collectivement.

— Le problème est difficile, reconnut Taraka. Je donnerais tout ce que je possède pour être libre, mais je ne possède que de l’énergie, de l’énergie pure, en son essence impossible à transmettre, ou à confier à d’autres. Une force plus grande qu’elle pourrait la soumettre, mais ce n’est pas la réponse. Je ne sais vraiment pas comment t’assurer de façon satisfaisante que nous tiendrons notre promesse. Si j’étais toi, je n’aurais pas confiance en moi, c’est certain.

— Oui, c’est un dilemme. Alors, pour commencer, je vais te libérer. Toi seul. Pour que tu ailles au Pôle en reconnaissance et que tu étudies les défenses du Ciel. En ton absence, je vais réfléchir un peu plus longtemps au problème. Fais de même, et à ton retour nous pourrons peut-être arriver à un accord équitable.

— J’accepte. Libère-moi, arrache-moi à cet horrible destin.

— Connais donc mon pouvoir, Taraka. Je lie, mais je puis aussi délier. Comme cela !

La flamme bondit hors du mur.

Elle se transforma en une boule de feu, et tournoya dans le puits comme une comète ; elle brûla comme un petit soleil, éclairant les ténèbres. Elle changea de couleur tout en bougeant, si bien que les rochers illuminés étaient à la fois horribles et beaux.

Puis elle vint flotter au-dessus de la tête de l’homme qu’on appelait Siddharta, Celui qui accomplit, et lui lança des mots vibrants.

— Tu ne peux savoir le plaisir que j’ai à sentir de nouveau mes forces libérées. J’ai envie de mettre une fois encore ton pouvoir à l’épreuve.

L’homme au-dessous de lui haussa les épaules.

La boule de flamme se condensa. En se contractant, elle devint plus brillante, et se posa lentement sur le sol.

Elle resta là, tremblotante, comme un pétale tombé de quelque fleur titanesque. Puis elle glissa lentement sur le sol du Puits d’Enfer, et rentra de nouveau dans sa niche.