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— Faudra tout m’éplucher, lança Manien.

— Bien… Pour l’Audi, j’ai scanné l’immat, il l’a achetée d’occase il y a deux ans pour pas grand-chose. L’IJ a relevé les empreintes sur le volant, les poignées de porte et le coffre, on verra les retours… Voilà, c’est à peu près tout.

Manien acquiesça et revint sur la photo de la victime.

— Ramirez a morflé. Les coupures, les sangsues, puis la balle dans la gorge pour en finir. Jack ne s’est pas contenté de l’abattre comme un chien. Il a déployé une certaine forme d’ingéniosité perverse comme on en voit rarement. Il a utilisé les sangsues que Ramirez élevait dans un aquarium pour le mettre à mort, et aussi pour nous orienter vers la cave.

Il scruta les visages devant lui, les mains à plat sur la table.

— Bon, la priorité, c’est la fille qui s’est tirée par le toit. Vous m’interrogez les clients de Ramirez, ses créanciers, vous retrouvez ses fréquentations. Vous apportez tout ce qui est susceptible de nous renseigner. Je vais m’arranger pour faire tenir le flagrant délit sur plusieurs jours, ça facilitera les mises en garde à vue et les éventuelles perquises. On doit mettre la main sur la nana aux menottes. Vous me retrouvez aussi cette victime qu’il a essayé de violer par le passé, au cas où.

Manien ausculta les feuilles devant lui.

— Paul, tu nous fais un point rapide sur l’autopsie ?

— Je vous envoie le rapport demain. Les résultats toxico et anapath arriveront dans la semaine et devraient vous donner des indications sur le mode opératoire de… de ce Jack. Comme je l’ai dit ce matin, j’ai relevé vingt et une plaies réparties sur tout le corps, et a priori chacune contenait une sangsue qui s’est gorgée de sang. Ce qui laisse supposer une longue et douloureuse agonie. Cependant, le mode opératoire précis reste à découvrir, à savoir : votre Jack a-t-il d’abord tué Ramirez d’une balle dans la gorge avant de le mutiler ? L’inverse ? Un mix des deux ? Il va falloir attendre les résultats des analyses. En tout cas, le corps a été exécuté dans cette position, au fond de cette cave sordide, et n’a pas été déplacé.

Avec son stylo, Manien désigna la photo d’une sangsue.

— Qu’est-ce que Ramirez fichait avec ça dans un aquarium ? Juste de l’élevage ? Une passion pour ces drôles de bestioles ? Pourquoi on les a glissées dans ses plaies ? Ça doit bien avoir une signification. Merci, Paul. Rien d’autre ? On te libère…

Le légiste se leva et les salua d’un geste.

— Sharko, à toi, fit Manien.

Franck avait regroupé ses poings devant lui, les coudes sur la table. L’air calme et détaché.

— C’est la présence d’une belle quantité de chaux vive à la cave qui nous a mis la puce à l’oreille. En général, ceux qui enterrent des corps dans leur jardin le laissent à l’abandon pour dissuader les visiteurs éventuels et pour cacher les mouvements de terre. Avec le bulldozer, on a retrouvé les cadavres de dix chats, enveloppés dans des plastiques biodégradables et recouverts de chaux vive, à différents degrés de décomposition. Ça va du squelette qui doit remonter à plusieurs mois ou années à des dates plus récentes, peut-être quelques jours pour le dernier. Six d’entre eux ont le pelage noir, pour les autres, ils sont trop anciens, on ne sait pas mais on peut légitimement le supposer. Quant à la cause de leur mort, impossible à définir en l’état. J’ai fait partir le tout chez un vétérinaire qui, en ce moment même, est sur le coup.

— Et pour les indices relevés sur la scène de crime ?

Sharko tendit une clé USB à Manien et lui réclama la télécommande. Il fit défiler les photos prises lors de son PV de constatation. Scène de crime, position des objets, gros plans de scellés. Il afficha celle de la balle extraite du mur. Puis celle de la douille, avec le calibre et la marque bien visibles, « 9 mm Luger ».

— On attend des retours importants des différents labos. Le premier qui devrait remonter dès demain proviendra de la balistique. Il nous donnera des infos sur la balle et la douille laissées par l’assassin.

Clic de télécommande, changement de cliché. Les traînées fluorescentes dans les pièces.

— Le Bluestar a révélé ces traînées de sang un peu partout, mais surtout au niveau des issues. Elles constituent une barrière, sauf pour l’entrée principale et une pièce à l’étage où elles sont absentes… Cette dispersion de sang au sol était contrôlée, volontaire. C’est comme si on avait égorgé une bête et qu’on s’était promené partout en la tenant par les pattes arrière.

— Quand tu dis « bête », tu veux dire l’un de ces chats enterrés ?

— Ça me semble le plus probable, oui.

Lucie fixait le cliché. Elle imaginait Ramirez en train de répandre le liquide partout dans sa maison, un animal égorgé dans la main. Sur le sol, aux pieds des meubles, devant les entrées. Toujours ce rapport au sang, déjà présent dans sa vie de jeune adulte. Dans quel but avait-il agi ainsi ? Quelles abominations dissimulait cette habitation ?

— Autre chose ? fit Manien.

Nicolas leva le bras. Le chef fit mine de l’ignorer une poignée de secondes, remonta l’écran et finit par hocher le menton vers son subordonné.

— On est tout ouïe, Bellanger.

— Lucie a omis de signaler que Ramirez présentait un tatouage sous le pied gauche, une croix religieuse inversée marquée par un sigle, « Pray Mev », ainsi que des piercings et des scarifications, dont certaines font penser à des symboles satanistes. Je me dis qu’avec ces chats noirs, les éléments dans le STIC rapportés par Pascal et le sang répandu un peu partout, il y a sans doute matière à creuser.

Le chef claqua dans ses mains.

— OK, t’approfondis ça. Je vais communiquer les infos au proc. On se refait un point demain. Je sens qu’on va s’éclater comme des fous avec cette affaire. Et bon Dieu, priorité des priorités, retrouvez-moi cette fille et collez-la-moi en GAV !

15

Après la réunion, Franck et Lucie étaient rentrés à Sceaux, chacun dans son véhicule. À 20 h 30, ils purent enfin serrer leurs fils contre eux. Jaya les avait fait dîner et mis en pyjama. Franck regrettait amèrement de ne pas accorder plus de temps à sa progéniture. Jules et Adrien le réclamaient le matin, le soir, à la sortie de l’école. S’il ne jouait pas avec eux maintenant, quand le ferait-il ? Alors, pour la première fois depuis bien longtemps, il les emmena tous les deux dans sa chambre, tira avec délicatesse son circuit ferroviaire cloué à une planche sous le lit, et dévoila une boucle en rails Roco un peu poussiéreuse.

— Je vous l’avais déjà montré, il y a longtemps. Mais vous ne vous en souvenez plus, vous étiez tout petits. On ne touche pas, d’accord ? Papa y tient beaucoup.