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Le directeur de l'hôtel leur avait réservé une suite au sixième étage, le plus haut. Ils avaient été enregistrés dans l'établissement au nom de Oliver et Mary Sweet. Pilguez avait haussé les épaules en expliquant qu'il n'y avait rien de mieux pour attirer l'attention que les Doe et les Smith. Avant de les laisser, il leur recommanda de ne pas quitter leur chambre et de faire appel au room service pour se restaurer. Il leur donna le numéro de son beeper et les informa qu'il viendrait les chercher le lendemain avant midi.

S'ils s'ennuyaient, ils pourraient commencer la rédaction d'un rapport sur les événements de la semaine, ce serait autant de travail en moins pour lui. Lucas et Zofia le remercièrent suffisamment pour qu'il en soit gêné et il partit, la mine bourrue, agrémentant son «au revoir» de quelques «Ça va, ça va». Il était vingt-deux heures, la porte de la suite se refermait sur eux.

Zofia se rendit à la salle de bains. Lucas s'allongea sur le lit, prit la télécommande et fit défiler les chaînes. Les programmes le firent rapidement bâiller. Il éteignit la télévision. Il entendait l'eau couler derrière la porte, Zofia prenait une douche. Alors, il regarda la pointe de ses chaussures, remit en place le revers de son pantalon, en épousseta les deux genoux et tira sur le pli. Il se leva, ouvrit le minibar, qu'il referma aussitôt, avança près de la fenêtre, souleva le voilage, avisa le parking désert et retourna s'allonger. Il observa sa cage thoracique qui se gonflait et se dégonflait au fur et à mesure des mouvements de sa respiration, soupira, inspecta l'abatjour de la lampe de chevet, déplaça le cendrier légèrement sur la droite et fit coulisser le tiroir de la table de la nuit. Son attention fut attirée par la petite couverture cartonnée de l'ouvrage, gravée au sigle de l'hôtel; il le prit et commença à lire. Les premières lignes le plongèrent dans un effroi absolu. Il continua sa lecture en tournant les pages de plus en plus vite. Au septième feuillet, il se leva hors de lui et alla frapper à la salle de bains.

– Je peux entrer?

– Une seconde, demanda Zofia en enfilant un pelgnoir.

Elle ouvrit et le trouva fulminant, faisant les cent pas au seuil de la porte.

– Qu'est-ce qu'il y a? demanda-t-elle, inquiète.

– Il y a que plus personne ne respecte rien!

Il agita le petit livre qu'il tenait dans la main et poursuivit en désignant la couverture:

– Ce Sheraton a entièrement pompé le livre de Hilton! Et je sais de quoi je parle, c'est mon auteur préféré.

Zofia lui prit l'ouvrage des mains et le lui rendit aussitôt. Elle haussa les épaules:

– C'est la Bible, Lucas!

À son air interrogatif, elle ajouta d'un air désolé: – Laisse tomber!

Elle n'osait pas lui dire qu'elle avait faim, il le devina à la façon dont elle feuilletait le livret du service d'étage.

– Il y a une chose que je voudrais comprendre une bonne fois pour toutes, demanda-t-elle. Pourquoi mettent-ils des horaires devant les menus? Ça sousentend quoi? Que passé dix heures trente le matin ils doivent absolument ranger leurs corn flakes dans un coffre-fort avec une serrure à horodateur qui ne s'ouvrira plus avant le lendemain? C'est bizarre, quand même! Et si tu as envie de céréales à dix heures trente, mais du soir! Et regarde, ils font pareil avec les crêpes! De toute façon, tu n'as qu'à mesurer la longueur du cordon de leur sèche-cheveux dans la salle de bains et tu as tout compris! Celui qui a inventé le système devait être chauve; il faut que tu te colles à dix centimètres du mur pour te réchauffer une mèche.

Lucas la prit dans ses bras et la serra contre lui pour la calmer.

– Tu es en train de devenir exigeante!

Elle regarda autour d'elle et rougit.

– Peut-être!

– Tu as faim!

– Pas du tout!

– Je crois que si!

– Un petit quelque chose à grignoter alors, mais pour te faire plaisir.

– Des Frosties ou des SPecial K?

– Ceux qui font «Snap, Crackle, Pop» quand tu les croques?

– Rice Krispies! Je m'en occupe.

– Sans lait!

– Pas de laitage, accorda Lucas en décrochant le téléphone.

– Mais du sucre, plein de sucre!

– Je m'en occupe aussi!

Il raccrocha et vint s'asseoir à côté d'elle.

– Tu ne t'es rien commandé? dit-elle.

– Non, je n'ai pas faim, répondit Lucas.

Après que le room service eut délivré sa commande, elle prit une serviette-éponge et dressa le couvert sur le lit. À chaque cuillerée avalée, elle en enfournait une dans la bouche de Lucas qui l'acceptait de bonne grâce. Un éclair zébra le ciel dans le lointain. Lucas se leva et ferma les rideaux. Il revint s'allonger près d'elle.

– Demain, je trouverai une solution pour que nous leur échappions, dit Zofia. Il doit bien y avoir un moyen.

– Ne dis rien, murmura Lucas. J'aurais voulu des dimanches fantastiques, vivre des demains avec toi en rêvant qu'il y en aurait plein d'autres, mais il ne nous reste qu'une seule journée, et celle-là, je veux que nous la vivions vraiment.

Le peignoir de Zofia se défit légèrement, il en referma les pans, elle posa ses lèvres sur les siennes et murmura:

– Déchois-moi!

– Non, Zofia, les petites ailes tatouées sur ton épaule te vont trop bien et je ne veux pas que tu les brûles.

– Je veux repartir avec toi.

– Pas comme ça, pas pour ça.

Il chercha à tâtons l'interrupteur de la lampe, Zofia se blottit tout contre lui.

Dans sa chambre d'hôpital, Mathilde éteignit la lumière. Cette nuit encore, elle s'endormirait juste au-dessus du lit de Reine. Les cloches de la cathédrale sonnèrent minuit.

Il y eut une nuit, il y eut un matin…

Sixième Jour

Elle s'était avancée jusqu'à la fenêtre sur la pointe des pieds. Lucas dormait encore. Elle avait ouvert les rideaux sur l'aube d'un matin de novembre. Elle regarda le soleil qui perçait la brume et se retourna pour contempler Lucas qui s'étirait.

– Tu as dormi? demanda-t-il.

Elle s'enroula dans son peignoir et colla son front à la vitre.

– Je t'ai commandé un petit déjeuner, ils ne vont pas tarder à frapper, je vais aller me préparer.

– C'est si urgent que ça? dit-il en prenant son poignet pour l'entraîner vers lui.

Elle s'assit sur le bord du lit et passa sa main dans les cheveux de Lucas.

– Tu sais ce que c'est que le Bachert? lui demanda-t-elle.

– Ça me dit quelque chose, j'ai dû lire ce mot quelque part, répondit Lucas en plissant le front.

– Je ne veux pas que nous abandonnions.

– Zofia, nous avons l'enfer à nos trousses, il nous reste jusqu'à demain et aucun endroit pour fuir. Restons là, tous les deux, et vivons le temps qui nous est offert.

– Non, je ne me résoudrais pas à leur volonté. Je ne suis pas un pion sur leur échiquier et je veux trouver le mouvement qu'ils n'avaient pas prévu. Il y a toujours un rebelle qui se cache parmi les impossibles.

– Mais là, tu parles d'un miracle, et ce n'est vraiment pas mon rayon…

– C'est supposé être le mien! dit-elle en se levant pour ouvrir au service d'étage.

Elle signa la note, referma la porte et poussa la table roulante jusqu'à la chambre.

– Je suis trop loin de leurs pensées maintenant pour qu'ils puissent m'entendre, dit-elle en remplissant la tasse.

Elle prit les céréales qu'elle recouvrit de trois sachets de sucre.

– Tu ne veux vraiment pas de lait? demanda Lucas.

– Non merci, c'est tout mou après.

Elle regarda par la fenêtre la ville qui s'étendait au loin et sentit la colère monter.

– Je ne peux pas regarder ces murs tout autour de moi et me dire qu'ils ont plus d'immortalité que nous désormais, ça me rend folle de rage.