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– Bienvenue sur la Terre, Zofia!

Lucas se leva et laissa la porte de la salle de bains entrouverte. Zofia repoussa le plateau, songeuse. Elle se leva, arpenta le petit salon, revint vers la chambre et s'allongea sur le lit. Sur la table de nuit, le petit livre éveilla son attention, elle bondit sur ses pieds.

– Je connais un endroit! cria-t-elle à Lucas.

Il passa la tête par la porte entrebâillée, une volute de buée entourait son visage.

– Moi aussi je connais plein d'endroits!

– Je ne plaisante pas, Lucas!

– Moi non plus, dit-il d'un air taquin. Tu m'en dis un peu plus? Dans cette position j'ai à moitié chaud et à moitié froid, il y a un gros écart de température entre les deux pièces.

– Je connais un lieu sur la Terre où plaider notre cause.

Elle avait l'air si triste et si troublée, si fragile dans son espoir, que Lucas s'en inquiéta.

– Quel est cet endroit? demanda-t-il d'une voix grave.

– Le vrai toit du monde, la montagne sacrée où tous les cultes cohabitent et se respectent, le mont Sinaï. Je suis sûre que, de là-haut, je pourrai encore parler à mon Père et Lui peut-être m'entendra.

Lucas regarda l'horloge du magnétoscope.

– Renseigne-toi sur les horaires, je m'habille et je reviens tout de suite.

Zofia se précipita sur le téléphone et composa le numéro des renseignements aériens. Le disque lui promit qu'un opérateur traiterait très bientôt sa demande. Impatiente, elle regarda par la fenêtre une mouette qui prenait son envol. Quelques ongles rongés plus tard, personne n'avait pris son appel, Lucas arriva dans son dos et l'entoura de ses bras pour murmurer:

– Au moins quinze heures de vol, auxquelles il faut ajouter dix de décalage horaire… lorsque nous arriverons, nous ne pourrons même plus nous dire adieu sur un trottoir d'aéroport, ils nous auront déjà séparés depuis longtemps. Il est trop tard, Zofia, le toit de ton monde est trop loin d'ici.

Le combiné du téléphone retrouva sa place. Elle se retourna pour plonger ses yeux au fond des siens et ils s'embrassèrent, pour la première fois.

*

Bien plus au nord, la mouette vint se poser sur une autre balustrade. De sa chambre d'hôpital, Mathilde laissa un message sur le portable de Zofia et raccrocha.

*

Zofia recula de quelques pas.

– Je connais un moyen, dit-elle.

– Tu ne renonceras pas!

– À l'espoir? Jamais! Je suis programmée pour ça! Finis vite de te préparer et fais-moi confiance.

– Je ne fais que ça!

Dix minutes plus tard, ils sortirent sur le parking de l'hôtel et Zofia se rendit compte qu'il leur fallait une voiture.

– Laquelle? demanda Lucas d'un air désabusé en regardant le parc des véhicules en stationnement.

À la demande de Zofia, il se résigna à «emprunter» la plus discrète. Ils reprirent aussitôt la Highway 101, cette fois en direction du nord. Lucas voulut savoir où ils se rendaient, mais Zofia, plongée dans son fourre-tout à la recherche de son téléphone, ne lui répondit pas. Elle n'eut pas le temps de composer le numéro de l'inspecteur Pilguez pour le prévenir de ne pas se déranger, sa messagerie sonna, elle prit l'appeclass="underline"

«C'est moi, c'est Mathilde, je voulais te dire de ne plus te faire de soucis. Je leur ai tellement pourri la matinée qu'ils me laisseront sortir avant midi. J'ai appelé Manca, il viendra me chercher pour me ramener chez moi, et puis il m'a promis qu'il passerait tous les soirs m'apporter à dîner, jusqu'à ce que je sois remise… peut-être que je ferai un peu durer la chose… L'état de Reine n'a pas évolué, on ne peut pas lui rendre visite, elle dort. Zofia, il y a des choses que l'on dit en amour et que l'on n'ose pas en amitié, alors voilà, tu as été bien plus que la clarté de mes journées ou la complice de mes nuits, tu as été et tu restes mon amie. Où que tu ailles, bonne route. Tu me manques déjà.»

Zofia pressa le petit bouton de toute la force de ses doigts et son portable s'éteignit; elle le laissa choir au fond du sac.

– Roule vers le centre de la ville.

– Où nous emmènes-tu? demanda Lucas.

– Dirige-toi vers le Transamerica Building, la Tour en forme de pyramide, sur Montgomery Street. Lucas s'immobilisa sur la bande d'arrêt d'urgence.

– À quoi tu joues?

– On ne peut pas toujours compter sur les voies aériennes, mais celles du ciel restent impénétrables, démarre!

La vieille Chrysler reprit sa route, dans le silence le plus absolu. Ils quittèrent la 101 à l'embranchement de 3rd Street.

– Nous sommes vendredi? demanda Zofia, soudainement inquiète.

– Hélas! répondit Lucas.

– Quelle heure il est?

– Tu m'avais demandé une voiture discrète! Tu noteras que celle-ci ne donne même pas l'heure! Il est midi moins vingt!

– On doit faire un détour, j'ai une promesse à tenir, roule vers l'hôpital, s'il te plaît.

Lucas bifurqua pour remonter California Street, et dix minutes plus tard ils entraient dans l'enceinte du complexe hospitalier. Zofia lui demanda de se garer devant l'unité de pédiatrie.

– Viens, dit-elle en refermant sa portière.

Il la suivit dans le hall jusqu'aux portes de l'ascenseur. Elle prit sa main dans la sienne, l'entraîna et appuya sur le bouton. La cabine s'éleva jusqu'au septième étage.

Au milieu du couloir où d'autres enfants jouaient, elle reconnut le petit Thomas. Il lui sourit en la voyant, elle lui rendit son bonjour d'un signe de tendresse et s'avança vers lui. Elle reconnut l'ange qui se tenait à son côté. Elle se figea et Lucas sentit alors la main de Zofia serrer la sienne. L'enfant reprit celle de Gabriel et continua son chemin vers l'autre bout du corridor sans jamais la quitter des yeux. À la porte qui donnait sur le jardin d'automne, le petit garçon se retourna une dernière fois. Il ouvrit sa main en grand et souffla un baiser dans sa paume. Il ferma ses paupières et, tout en sourire, disparut dans la pâle lumière de cette fin de matin. À son tour Zofia ferma les yeux.

– Viens, lui murmura Lucas en l'entraînant. Quand la voiture quitta le parking, elle eut un haut-le-cœur.

– Tu parlais de certains jours où le monde se referme sur nous? dit Zofia. C'est une de ces journées-là.

Ils roulèrent à travers la ville sans se dire un mot. Lucas ne prit aucun raccourci, bien au contraire, les chemins qu'il choisit furent les plus longs. Il roula au bord de l'océan et s'arrêta. Elle l'emmena marcher sur la plage bordée d'écume.

Ils arrivèrent une heure plus tard au pied de la Tour. Zofia tourna trois fois autour du bloc sans trouver une place de stationnement.

– On ne paye pas les PV des voitures volées! dit-il en levant les yeux au ciel. Gare-toi n'importe où!

Zofia se rangea le long du trottoir réservé aux livraisons. Elle se dirigea vers l' entrée est, Lucas lui emboîta le pas. Lorsque la dalle bascula dans la paroi, Lucas eut un mouvement de recul.

– Tu es sûre de ce que tu fais? demanda-t-il, inquiet.

– Non! Suis-moi!

Ils parcoururent les couloirs qui conduisaient au grand hall. Pierre était derrière son comptoir, il se leva en les voyant.

– Tu ne manques pas de culot de l'amener ici! dit-il à Zofia d'un air outré.

– J'ai besoin de toi, Pierre.

– Est-ce que tu sais que tout le monde te cherche et que tous les gardiens de la Demeure sont à vos trousses. Qu'as-tu fait, Zofia?

– Je n'ai pas le temps de t'expliquer.

– C'est bien la première fois que je vois quelqu'un de pressé ici.

– Il faut que tu m'aides, je ne peux compter que sur toi. Je dois me rendre au mont Sinaï, donne-moi l'accès au passage qui y conduit par Jérusalem.

Pierre se frotta le menton en les dévisageant tous les deux.