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— T’avais tes gants avant d’entrer dans la maison ?

— Je les ai enfilés dehors. Comme le bonnet.

Vu l’incroyable capharnaüm, Sharko savait que la police scientifique serait incapable de mener correctement des analyses ADN, il pouvait donc fouiner sans craindre d’abandonner par mégarde une goutte de sueur ou un poil de sourcil. En revanche, il fallait se méfier des empreintes digitales sur les poignées de porte, les meubles…

— Bien. T’as consulté des fichiers nationaux sur Ramirez ? T’as contacté des personnes à son sujet, t’as passé des coups de fil ?

— Non, je suis restée prudente. Seule ma tante est au courant.

— D’après ce que tu m’as raconté, Ramirez n’a été interrogé que comme témoin pour cette histoire d’enlèvement, c’est bien ça ?

— Oui.

— Donc, aucun lien ne sera fait entre la disparition de Laëtitia, gérée par l’OCDIP, et la mort de Ramirez, qui va être diligentée par un groupe Crim. Personne ne devrait aller déranger ta tante pour l’interroger sur d’éventuelles activités de ton oncle, mais il faudra quand même qu’on aille la voir. C’est une pipelette incapable de tenir sa langue.

Le cerveau de Lucie surchauffait, Franck gardait la tête froide.

— Et maintenant, réfléchis, Lucie, réfléchis aux erreurs que t’aurais pu commettre. Visualise chaque minute de cette nuit depuis ton départ de la maison. Et aide-moi à retrouver cette douille, bon sang !

Elle s’agenouilla à ses côtés, les mains à plat sur une palette de bois, les yeux rivés sur ceux vides et voilés de Ramirez. La mort l’enveloppait déjà avec délicatesse.

— Tu crois que… qu’il est coupable ? Qu’il a fait du mal à Laëtitia ?

— Comment veux-tu que je le sache ?

Lucie ne savait plus quoi penser, les pires idées se bousculaient en elle. Et s’il était innocent ? Et s’il n’avait jamais touché à cette gamine ? Les tortures sur le chat ne prouvaient rien, peut-être étaient-elles juste l’œuvre d’un pervers qui prenait du plaisir à torturer les animaux. Ça ne faisait pas de lui un kidnappeur ou un assassin, même avec un casier chargé. Ce type avait purgé sa peine et, aux yeux de la loi, il était libre et redevenu un citoyen comme un autre.

Elle fixa Sharko en train de racler le sol des deux mains, qui se battait pour elle, qui risquait sa peau. Il prendrait cher, lui aussi. Complicité de meurtre, dissimulation de preuves. À combien ça montait ? Cinq ? Dix ans ? Devaient-ils finir ainsi, eux qui s’étaient battus sur tous les fronts ? Combien d’ordures jetées derrière les barreaux ? Combien de vies sauvées ? Mais pouvait-on mesurer la vie d’un homme au kilo d’assassins qu’il était en mesure de coller en prison ? Elle tenta de le rassurer du mieux qu’elle put.

— Je ne crois pas avoir commis d’erreurs. Je portais les gants… Je n’ai croisé personne sur la petite route, et personne ne m’a vue entrer ici.

Elle s’activa et attaqua la fouille, entre ombre et lumière. Le chat gémissait sans arrêt. Un cri insupportable de nourrisson en pleurs qui déchirait les tympans, vrillait les nerfs. Sharko demanda à Lucie de rejouer le film de l’attaque, d’essayer d’imaginer la direction suivie par la douille éjectée. Peut-être avait-elle percuté un obstacle et rebondi ? Ou parcouru plusieurs mètres dans les airs avant d’atterrir n’importe où dans ce chaos ? En stand de tir, on retrouvait parfois des douilles à proximité des cibles.

Après vingt minutes de recherches infructueuses, Franck longeait à présent les murs, en déséquilibre constant sur les monceaux d’objets.

— Il nous la faut. On est fichus si on ne la trouve pas. Avec le numéro de lot inscrit dessus, ils interrogeront le fournisseur, remonteront à l’armurerie police d’origine et découvriront la destination : 36, quai des Orfèvres. Ils ne sauront pas de qui il s’agit, mais s’ils veulent vraiment le savoir, ils feront des analyses balistiques sur les armes de tout le personnel. Ils établiront le lien entre la douille et ton Sig Sauer.

Sharko connaissait les règles : chaque contact entre les parties d’une arme — chargeur, chambre à cartouche, canon, extracteur, percuteur… — et une douille produisait des traces caractéristiques, différentes d’un pistolet à l’autre. Seul le Sig Sauer de Lucie pouvait correspondre à la douille recherchée, le couple était unique et identifiable par les experts de la balistique.

Après une heure et demie de recherches vaines, les yeux gonflés et le costume en vrac, Sharko n’en pouvait plus. Il se redressa, perclus de douleurs. Incapable de voir où il avait déjà fouillé ou pas. L’impression de tourner en rond. La seule chose certaine : les techniciens de la police scientifique la trouveraient, cette douille.

Lucie lui attrapa le poignet.

— C’est cuit. Rentre à la maison, je t’en prie. J’appellerai la police ensuite et…

— Ne fais pas l’idiote. Trop tard. Tu tombes, je tombe, nos enfants tombent. T’en fais deux orphelins.

Sharko savait que chacune de ses phrases tailladait Lucie au plus profond de sa chair, mais ces scarifications s’imposaient. Il n’arrivait pas encore à croire ce que ses yeux voyaient : deux flics de la Criminelle, à quatre pattes sur le sol d’une cave, en train de chercher un tube en étain de 19 mm de haut et de 9 mm de diamètre pour cacher un crime. Dans un dernier sursaut d’espoir, il entama une nouvelle recherche. Cinq minutes plus tard, résigné, il plongea dans une longue réflexion, les yeux rivés sur le P30 de Ramirez.

— Ça ne sert à rien, on ne la trouvera pas. Je vois trois solutions. La moins bonne, on se débarrasse du corps. Mais, dans tous les cas, les flics viendront ici. L’absence de Ramirez va être signalée par je ne sais qui. Des enquêteurs vont finir par fouiller cette maison. Ce qui ne résout aucunement notre problème de douille, et je ne pourrai jamais vivre tranquille en sachant qu’elle est dans cette pièce et qu’un jour quelqu’un la retrouvera. La deuxième, le feu. Il ne restera plus grand-chose du corps ni de cette maison, sauf cette satanée douille. Les gars du département incendie et explosion mettront la main dessus, c’est sûr.

Sharko jeta un œil vers le cadavre.

— Je ne vois plus que la dernière option… On récupère l’affaire. On enquête sur ton propre meurtre.

7

Lucie se prit la tête entre les mains.

— On ne peut pas faire une chose pareille.

— Pourquoi pas ? On vient de boucler une affaire de double homicide, le timing est bon. Notre équipe est libre et récupère logiquement cette nouvelle enquête, à condition qu’on trouve le cadavre très vite, c’est-à-dire demain. Levallois est le procédurier qui sera chargé d’analyser la scène de crime et de collecter les indices avec les techniciens, mais je m’arrange pour prendre sa place cette fois-ci. C’est moi qui rédigerai le PV de constatation et qui m’occuperai des scellés. Avant de les déposer à la Scientifique, j’échangerai ta douille, que les techniciens m’auront remise, avec une autre. Au moins, on contrôlera de l’intérieur.

— Ça ne marchera pas. On est en dehors de Paris, le 36 ne sera pas saisi. Et quand bien même le corps serait entre les murs de la capitale, ce n’est qu’une mort par balle parmi d’autres. L’affaire serait diligentée par un commissariat d’arrondissement.

— Tu as raison, il faudrait un caractère exceptionnel, un meurtre peu commun et particulièrement sordide pour qu’on soit sûrs d’être sur le coup et qu’on se déplace jusqu’ici. Mais regarde cet endroit, le chat criblé de sangsues. Il y a tout ce qu’il faut pour rendre ce crime plus spectaculaire. Pour que les autorités judiciaires n’aient d’autre choix que de saisir le 36.