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— C’est ça, chez moi. Cette pièce, la route, mon bureau. Être chez soi, c’est être là où on se sent le mieux, vous ne croyez pas ?

— Ouais, je serais mieux ailleurs, moi. Dites, j’ai une petite requête à vous faire. C’est… c’est pour faire une surprise à ma femme. Je pourrais me prendre en photo avec vous ? C’est pas tous les jours qu’on rencontre un flic du 36.

Nicolas éclata de rire.

— Désolé, mais… moins on s’affiche, mieux c’est. Et puis, vous avez vu la tête que j’ai à 5 heures du mat ? Vous saluerez néanmoins votre femme de ma part. (Il leva son gobelet.) Et merci pour le café. Vous aviez raison, il est bon.

L’homme disparut. Nicolas ne connaissait même pas son prénom. Juste un anonyme qui l’avait aidé, et dont il ne recroiserait jamais le chemin. Et il recommença son travail de fourmi, bercé par le ronronnement des moteurs de voitures, de camions, de motos. Régulièrement, ses yeux se fermaient — la coke n’agissait plus depuis longtemps, mais il ne voulait pas encore sniffer un nouveau rail —, alors il sortit pour prendre l’air et s’emplir les poumons de tabac. Il fumait trop, même la nuit. Il fallait bien crever de quelque chose.

Il poursuivit sa manipulation jusqu’à la dernière plaque minéralogique. Le soleil commençait à se lever, énorme, couleur orange brûlant, s’arrachant aux entrailles du monde à travers les arbres. S’il y avait bien une chose qui ne changeait pas et qui restait toujours aussi belle dans cette foutue humanité, c’était l’éternel recommencement du jour.

Retour à l’écran. Il disposait donc de deux tableaux côte à côte. Existait-il une plaque d’immatriculation présente sur les deux documents ? Quelqu’un était-il entré et ressorti de l’autoroute, la nuit du 31 août, entre 22 h 30 et 3 heures du matin ? La gorge serrée, il cliqua sur une fonction qui réalisait l’opération de comparaison.

Déception. Aucun numéro de plaque ne s’afficha. Ç’aurait été trop simple. Nicolas utilisa ses derniers neurones pour réfléchir : l’assassin avait peut-être emprunté l’A6 avant le meurtre, et était passé par les petites routes pour rentrer chez lui, par prudence ? Ou l’inverse ? Il allait éteindre, quand il tenta une dernière chose : référencer les plaques qui quittaient l’autoroute et prenaient la départementale, mais dont les numéros du département n’indiquaient pas l’Yonne. L’assassin était peut-être étranger au 89 ?

Le tri se révéla efficace. Sur les cent quatre-vingt-dix-huit plaques initiales, il n’en restait plus que vingt-deux. Il les parcourut une à une, au ralenti. Fallait-il lancer une recherche dans le fichier des immatriculations pour toutes ces plaques ? Le juge risquait de ne pas apprécier, et ça n’avait plus aucun sens. Nicolas s’apprêtait à abandonner quand son regard buta sur un numéro au vieux format particulier : 6789 XG 91. Pourquoi celui-là ? Il l’ignorait, mais il avait l’impression de l’avoir déjà vu — surtout la suite de chiffres 6789 —, et il n’y avait pas si longtemps.

Immatriculé dans l’Essonne. Sorti de l’autoroute à 23 h 14. Dommage, les photos n’affichaient que la plaque, et non le véhicule en entier.

Presque 8 heures. Jacques et Pascal étaient sans doute déjà arrivés au bureau. Il appela le premier, qui répondit.

— C’est Nicolas. J’ai besoin d’une immat.

— T’es tombé de ton lit ? T’es où ?

— Je t’expliquerai. Je te dicte, c’est un vieux format de plaque : 6789 XG 91.

— Je te rappelle.

— Deux secondes. Tu enverras Pascal à ma place à la SPA avec Sharko, je ne pourrai pas y être.

Il éteignit l’ordinateur dans un soupir, se leva jusqu’à la fenêtre et savoura son café. Le flot de véhicules avait repris, avec le plus gros qui s’engageait sur l’autoroute direction les quatre murs d’un bureau parisien. Bientôt, lui aussi ferait partie de la masse brûlante des pare-chocs. Sagement rangé dans son couloir d’autoroute, comme un bon petit soldat.

Sonnerie du portable.

— Je t’écoute.

— C’est une blague ? L’immat que tu m’as filée, c’est celle de la camionnette de Julien Ramirez.

21

La SPA de Gennevilliers, la plus importante de France, était comprimée entre les rails du RER d’un côté et de vieux entrepôts de l’autre. Face à Sharko et Pascal Robillard, un long bâtiment blanc avec de grandes vitres à l’étage, sur lequel on lisait, en lettres bleues massives : « SPA REFUGE GRAMMONT ». Et à leur droite, les enclos, le grillage, sur plusieurs rangées et des dizaines de mètres. Odeurs de poils et de détresse. Les chiens les scrutaient avec toute la misère du monde, oreilles basses. Et ces aboiements permanents, dramatiques, de vrais appels au secours. Franck ne supportait pas cette souffrance animale, les lâches qui abandonnaient leurs compagnons au premier coup dur ou parce que l’hôtel où ils allaient en vacances n’acceptait pas les chiens.

Les deux policiers se dirigèrent vers l’accueil. Partout sur les murs, des portraits de chats, de chiens, avec la mention « Adopté », comme une fierté. Franck trouva un employé et demanda à parler à la personne qui s’était chargée de l’adoption de deux chats dont il fournit les tatouages. Lorsqu’on lui en réclama la raison, il montra sa carte de police sans un mot.

L’homme pianota derrière son ordinateur.

— Combien vous êtes à travailler ici ? demanda Robillard.

— Trente salariés, deux vétérinaires et beaucoup de bénévoles. Voilà, j’ai votre réponse. C’est Géraldine Topin qui s’est occupée de ces chats. Vous la trouverez dans le « quartier Milou » à cette heure. Petite, blonde, la trentaine. Elle nettoie les enclos.

Blonde… ça ne cadrait pas avec les cheveux noirs trouvés dans le lit. Soulagement pour Sharko, qui remercia l’homme. Les flics s’enfoncèrent entre les rangées d’enclos.

— « Quartier Milou ». Non mais je rêve, fit Robillard.

« Quartier Idefix », « Rintintin »… Et « Milou », enfin. Les chiens s’agitaient, glissaient leur truffe entre les barreaux, fiers prétendants en parade. Cockers, labradors, bergers… Les uns se dressaient comme des animaux de cirque, les autres levaient une patte arrière pour impressionner, ce qui ne laissa pas le cœur de Sharko insensible. Des chiens avaient toujours égayé la maison dans sa jeunesse. Il aimait leur indéfectible fidélité.

Une femme correspondant à la description sortait d’un enclos, un seau dans la main, une pelle dans l’autre, des gants en plastique jusqu’aux coudes. Elle leva ses yeux vers les deux hommes, les gratifia d’un pâle bonjour et se rendit vers l’enclos voisin. Ils la talonnèrent. Robillard prit les devants :

— On peut discuter deux secondes ?

— C’est pour quoi ? Je suis pressée et…

Lorsqu’il montra sa carte, elle lui tourna le dos et déverrouilla l’enclos derrière lequel aboyait un jeune épagneul au museau roux et blanc. Elle entra, referma et câlina l’animal avec tendresse.

— Encore des histoires de trafic, c’est ça ?

Sharko attendit qu’elle soit en face de lui pour la sonder. Le visage en poire, les yeux clairs et volontaires. Et une forme d’innocence dans ses gestes envers le chien.

— Julien Ramirez, vous connaissez ?

— Non, désolée. Jamais entendu parler.

Le flic ouvrit la porte, tandis que son collègue musculeux demeurait en retrait. L’animal se jeta sur lui, le gratifia de deux belles traces sombres qui s’imprimèrent sur le bas de sa chemise propre. Franck le caressa tout de même, il aimait les épagneuls, et le jeune animal l’arrosait d’affection.

— Dix chats noirs, refourgués à la même personne, ça vous parle un peu plus ?