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– Vous n'avez rien? lui demanda-t-elle.

– Vous plaisantez! dit-il en s'époussetant.

– C'est ce qu'on appelle une réaction en chaîne! reprit Zofia en se contorsionnant pour se soustraire à l’inconfort de sa position.

– Probablement, sortons de là avant que le prochain maillon nous tombe dessus, répondit Lucas en repoussant sa portière d'un coup de pied.

Il contourna la carcasse fumante pour aider Zofia à s'en extraire. Dès qu'elle fut sur ses jambes, il lui prit la main et l'entraîna en courant. Tous deux se faufilèrent à vive allure vers le centre du quartier chinois.

– Pourquoi court-on comme ça? demanda Zofia.

Lucas continua sans dire un mot.

– Je peux au moins récupérer ma main? dit-elIe, essoufflée.

Lucas délia ses doigts, la délivrant de son emprise. Il s'arrêta à la lisière d'une ruelle blafarde éclairée par quelques réverbères fatigués.

– Entrons là, dit Lucas en montrant un petit restaurant, nous y serons moins exposés.

– Exposés à quoi, qu'est-ce qui se passe? Vous avez l'air d'un renard aux aguets poursuivi par une meute de chiens.

– Dépêchons!

Lucas ouvrit la porte, mais Zofia ne bougea pas d'un centimètre, il revint vers elle pour l'entraîner à l'intérieur, elle résista.

– Ce n'est pas le moment! dit-il en la tirant par le bras.

Zofia se dégagea aussitôt et le repoussa.

– Vous venez de nous faire avoir un accident, vous m'entraînez dans une course folle alors que personne ne nous poursuit, j'ai les poumons qui vont exploser et pas la moindre explication…

– Suivez-moi, nous n'avons pas le temps de discuter.

– Pourquoi vous ferais-je confiance?

Lucas recula vers la petite échoppe. Zofia l'observait, elle hésita et finit par marcher dans chacun de ses pas. La salle était minuscule, elle comptait huit tables. Il choisit celle du fond, lui offrit une chaise et s'assit à son tour. Il n'ouvrit pas la carte que le vieil homme en costume traditionnel lui présentait et lui demanda courtoisement, en parfait mandarin, une décoction qui ne figurait pas au menu. L'homme s'inclina avant de s'effacer vers la cuisine.

– Vous m'expliquez ce qui se passe, Lucas, sinon je pars!

– Je crois que je viens de recevoir un avertissement.

– Ce n'était pas un accident? De quoi veut-on vous avertir?

– De vous!

– Mais pourquoi?

Lucas inspira avant de répondre:

– PARCE QU'ILS AVAIENT TOUT PRÉVU, SAUF QUE NOUS NOUS RENCONTRIONS!

Zofia prit une chips de crevette dans le petit bol en porcelaine bleue et la croqua lentement sous l'œil interdit de Lucas. Il lui servit une tasse du thé brûlant que le vieil homme venait de déposer sur la table.

– Je voudrais tellement vous croire, mais qu'est-ce que vous feriez à ma place?

– Je me lèverais et je quitterais cet endroit…

– Vous n'allez pas recommencer!

– … et de préférence par la porte de derrière.

– Et c'est ce que vous souhaiteriez que je fasse?

– Absolument! En ne vous retournant sous aucun prétexte, vous vous levez à trois et nous fonçons derrière le rideau. Maintenant!

Il la saisit par le poignet et l'entraîna sans ménagement. Traversant la cuisine à toute hâte, il força d'un coup d'épaule la porte qui ouvrait sur la courette. Pour se frayer un passage, il repoussa un bac à ordures dont les roues grincèrent. Zofia comprit enfin: une silhouette se découpait dans l'obscurité. A l'ombre portée par la lumière d'un lanterneau s'ajoutait celle de l'arme automatique pointée dans leur direction. Zofia eut quelques secondes pour constater d'un bref regard que trois murs les cernaient, cinq déflagrations déchirèrent le silence.

Lucas se jeta sur elle pour lui faire un rempart de son corps. Elle voulut le repousser, mais il la plaqua contre la muraille d'enceinte.

Le premier coup ricocha sur sa cuisse; le deuxième effleura le haut du bassin, il plia les genoux mais se redressa aussitôt; le troisième impact rebondit sur ses côtes, la morsure fut surprenante; le quatrième projectile fit de même contre le milieu de sa colonne vertébrale, il en eut le souffle coupé et retrouva péniblement sa respiration. Quand le cinquième projectile l'atteignit, ce fut comme une flamme qui brûlait sa chair: la cinquième balle était la première à pénétrer dans son corps… sous l'épaule gauche.

L'agresseur s'enfuit aussitôt son forfait accompli.

Quand l'écho des déflagrations s'estompa, il n'y eut plus que la seule respiration de Zofia pour venir troubler le silence. Elle le serrait au creux de ses bras, la tête de Lucas reposait sur son épaule. Les yeux clos, il semblait lui sourire encore. Elle berçait son corps inerte et murmura à son oreille:

– Lucas?

Il ne répondit pas, elle le secoua un peu plus vivement.

– Lucas, ne faites pas l'idiot, ouvrez les yeux!

Les yeux clos, il semblait dormir, aussi paisiblement qu'un enfant abandonné dans son sommeil. Et plus la peur montait en elle, plus elle l'étreignait. Quand une larme lui vint à la joue, elle ressentit une force inouïe comprimer sa poitrine. Elle eut un hautle-cœur.

– Cela ne pouvait pas nous arriver, nous sommes…

– … Déjà morts… invincibles… immortels? Oui! À tout inconvénient son avantage, n'est-ce pas? dit-il en se redressant, presque jovial.

Zofia le dévisagea, incapable de cerner l'humeur qui la gagnait. Il approcha lentement son visage du sien, elle se refusa, jusqu'à ce que les lèvres de Lucas viennent effleurer les siennes esquissant un baiser au goût opiacé. Elle recula et regarda la paume empourprée de sa main.

– Alors pourquoi saignes-tu?

Lucas suivit le filet rouge qui coulait le long de son bras.

– C'est absolument impossible, ça non plus ce n’etalt pas prévu! dit-il.

… Puis il s'évanouit.

Elle le retint dans ses bras refermés.

– Qu'est-ce qui nous arrive? demanda Lucas en reprenant ses esprits.

– En ce qui me concerne, c'est assez compliqué! En ce qui te concerne, je crois qu'une balle a traversé ton épaule.

– Ça me fait mal!

– Cela te semble peut-être illogique mais c'est normal, il faut t'emmener à l'hôpital.

– Hors de question!

– Lucas, je n'ai aucune connaissance médicale en démonologie, mais il semble que tu as du sang et que tu es en train de le perdre.

– Je connais quelqu'un à l'autre bout de la ville qui peut recoudre cette blessure le temps qu'elle cicatrise, dit-il en appuyant sur la plaie.

– Moi aussi je connais quelqu'un, et tu vas me suivre sans discuter, parce que la soirée a été suffisamment mouvementée comme ça. Je crois que j'ai mon compte d'émotions.

Elle le soutint et l'entraîna dans la ruelle. Au bout du passage, elle avisa le corps de leur agresseur qui reposait inanimé sous un enchevêtrement de poubelles. Zofia regarda Lucas, étonnée.

– J'ai un minimum d'amour-propre quand même! dit-il en le dépassant.

Ils arrêtèrent un taxi, qui les déposa dix minutes plus tard devant chez elle. Elle le guida vers le perron et lui fit signe de ne pas faire de bruit. Elle ouvrit la porte avec mille précautions, et ils montèrent l'escalier à pas feutrés. Lorsqu'ils arrivèrent sur le palier, la porte de Reine se referma silencieusement.

*

Tétanisé derrière son bureau, Blaise éteignit son écran de contrôle. Ses mains dégoulinaient, son front perlait d'une sueur abondante. Lorsque la sonnerie du téléphone retentit, il enclencha le répondeur et entendit Lucifer qui le conviait d'une voix peu avenante au comité de crise qui se tiendrait au lever de la nuit orientale.

– Tu as intérêt à être à l'heure avec des solutions et une nouvelle définition de «tout est prévu!», acheva Président avant de raccrocher brutalement.