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Les panneaux s’engloutirent dans la nuit. À présent il se trouvait dans une pièce sombre qu’il ne connaissait pas. La neige éclaboussait les vitres comme du sable jeté à la volée. Il avait la bouche sèche, les yeux brûlants, et son cœur battait dans sa poitrine comme un marteau-pilon. Un bruit de pas qui s’approchent, ponctué de coups qui s’abattent, lui parvenait du couloir. De l’autre côté de la pièce, dans la bulle argentée d’un miroir, apparut un mot effrayant, écrit en flammèches vertes : TROMAL.

Les coups se mirent à tomber avec une régularité inquiétante. Il y eut un bruit de verre cassé. Quelqu’un s’approchait et l’appelait d’une voix rauque que sa familiarité rendait encore plus effrayante :

— Sors de là et montre-toi ! Viens ici, petit merdeux, viens recevoir ta raclée !

Boum ! Boum ! Boum ! Danny entendit un bruit de bois qui vole en éclats suivi d’un rugissement de fureur et de satisfaction. TROMAL approchait.

— Non, chuchota-t-il. Non, Tony, s’il te plaît.

Une main flasque pendait par-dessus le rebord de la baignoire en porcelaine. Un mince filet de sang coulait le long du troisième doigt, dégouttant de l’ongle soigneusement fait sur le carrelage.

Non, oh ! non, oh ! non.

Je t’en prie, Tony, tu me fais peur.

TROMAL TROMAL TROMAL

Au fond d’un hall obscur, accroupi sur une moquette dont les guirlandes noires se détachaient sur un fond bleu, il écoutait les pas se rapprocher. Soudain une forme déboucha du couloir transversal et se dirigea vers lui. Empestant la sueur et le sang, elle avançait vers lui en titubant. Elle tenait à la main un maillet qu’elle faisait tournoyer en tous sens. Le maillet, décrivant de grands cercles, martelait les murs, déchirant la tapisserie de soie et soulevant des bouffées blanches de poussière de plâtre.

— Viens ici recevoir ta raclée ! Montre-moi que tu es un homme !

Plus le monstre s’approchait, plus il paraissait gigantesque et la puanteur aigre-douce qu’il dégageait était irrespirable. Le sifflement que faisait le maillet en fauchant l’air se faisait plus féroce et le bruit du choc entre sa tête et le mur devenait assourdissant. Danny sentait maintenant la poussière de plâtre lui picoter le nez. De petits yeux rouges luisaient dans le noir : le monstre l’avait aperçu. Il fonçait sur Danny qui restait blotti dans son coin, plaqué contre le mur. Comble de malheur, la trappe au-dessus de sa tête était verrouillée.

Puis ce fut l’obscurité, le flottement.

— Tony, ramène-moi à la maison, oh ! Tony, je t’en supplie…

À l’instant même, il se retrouva chez lui, assis sur le trottoir d’Arapahoe Street, le corps baigné de sueur, sa chemise trempée collant à sa peau. L’écho des coups frappés sur le mur retentissait toujours dans ses oreilles et il lui semblait encore sentir l’odeur de l’urine qu’il avait évacuée dans sa terreur. Il pouvait encore voir la main flasque pendant par-dessus le rebord de la baignoire, les gouttes de sang dégoulinant le long du troisième doigt et ce mot aussi mystérieux que terrifiant : TROMAL.

Le soleil revint. Tony, qui n’était plus qu’une petite tache au bout de la rue, lui lança de sa petite voix flûtée et lointaine :

— Fais attention, prof…

Un instant après, Tony avait disparu et le monde réel était là. La vieille Coccinelle cabossée venait d’apparaître au bout de la rue. Toussant et pétaradant, elle s’approcha dans un nuage de fumée bleue. Danny bondit du trottoir et courut au-devant de la voiture. Gesticulant, sautillant d’un pied sur l’autre, il criait :

— Papa, hé, Papa ! Salut, Papa !

Jack gara la Volkswagen, coupa le contact et ouvrit la portière. Au moment où il allait s’élancer vers son père, Danny aperçut quelque chose qui l’arrêta net, le cœur glacé. Là, sur le siège avant de la voiture, se dressait un maillet à manche court dont la tête était barbouillée de sang et de touffes de cheveux.

Mais non, ce n’était qu’un sac plein de provisions.

— Alors, Danny…, ça va, prof ?

— Ouais, ça va.

Il se précipita vers son père, enfouit son visage dans sa veste de jean fourrée de peau de mouton et se serra contre lui de toutes ses forces. Perplexe, Jack le serra lui aussi.

— Hé ! petit, il ne faut pas rester au soleil comme ça. Tu ruisselles de sueur.

— J’ai dû m’endormir. Papa, je t’aime, tu sais. Je t’ai attendu.

— Moi aussi, je t’aime, Dan. J’ai apporté des provisions. Tu pourras m’aider à les monter ?

— Bien sûr !

— Et maintenant, messieurs-dames, je vous présente le remarquable Danny Torrance, l’homme le plus fort du monde, dit Jack en lui ébouriffant les cheveux. Sa spécialité ? S’endormir sur le trottoir.

Ils gravirent le chemin qui menait vers le porche où Wendy les attendait déjà, près de la porte. Danny comprit en les voyant ensemble qu’ils étaient heureux de se retrouver. Ils respiraient l’amour, comme le garçon et la fille qui étaient passés dans la rue en se tenant par la main. Et Danny se sentit heureux.

Les provisions — ce n’étaient que des provisions — se tassèrent dans le sac qu’il portait. Tout allait bien. Papa était rentré, Maman l’aimait. Aucune menace ne planait sur eux. D’ailleurs les prévisions de Tony ne se réalisaient pas toujours.

Mais, depuis l’apparition de ce mot énigmatique dans le miroir de son rêve, la peur s’était insinuée dans son cœur.

5.

LA CABINE TÉLÉPHONIQUE

Arrivé à Table Mesa, Jack rangea la Volkswagen devant le drugstore du centre commercial et laissa mourir le moteur.

— Tu vas rester dans la voiture, prof. Je t’apporterai une tablette de chocolat.

— Pourquoi est-ce que je ne peux pas aller avec toi ?

— Je dois donner un coup de téléphone. C’est une affaire personnelle.

— C’est pour ça que tu ne téléphones pas de la maison ?

— Dans le mille.

Wendy avait insisté pour avoir le téléphone, bien que l’état de leurs finances ne le permît guère. Elle avait soutenu qu’avec un enfant — et surtout un garçon comme Danny qui était sujet à des évanouissements — ils ne pouvaient pas s’en passer. Alors Jack avait craché les trente dollars de frais d’installation — un sale coup déjà — plus quatre-vingt-dix dollars de caution — ce qui avait été le bouquet. Jusqu’à présent, le téléphone était resté muet, à part deux faux numéros.

— Tu m’achèteras un Nuts, Papa ?

— D’accord. Tu restes là sagement et tu ne joues pas avec le changement de vitesse. Promis ?

— Promis. Je vais regarder les cartes.

— C’est parfait.

Pendant que Jack descendait de la voiture, Danny ouvrit la boîte à gants de la Coccinelle et sortit les cinq cartes routières fripées qui s’y trouvaient : le Colorado, le Nebraska, l’Utah, le Wyoming et le Nouveau-Mexique. Il avait une passion pour ces cartes routières qu’il étudiait attentivement en suivant du doigt le tracé des routes. En ce qui le concernait, l’acquisition de ces nouvelles cartes était ce que ce départ dans l’Ouest avait apporté de plus positif.