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— Je ne pensais pas que tu reviendrais, dit-elle.

— Je n’ai jamais eu l’intention de ne pas revenir. Je n’essayais pas de disparaître. Seulement de partir un peu afin de réfléchir.

— Et tu as réussi ?

— Je l’espère. Je ne vais pas tarder à le savoir.

— Je ne te poserai pas de question.

— Non. Ne cherche pas.

Elle sourit.

— Je suis heureuse de ton retour. Si ce n’est que je m’inquiète de te savoir en danger.

— Si je ne m’inquiète pas, pourquoi devrais-tu le faire ?

— Je n’ai pas besoin de répondre à cela. Sa voix est enrouée, presque théâtrale. Tu m’as manqué, Shadrak. J’ai été surprise de voir à quel point tu m’avais manqué. Tu n’aimes pas m’entendre dire ce genre de chose, n’est-ce pas ?

— Qu’est-ce qui te donne cette idée ?

— Ton visage. Tu as l’air tellement mal à l’aise. Tu ne supportes pas de mots tendres de ma part. Tu ne trouves pas convenable que le Dr Lindman, la dure, la mauvaise, parle de cette façon.

— Je ne suis pas habitué à te voir ainsi, c’est tout. C’est un aspect de toi qui ne m’est pas familier.

— Même la manière dont je suis habillée ce soir te déplaît probablement. Mais je peux redevenir l’autre Katya, si tu le désires. Attends-moi. Je vais aller remettre ma blouse de labo.

Elle donne presque l’impression de parler sérieusement.

— Arrête. Il lui prend la main. Tu es très belle ce soir.

— Merci. D’une voix métallique. Elle retire sa main.

— Mais c’est vrai. Et je suis censé le dire, et je l’ai dit. C’est la règle du jeu. Maintenant, tu es censée dire…

— Arrêtons de jouer, Shadrak. D’accord ?

— D’accord. Est-ce pour toi ou pour moi que tu t’es habillée comme ça ?

— Pour tous les deux.

— Ah ! Rien que pour le plaisir, hein ? Parce que tu te sentais l’envie de faire un numéro sexy. C’est ça ?

— C’est ça. On en reste là ?

— D’accord. On en reste là.

— Tu acceptes que je te dise que tu m’as manqué ? Ne m’oblige pas à être une sorte de machine. Shadrak. Ne m’oblige pas à coller à l’image que tu as de moi. Je ne te demande pas de dire que je t’ai manqué. Mais laisse-moi exprimer ce que je ressens. Donne-moi le droit d’être sotte de temps à autre, le droit d’être douce, d’avoir des contradictions, si j’en ai envie. Sans t’interroger pour savoir laquelle est la vraie Katya. Je suis toujours la vraie Katya, quel que soit le personnage du moment. D’accord ?

— D’accord. Il lui prend de nouveau la main, et cette fois elle ne la retire pas. Que s’est-il passé en mon absence ? demande-t-il au bout d’un moment.

— Je suppose que tu as entendu parler des maux de tête du khan ?

— Bien sûr. C’est pour cela que j’ai choisi de rentrer dès le moment où j’ai commencé de capter les données de la télémesure, à Pékin.

— Est-ce quelque chose de grave ?

— Nous allons devoir opérer. Dès qu’un certain appareil que j’ai commandé sera prêt.

— Les opérations du cerveau ne sont-elles pas particulièrement risquées ?

— Pas autant que tu pourrais le croire. Mais le khan n’en aime pas l’idée – les lasers qui vont fouiner à l’intérieur de son crâne, etc. Je ne l’ai jamais vu paniquer comme ça à cause d’une opération. Mais il s’en sortira. Qu’est-il arrivé d’autre ?

— Il y a eu les funérailles.

— Je sais. Je me trouvais à Jérusalem – ou à Istanbul. J’ai vu des photos par la suite.

— C’était monstrueux. Ça a duré des jours et des jours. Dieu sait ce que ça a pu coûter. Toute la vie s’est pratiquement arrêtée pendant qu’on a eu droit aux discours, aux processions, aux fanfares, aux défilés aériens, à toutes sortes de rites et de célébrations. Avec Gengis Mao trônant au milieu de la place, en train de boire du petit-lait.

— Dommage que j’aie raté ça.

— Je suis sûre que tu en as eu le cœur brisé.

— Oui. Absolument. Ils rient tous les deux. Shadrak commence à penser qu’il aime bien l’allure qu’elle a dans cette robe. Il reprend : Et quoi, encore ? Comment marche ton projet ?

— Très bien. Nous possédons déjà les équivalents de dix-sept caractéristiques cinétiques. Nous avons progressé davantage au cours des trois dernières semaines que dans les trois mois précédents.

— Bien. Je veux que ton automate soit achevé rapidement. Je veux que ton projet soit le premier à être opérationnel.

— As-tu parlé à Nikki depuis ton retour ?

— Non. Pas encore.

— J’ai entendu dire qu’Avatar aussi progressait rapidement. On raconte qu’ils ont pratiquement fini de passer des paramètres de Mangu à ceux de… du nouveau donneur. Ils ont des semaines d’avance sur le programme. Ça me fait peur, Shadrak.

— Il n’y a pas de quoi.

— Je ne peux pas m’empêcher de penser… et si… si jamais ils se mettent vraiment à…

— Ils ne le feront pas. Ça n’arrivera pas. J’ai trop de valeur aux yeux de Gengis Mao tel que je suis.

— « La redondance est la voie principale de notre survie », souviens-toi. À ton avis, combien de médecins y a-t-il qui attendent au portillon ? Entièrement équipés avec implants de télémesure et tout le nécessaire ?

— Aucun.

— Peux-tu en être sûr ?

— Buckmaster saurait si on a fabriqué, à un moment ou à un autre, un double des implants. Or, il n’a jamais rien entendu dire de tel.

— Buckmaster est mort, Shadrak.

Il ne relève pas la remarque.

— Je sais qu’il n’existe aucun double de Shadrak Mordecai en train d’attendre quelque part que la place soit libre. Je mesure à présent combien Gengis Mao dépend de moi et exclusivement de moi, l’irremplaçable Shadrak. Quelque chose me dit que, dans un proche avenir, je vais devenir beaucoup moins « redondable », et beaucoup plus indispensable. Je ne m’inquiète pas au sujet d’Avatar, Katya.

— J’espère que tu sais ce que tu fais.

— Moi aussi.

Il fait un signe en direction de la sortie, juste au-dessous du grand portrait de ce pauvre Mangu au regard vide.

— Allons en haut, suggère-t-il.

Elle sourit et approuve de la tête.

C’est le matin de l’opération. Gengis Mao repose sur le billard. Il est couché sur le ventre, éveillé, pleinement conscient. De temps à autre, il relève la tête pour observer d’un œil mauvais les médecins assemblés autour de lui – Shadrak, Warhaftig et le neurologue consultant qui assiste Warhaftig, un Israélien nommé Malin. Il n’y a pas à se tromper sur la nature du regard du khan : il est terrifié. Il tente de dissimuler sa peur en fanfaronnant comme à son habitude, mais il n’y parvient pas. D’ici dix minutes, les lasers chirurgicaux vont percer un trou dans son crâne, et cette perspective ne l’enchante pas. Sans ces maux de tête – dont les effets sont à présent visibles, sous forme de grimaces et tics impériaux –, rien de tout ceci n’arriverait.