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— Oui. Il y a à peine un an, Indra est venu à Khaipour.

Le faux Krishna nous a fait une visite il y a trois ans. De tout le groupe des Célestes, Krishna l’Infatigable est celui qui jette la consternation parmi le personnel. Il est resté pendant un mois de désordres, il y a eu pas mal de meubles brisés, et l’on a dû faire appel à plusieurs médecins. Il a presque vidé la cave et le garde-manger. Mais il a joué de la flûte une nuit, et l’entendre suffisait pour pardonner presque tout à l’ancien Krishna. Mais ce n’était pas l’enchantement véritable d’autrefois, car il n’y a qu’un seul Krishna, brun, velu, les yeux rouges et étincelants. Celui que nous avons vu a dansé sur les tables, a fait de grands dégâts, mais son accompagnement musical était insuffisant.

— Il a payé pour ce carnage autrement qu’avec une chanson ?

— Voyons, Yama, fit Ratri en riant, à quoi bon poser ce genre de question entre nous ? Elle leva les yeux. Sûrya, le soleil, va bientôt être entouré de nuages, et Indra tue le dragon. La pluie sera là dans un instant.

Une vague grise couvrit le monastère. La brise devint plus forte, la danse de l’eau sur les murs commença. Comme un rideau de perles, la pluie ferma l’ouverture du porche.

Yama versa du thé, Ratri prit un autre bonbon.

Tak traversait la forêt. Il allait d’arbre en arbre, de branche en branche, surveillant la piste au-dessous de lui. Sa fourrure était humide, car les feuilles laissaient tomber de petites averses à son passage. Les nuages s’amassaient derrière lui, mais le soleil matinal brillait encore dans le ciel oriental et la forêt était une orgie de couleurs dans sa lumière d’or rouge. Autour de Tak, les oiseaux chantaient dans l’enchevêtrement de branches, de lianes, de feuilles et d’herbe qui s’élevait comme un mur de chaque côté de la piste. Les oiseaux faisaient leur musique, les insectes bourdonnaient, de temps à autre on entendait un grognement, un aboiement. Le vent agitait le feuillage. La piste tourna brusquement, aboutit à une clairière. Tak se laissa tomber au sol et se mit à marcher. Mais de l’autre côté de la clairière, il grimpa de nouveau dans les arbres. Il remarqua que la piste était à présent parallèle aux montagnes, s’inclinant même légèrement dans leur direction. Il y eut un lointain grondement de tonnerre et bientôt se leva de nouveau une brise fraîche. Il se balançait de branche en branche, brisant d’humides toiles d’araignées, effrayant les oiseaux, qui poussaient des cris aigus, s’envolaient, leurs brillants plumages ébouriffés. La piste allait toujours vers les montagnes, faisait un détour vers sa direction première. Parfois, elle croisait d’autres sentiers de terre battue jaune. Tak descendait alors, étudiait les traces. Oui, Sam avait tourné  ; s’était arrêté près de cette mare pour boire, là où les champignons orange étaient plus hauts qu’un homme, et assez larges pour abriter plusieurs personnes de la pluie ; Sam avait pris cette piste-là, s’était arrêté ici pour rattacher une lanière de sa sandale. Là, il s’était appuyé contre un arbre qui, à certains signes, devait abriter une dryade…

Tak suivit son homme qui avait une demi-heure d’avance sur lui. Il lui donnait ainsi le temps d’aller où il voulait, de se livrer à ces activités qui semblaient tant l’enthousiasmer. Un halo de lumière chaude dépassa les montagnes en face de lui. Il y eut un autre grondement de tonnerre. La piste montait vers les collines où la forêt s’éclaircissait, et Tak marcha à quatre pattes dans les hautes herbes. La piste montait toujours, il y eut de plus en plus de rochers affleurant à la surface. Mais Sam était passé par là, et Tak le suivait.

Au-dessus, le Pont des Dieux couleur de pollen disparut quand les nuages se déplacèrent vers l’est. Des éclairs déchirèrent le ciel, suivis rapidement par le tonnerre. Le vent devint plus fort en ces espaces découverts, courbant les hautes herbes. La température parut soudain s’élever brusquement.

Tak sentit les premières gouttes de pluie et se précipita à l’abri d’un haut rocher, semblable à une longue haie étroite, légèrement oblique face à la pluie. Tak se déplaça à sa base quand se déversèrent les eaux. Le monde perdit toute couleur quand disparut le dernier morceau de ciel bleu.

Une mer de lumière turbulente apparut au-dessus des monts et répandit trois fois des fleuves qui descendirent furieusement éclabousser l’aiguille rocheuse qui se détachait sombre dans le vent à quatre cents mètres de là sur la pente.

Quand Tak put mieux voir, il aperçut un phénomène qu’il ne comprit pas. On eût dit que chaque éclair avait abandonné une part de lui-même qui a présent, debout, ondulait dans l’air gris, lançant du feu, malgré l’eau qui tombait sans cesse.

Alors Tak entendit un rire – ou était-ce le grondement attardé du tonnerre ?

Non, c’était un rire énorme, inhumain.

Puis au bout d’un moment vint un hurlement de rage, un éclair, le tonnerre.

Une autre colonne de feu ondulait près de l’aiguille rocheuse.

Tak resta immobile quelques minutes. Et tout recommença. Le hurlement, trois éclairs, le bruit d’un écroulement.

Il y avait à présent sept piliers de feu.

Oserait-il s’approcher, faire le tour de ces choses, aller voir ce qui se passait de l’autre côté de l’aiguille rocheuse ?

Et s’il le faisait, et que Sam, comme il le pensait, fût mêlé à cela ? Comment agir, si l’Éveillé lui-même ne pouvait faire face à la situation ?

Il ne sut répondre, mais avança tout de même lentement, courbé au milieu des hautes herbes humides, faisant un large détour à gauche.

Quand il fut à mi-chemin de l’aiguille, cela se reproduisit, de ces choses maintenant se dressaient, rouge, or et jaune, vacillant, ondulant, comme si leurs bases étaient enracinées dans le sol.

Il resta accroupi, frissonnant, évalua ce qui lui restait de courage, très peu en vérité. Il continua cependant à avancer parallèlement à cet étrange endroit, puis le dépassa.

Il se releva derrière la roche et se retrouva au milieu d’un groupe de grosses pierres. Heureux de l’abri qu’elles lui donnaient, et qui empêchait qu’on pût le voir d’en bas, il avança encore plus lentement, sans détourner les yeux de l’aiguille rocheuse.

Il put voir à présent qu’elle était en partie creuse. Il y avait à sa base une caverne sèche. Deux silhouettes agenouillées. De saints hommes en prière ? Il en douta.

Brusquement le plus effrayant éclair qu’il eût encore vu descendit sur la pierre – et non pas une seule fois, ni pour un instant. On eût dit qu’un monstre à la langue de feu léchait la pierre, tout en grondant, pendant près de quinze secondes.

Quand Tak rouvrit les yeux, il compta vingt tours ardentes.

Un des saints hommes se pencha en avant, fit des gestes. L’autre rit. Tak l’entendit parler.

— Par les Yeux du Serpent, c’est à présent mon tour !

— Ta mise ? demanda le second, et Tak reconnut la voix de Sam à la Grande Âme.

— Quitte ou double, rugit l’autre, et il se pencha en avant, se balança en arrière, fit les mêmes gestes que Sam.

— Nina de Srinagina ! psalmodia-t-il, et il se pencha, se balança, refit les mêmes gestes.

— Le Sept Sacré, murmura Sam.

L’autre hurla.

Tak ferma les yeux, se boucha les oreilles, s’attendant à ce qui allait arriver après ce hurlement.

Il ne se trompait pas.

Quand la conflagration, le tumulte cessèrent, il regarda en bas et vit une scène fantastiquement illuminée. Il ne se donna pas la peine de compter. Il était évident que quarante hautes flammes se dressaient là, lançant leurs étranges lueurs. Leur nombre avait doublé.