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— Tué le 31 août, découvert le 5 septembre, fit Sharko. Le cadavre a quand même l’air beaucoup plus ancien qu’une semaine. On dirait qu’il est parcheminé.

— Oui, pour deux raisons. La première, c’est qu’avec cette spirale et le trou, il y a un courant d’air qui circule dans ce château d’eau et qui a évité la prolifération de bactéries, donc un pourrissement trop prononcé. La seconde, c’est que le corps ne présentait plus une seule goutte de sang dans l’organisme. Vidé intégralement. À l’autopsie, le cœur était quasiment rétracté sur lui-même, aussi petit qu’une éponge sèche.

Franck et Nicolas échangèrent leurs clichés. Sharko se rappelait les propos de Lucie au sujet de Ramirez. Son séjour à l’hôpital psychiatrique pour sa folie du sang, et ce qui s’était passé lors de sa tentative de viol en 2008 : il avait saigné sa victime à l’épaule et léché la blessure.

— Il y a aussi des hématomes sur les côtes, caractéristiques du massage cardiaque. Comme si son assassin avait voulu forcer le cœur à pomper jusqu’au bout.

— Comment il s’y est pris pour vider le corps de son sang ?

— C’est comme pour un circuit d’eau qui alimente les radiateurs d’une maison. Vous coupez un tuyau quelque part, et le circuit se vide sous l’effet de la pression d’abord, et de la gravité ensuite. L’assassin a ouvert au niveau de l’avant-bras gauche — celui le plus proche du cœur —, a sorti une artère, l’artère radiale, l’a coupée en deux et a carrément appliqué une canule, un petit plastique transparent à l’intérieur de l’artère pour en maintenir les bords écartés afin que le flux sanguin reste important.

— Un vrai geste médical.

— En effet. Je suppose qu’il y avait un bac ou un seau en dessous, vu que nos équipes techniques n’ont décelé que très peu de sang alentour. Pour compenser la perte et maintenir la pression, le cœur s’est mis à battre plus vite, jusqu’à se trouver dans l’incapacité de se remplir correctement. Arrêt cardiaque, qu’a essayé de retarder au maximum l’assassin par des massages : il a aidé le cœur à tenir.

Nicolas imaginait la scène : la victime suspendue et vivante, le bourreau qui lui entaille la chair et se met à récupérer le précieux liquide dans un récipient, les pressions sur la cage thoracique pour retarder la mort.

— Le légiste pense que c’est seulement après qu’il a ouvert les artères au niveau des jambes, histoire de récupérer le reste du sang par effet de gravité. Il ne voulait pas en perdre une goutte. L’opération a dû lui prendre environ une heure. C’est par la suite qu’il a rendu sa victime anonyme et lui a arraché la moitié du visage avec la balle. Puis il est parti.

Nicolas s’arrêta sur une photo en gros plan du dos de la victime, écorché au niveau des omoplates. Il la donna à son collègue et fixa le gendarme.

— Vous savez pourquoi sa peau a été prélevée ici ?

— C’est l’une des inconnues.

— Notre victime de Longjumeau avait des scarifications exactement à cet endroit. Elles indiquaient Blood, Evil, Death… Vous n’avez rien remarqué sous le pied ? Pas de tatouage ?

— Si, regardez les photos. Là aussi, morceau de chair prélevé. De même, le légiste a relevé la présence de deux trous dans le sexe, au niveau du gland.

— Il avait un piercing, comme Ramirez.

— Les deux victimes seraient donc très proches ?

— Elles appartenaient probablement au même groupe, répliqua Franck, Pray Mev. Ramirez était selon toute vraisemblance sataniste. On dirait bien que votre victime aussi, et qu’on a tout fait pour effacer les références à Pray Mev. Sinon, une idée du profil de l’assassin ?

— Fibre médicale, sans aucun doute. Il savait où ouvrir pour vider le corps le plus efficacement possible. La scène était propre. Et puis, il y a eu les massages cardiaques ; et cette canule, on ne trouve pas ça au supermarché du coin.

Sharko peinait à imaginer Ramirez capable d’actes quasi chirurgicaux lorsqu’on voyait le bordel à sa cave et l’état plutôt déplorable de sa maison. Ce gars avait fait de la taule, plongé les mains dans la peinture et la colle chaque jour sur les chantiers. Mais, d’un autre côté, il y avait ses dessins, précis, qui témoignaient d’une patience et d’une maîtrise certaines. L’élevage de sangsues et le matériel chirurgical… Ses trajets GPS effacés… Une prudence et une minutie évidentes. Et puis, aussi, cette possibilité qu’ils soient deux, seule explication de l’enlèvement de Laëtitia Charlent alors que Ramirez travaillait sur un chantier. Deux kidnappeurs, deux tueurs.

— Des pistes ?

— Pas grand-chose. La victime avait des traces de graisse et d’essence de térébenthine sur les coudes et les pieds, et des marques de liens aux chevilles, alors qu’elle n’était pas ligotée aux pieds quand on l’a trouvée. Peut-être l’a-t-on enfermée plusieurs jours dans un garage ou un entrepôt avant de l’amener ici. On a mouliné le fichier des disparitions dans le secteur, rien de flagrant, surtout qu’on n’a pas vraiment de visage. Pas de traces ADN de l’assassin ni d’empreintes, de témoin, rien qui nous permette d’avancer vite. Autant vous dire qu’on a pris votre appel de ce matin comme une sacrée bonne nouvelle. Vous me détaillez, maintenant ?

— Descendons avant…

Les trois hommes se succédèrent dans l’hélice de marches et retrouvèrent l’air libre, au pied du château d’eau. Sharko prit une grande bouffée d’oxygène, tandis que Nicolas piochait une cigarette et en proposait une à Saussey qui déclina d’un geste. À son tour, il expliqua avec précision leurs découvertes : la mise en scène de l’assassin pour les contraindre à trouver le corps de Ramirez dans les plus brefs délais. La cave, la scène de crime, les plaies, les sangsues, les liens avec le satanisme. La fille, présente lors du crime et volatilisée.

Pendant ce temps, Sharko observait les alentours, dubitatif. Les cimes des arbres frissonnaient dans le vent, la forêt semblait le décortiquer de son grand œil noir. Pourquoi Ramirez avait-il choisi cet endroit particulier dans le département de l’Yonne ? Pourquoi à cent cinquante kilomètres de chez lui ? Avait-il retenu la victime dans sa cave avant de l’amener ici ? Ou l’avait-il attachée au radiateur dans sa pièce dédiée au diable ?

Le capitaine Saussey jugea qu’il était de leur intérêt commun d’entamer une collaboration et de mutualiser leurs avancées. Ils convinrent alors que, d’ici la fin de journée, ils s’échangeraient une partie des dossiers, avec l’accord de leurs supérieurs. Les trois hommes se saluèrent et se séparèrent sur l’A6, les flics dans une direction, le gendarme vers une autre.

En quittant les lieux, Sharko estima que sa situation personnelle n’était pas si catastrophique : on cherchait un tueur, propriétaire d’un HK P30 9 mm, arme américaine qui avait éliminé Ramirez et l’individu du château d’eau dans des conditions abominables. Point barre. Et on ne trouverait jamais ce tueur, par la force des choses, parce qu’il n’existait pas en tant que tel.

Mais son cerveau de flic ne pouvait s’empêcher de s’interroger sur les motivations de Ramirez. Pourquoi ce meurtre barbare ? Qui était la victime et qu’avait-elle fait pour mériter pareil châtiment ? Quel rôle jouait Laëtitia là-dedans ? Ces questions, Nicolas devait se les poser en partie, vu la façon dont il fixait la route sans rien dire. Il commençait sans doute à chercher d’autres liens entre les deux affaires.

Dans le flou de cette enquête insensée, Sharko n’avait en définitive qu’une seule et vraie satisfaction : Lucie avait éliminé une sacrée ordure.