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— Jamais j’aurais fait une chose pareille. Jamais.

Nicolas lui plaqua les photos de la victime du château d’eau devant les yeux.

— Qui est-ce ?

Elle observa les clichés avec effroi. Des larmes coulaient sur ses joues.

— Je… Je sais pas…

Cette fois, elle se mit à pleurer franchement et, dès lors, les policiers ne parvinrent plus à lui arracher un mot. Nicolas lui apporta un verre d’eau, essayant de la sonder pour voir si elle ne simulait pas. Ils croisaient souvent d’excellents menteurs qu’il fallait un peu bousculer. Elle but par petites lampées, entre deux sanglots. Il fallut un bon quart d’heure pour qu’elle cesse de hoqueter. Le capitaine de police alla s’installer dans le fauteuil, de l’autre côté du bureau, tandis que Franck retrouvait sa position debout. Avec cette histoire de sonnerie, il venait de traverser l’un des pires moments de sa vie. Il laissa Nicolas mener l’interrogatoire.

— On ne veut pas te faire du mal, ce n’est pas le but. Ce qu’on cherche, c’est juste la vérité. Tu as tué Julien Ramirez ?

— Non !

— Revenons à ce meurtre dans le château d’eau… Pourquoi les tortures ? Pourquoi le type avec qui tu couchais a vidé cet homme de son sang dans ce lieu sordide ?

— Je sais pas, j’arrive pas à y croire… Tout ça, j’étais pas au courant. Julien, je le voyais que de temps en temps. Je sais bien, il y avait le truc avec les chats. Mais… c’est lui qui voulait que je les récupère à la SPA.

— Les sangsues, à quoi ça sert ?

Haussement d’épaules.

— Je sais pas…

D’un geste violent, Nicolas balaya un tas de paperasse sur le bureau de son chef. Les feuilles volèrent dans tous les sens.

— Tu sais jamais rien ! Je te garantis que tu vas arrêter de te foutre de notre gueule !

Nicolas pencha d’un coup sec la chaise de Mayeur et manqua de la faire tomber. Sharko posa une main sur le poignet de son collègue, il allait trop loin. Ils se dressaient comme deux cobras face à face. Bellanger se défit de l’étreinte et retourna devant la suspecte.

— Je répète : à quoi servent ces saletés de sangsues ?

Mayeur baissa les yeux.

— Je sais pas, je vous mens pas. Un jour, je suis descendue à la cave, même si Julien voulait pas que je vienne sans qu’il demande. J’entendais un chat miauler comme un bébé. Julien, je l’ai vu, il était en train de… de récolter quelque chose sur les sangsues qu’il décrochait du chat. Une espèce de liquide. C’était pas du sang. De la bave peut-être, j’en sais rien. Il enfermait ça dans des petits bocaux.

Nicolas ne daigna pas regarder Sharko, il resta concentré sur sa proie. Elle soupira.

— L’état de ce chat, vous auriez vu… Julien, il aimait bien faire souffrir. Quand… quand les chats étaient au bout du rouleau et n’avaient plus que la peau sur les os, il me faisait venir, il allumait des bougies partout, dans les escaliers, au sol. On… On les tuait, on… On invoquait le diable… On baisait avec les tripes autour de nous. Merde, je peux pas vous raconter tout ça. C’est trop personnel et…

Elle ne termina pas sa phrase. Posture de repli, dos en carapace de tortue, le silence. De nouveau, les pleurs. Nicolas lui redressa le visage d’une main sous le menton.

— « Pray Mev », ça te cause ?

— C’est le tatouage à son pied. Mais je sais pas ce que ça veut dire. Il a jamais voulu m’en parler.

Difficile de s’assurer de sa sincérité. Il lui montra d’autres photos, lui parla des éprouvettes, des larmes, du tableau, des treize victimes potentielles, de plusieurs « diables ». À qui appartenaient ces visages ? S’agissait-il de personnes disparues ? Elle continua à nier, à se recroqueviller. On lui demanda de montrer la plante de ses pieds.

Nicolas poussa les dossiers sur le côté d’un geste maîtrisé.

— Nous, on a tout notre temps. On va tout éplucher sur toi, on te connaîtra mieux que tu te connais toi-même. Et on finira par découvrir la vérité. Alors, autant que tu coopères. Plus vite ça ira, mieux ce sera pour toi comme pour nous.

Les questions se multiplièrent, de plus en plus pressantes, et vint le moment où elle se débattit en hurlant. Elle tremblait tant que les flics préférèrent relâcher la bride avant qu’elle sombre dans une crise de nerfs et se retrouve à l’hôpital. Nicolas stoppa l’enregistrement.

— Ça va, ça va. Bois un coup, respire. On va te ficher un peu la paix, d’accord ?

Dans le couloir, il garda un œil sur elle par la porte entrouverte.

— Qu’est-ce que t’en penses ?

— Ça ne va pas être simple, répliqua Sharko. Je n’ai pas l’impression qu’elle soit au courant des activités de Ramirez. Regarde-la. C’est qu’une gamine paumée sous emprise, comme la plupart des jeunes qui se retrouvent dans des cercles pour invoquer leurs conneries. Ramirez a dû profiter de ça, il l’a ramassée comme on ramasse un chat errant.

— Et sur sa culpabilité potentielle ?

— Ce n’est pas elle.

Sharko alla se chercher un verre d’eau à la bonbonne, la chemise trempée. Il jeta un œil à l’open space. Dieu merci, Lucie était rentrée chez eux. Il imaginait sa compagne, seule dans leur maison, en train de se morfondre. Il se demanda comment il allait lui annoncer le coup de la sonnerie de portable. Il retourna auprès de Nicolas et le sonda :

— Cette histoire de femme tueuse surgie au milieu de la nuit, qu’est-ce que t’en penses ?

— C’est très cohérent, et j’ai l’impression que ça éclaire un peu ce que le balisticien nous a raconté. Cette nuit-là, Ramirez, en plein acte sexuel, entend du bruit dans sa baraque, il descend avec son HK P30 mais il se fait buter par une autre arme. C’est le premier coup de feu. La balle Pébacasi appartenant à la femme lui traverse la gorge. Ramirez, raide mort. L’intruse positionne le corps au fond de la cave et vise Ramirez une seconde fois, mais en utilisant l’arme de ce dernier, le P30, pour masquer le premier tir. C’est la balle Tizicu. Puis vient la petite mise en scène avec les sangsues.

— Pourquoi un second tir ?

— J’en sais rien. Comme disait Lucie, pour faire croire à un meurtre sadique qui se serait déroulé intégralement à la cave ? Peut-être que cette femme est une « amie », une relation de Ramirez qui veut déguiser la mort et noyer le poisson ? Quelqu’un d’assez proche pour être en possession de sa clé d’entrée ? Bref, toujours est-il qu’en agissant ainsi, en utilisant l’arme de Ramirez, cette femme établit un lien involontaire avec la victime du château d’eau…

Sharko écoutait sans rien dire. Il détestait le voir réfléchir de cette façon, s’acharner…

— En tout cas, deux choses sont certaines, poursuivit Bellanger. La première : il doit forcément y avoir un autre impact dans la maison, qui correspond au tir avec l’arme de la femme. Demain, je demande qu’on renvoie des gardiens de la paix là-bas pour tout scruter à la loupe.

— C’est une perte de temps et d’énergie, Manien risque de bloquer. On a besoin de tous les hommes ici et…

— D’une, ce n’est pas Manien qui a le nez dans le cambouis, je me fous de ce qu’il pense. J’enverrai des hommes là-bas, point barre. Et de deux, la tueuse est quelqu’un qui s’y connaît suffisamment pour tenter de nous tromper, nous et les techniciens. On a affaire à une maligne. Mais ceux qui se croient plus malins que nous se plantent tôt ou tard, on finit par les coincer. C’est pas toi qui dis toujours ça ?

— Si, si…

Nicolas hocha le menton vers le bureau.