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— Vous êtes en train de nous dire qu’un seul don du sang peut contaminer des centaines de personnes par le biais de transfusions et de médicaments fabriqués à partir du sang ?

— C’est ce que je suis en train de vous dire, oui. L’autre mauvaise nouvelle, c’est que, si la France est autosuffisante en globules rouges, le plasma et les médicaments qui en sont dérivés sont, eux, soumis au marché international. On les exporte dans de nombreux pays.

Ainsi, la maladie pouvait sortir de France. Les produits sanguins risquaient de contaminer d’autres innocents, n’importe où dans le monde. Innocents qui pouvaient aussi, peut-être, propager cette maladie dont on ne connaissait rien.

Un lourd silence les ensevelit, vite perturbé par les différents téléphones qui sonnaient ou vibraient. Sous l’impulsion de Manien qui lâcha un « On fait une pause », chacun se mit à répondre, à aller et venir. Ambiance de crise sanitaire grave. Franck et Lucie avaient déjà connu ça, deux ans plus tôt : les microbes, les maladies, nouvelles armes des assassins modernes. Indétectables. Destructrices. Meurtrières. Si l’affaire s’ébruitait, si les médias apprenaient qu’une saloperie se baladait dans le circuit du sang, on courait à la catastrophe.

Lucie s’approcha de Franck, toujours à la même place, le nez dans son carnet.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— C’est ce schéma que j’ai réalisé durant les explications de Marcus Malmaison. La société Cerberius, appartenant au groupe WHC, fait des recherches sur la sécurisation du circuit du sang. Regarde… Il est question de filtres.

— Et ?

— Je ne sais pas. Il n’y a sans doute aucun rapport, mais… cette coïncidence m’a immédiatement traversé l’esprit. N’oublions pas que c’est le centre Plasma Inc. d’El Paso qui semble être à l’origine d’une vague de contaminations au Mexique. Plasma Inc. qui contamine d’un côté, Cerberius qui est à la pointe de la sécurité de l’autre, les deux sociétés appartenant à la même nébuleuse…

Sur ces questionnements, Franck alla voir Jacques pour se renseigner sur ses avancées au sujet de l’organigramme de Plasma Inc.

— J’ai passé des coups de fil, fit Levallois. J’attends des retours, je continue à débroussailler.

Derrière eux, Chélide venait de s’accroupir devant les tableaux de Mev Duruel, posés sous la fenêtre. Il tenait entre ses mains celui avec le crocodile.

— Les fameux tableaux… Expliquez-moi.

Tout le monde était revenu dans l’open space. Chélide se tourna vers Manien, qui lui-même se tourna vers Sharko.

— Je vous ai parlé de Mev Duruel tout à l’heure, fit Franck. C’est elle qui peint ce genre de scènes. La jungle, les têtes suspendues aux branches, et surtout des individus qui, eux non plus, ne semblent plus avoir peur du danger. Possible qu’eux aussi aient été atteints par ce mal. On pense que Duruel a vécu sa petite enfance au fond de la jungle vers la fin des années 1950. Peut-être la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Une zone cannibale, pense-t-on, car son père adoptif sillonnait ces régions-là à l’époque et Mev Duruel se nourrissait d’organes d’animaux quand elle a été récupérée.

L’anatomopathologiste se redressa, se tenant le menton.

— Maladie à prions… Papouasie-Nouvelle-Guinée… Années 1950… Je suis certain d’avoir déjà lu ça quelque part. Dans un article, une vieille revue de science ou au fond d’archives. Ça remonte peut-être même à la fac. Je vais essayer de vous retrouver les sources.

Walkowiak lui tendit sa carte de visite.

— Si vous trouvez, appelez-moi, que je sois au courant.

Chélide acquiesça et empocha la carte. Pascal se leva de son bureau et vint rejoindre le groupe.

— Excusez-moi de vous interrompre. Ça y est, on a fait des recherches sur les identités des donneurs de sang de Pinault, Rubbens et Mourtier. D’après les fichiers de la Sécu, il n’existe pas de Félix Magniez ni de Thierry Lopez nés un 8 janvier 1989. Mais en revanche, Cédric Lassoui, dont le sang a été transfusé à Carole Mourtier, existe bel et bien, il habite un quartier chaud d’Aubervilliers. Casier assez chargé, petite délinquance classique : vols à l’arraché, agressions, drogue…

Les yeux de Manien brillèrent.

— Ça veut dire qu’on tient potentiellement l’un des membres de la secte qui refourgue son sang malade. J’appelle le juge. On va taper Lassoui demain, à la première heure. Je vais solliciter de nouveau la BRI, pas de risques. Si ce salopard est lui aussi touché au cerveau, il n’aura pas peur de se faire flamber ou de sauter par la fenêtre à la moindre alerte. On doit à tout prix le coincer vivant et lui faire cracher tout ce qu’il sait.

79

En ce début de soirée, ils étaient quatre autour de la table. Deux adultes, deux enfants. Une famille unie, de classe moyenne, avec ses hauts et ses bas — surtout ses bas. Sharko observait ses deux fils, confortablement installés sur leurs chaises évolutives, le nez plongé dans leur purée. Il avait toujours veillé à ce qu’ils ne manquent de rien, quitte à se serrer la ceinture. Il les voyait déjà entrer à l’école primaire — celle des grands, puis affronter le collège où ils connaîtraient leurs premiers émois amoureux, les premiers échecs, aussi. Plus tard, l’un s’orienterait peut-être vers la médecine, l’autre vers l’architecture ou l’aviation. Mais peu importait le métier : chacun à leur manière, ils aideraient le monde à tourner, ils accompliraient de beaux projets, auraient une vie dont lui, leur père, serait fier, avant qu’arrivent les petits-enfants, le plus nombreux possible pour égayer la maison. Avec Lucie, ils auraient tous les deux des cheveux blancs, des os fatigués, mais ils seraient heureux. Sharko ne demandait rien de plus. Juste un bonheur simple, accessible, auquel chacun sur cette Terre devrait avoir droit.

Il secoua la tête quand il entendit le téléphone de Lucie vibrer. Retour à la réalité, celle où des salopards polluaient le sang et contaminaient des innocents, la tête farcie de convictions débiles.

Lucie décrocha, tandis que Janus léchait les doigts chargés de purée que lui tendait Jules. Sharko comprit que Jaya était à l’autre bout de la ligne, que Nicolas, après avoir débarqué ici la veille, venait d’aller frapper à la porte du domicile de leur nounou. Elle ne l’avait pas laissé entrer, mais elle paniquait, désormais : comment avait-il obtenu son adresse ? L’avait-il suivie ? Il était plus de 20 heures ! Lucie la rassura du mieux qu’elle put : Nicolas était policier et ne lui ferait jamais de mal. Son doigt tremblait lorsqu’elle appuya pour raccrocher.

Franck se leva d’un coup, chassant si fort sa chaise sur le côté que les jumeaux sursautèrent. Il n’avait pas touché à son assiette.

— Je vais le tuer. Je te jure que je vais le tuer.

Il se précipita sur ses clés de voiture et se dirigea vers la sortie. Lucie fonça pour lui faire barrage, elle avait vu la veine s’épaissir sur son front et était terrifiée de voir ses yeux si noirs : les mêmes que ceux apparus dans la cave de Ramirez.