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Bien sûr qu’il l’est.

Mais les voix ?

Il n’y a pas eu de voix. C’était ton imagination, ou le vent.

— Non, ce n’était pas le vent.

Le son de sa propre voix la fit sursauter, mais, encouragée par le ton d’assurance sur lequel elle avait prononcé ces paroles, elle commença à avancer. Le couteau qu’elle tenait contre sa hanche zébrait la tapisserie de soie de ses reflets mobiles et ses pantoufles glissaient en chuchotant sur la moquette. Elle avait les nerfs tendus comme des cordes.

Arrivée à l’angle du couloir principal, elle y glissa un regard furtif, s’attendant au pire.

Il n’y avait rien d’anormal.

Après un instant d’hésitation, elle s’engagea dans le couloir principal. Plus elle se rapprochait de la cage de l’escalier, plongée dans l’ombre, plus elle prenait conscience de la vulnérabilité de Danny, qu’elle laissait seul et sans protection.

Arrivée au palier, elle posa sa main sur le premier pilastre de la rampe et jeta un coup d’œil sur les marches de l’escalier — il y en avait dix-neuf — s’attendant à découvrir Jack accroupi sur l’une d’elles, prêt à bondir, mais il n’y avait personne. D’ailleurs comment s’en étonner ? Jack était bien enfermé dans la réserve, derrière un verrou solide et une lourde porte en bois massif.

Mais le hall était obscur et plein d’ombres et elle pouvait sentir au fond de sa gorge la pulsation profonde de son sang.

Devant elle, sur sa gauche, l’ascenseur ouvrait toute grande sa gueule en cuivre, l’invitant, d’un air moqueur, au voyage de ses rêves.

Non, merci beaucoup.

L’intérieur de la cabine était tendu de guirlandes roses et blanches en papier crépon. Sur le plancher, deux cornets-surprise crevés avaient déversé leurs confettis. Au fond de la cabine, dans l’angle, gisait une bouteille de champagne vide.

La transpiration de sa main droite avait mouillé la poignée en bois du couteau ; elle le fit passer dans sa main gauche, s’essuya la main droite sur le tissu-éponge de sa robe de chambre puis reprit le couteau dans celle-ci. Presque sans l’avoir voulu, elle se mit à descendre l’escalier, d’abord le pied gauche, puis le pied droit, pied gauche, pied droit, tout en laissant traîner sa main libre sur la rampe.

La faible lumière qui filtrait du palier du premier étage ne parvenait pas à éclairer le hall et elle se rendit compte qu’elle devrait allumer les lampes, soit à l’interrupteur de l’entrée de la salle à manger, soit à celui du bureau du manager.

Il y avait également une autre lumière, diffuse et blanchâtre.

Les tubes de néon de la cuisine, évidemment.

Elle s’arrêta sur la treizième marche, essayant de se rappeler si elle les avait éteints quand elle était remontée avec Danny, mais elle n’arriva pas à s’en souvenir.

En bas, dans le hall, les chaises à haut dossier se terraient dans l’ombre. Les vitres de la porte du hall étaient tendues d’un rideau de neige. Les têtes de clous en laiton doré de la tapisserie du canapé luisaient faiblement comme des yeux de chat. Se cacher ici eût été un jeu d’enfant.

Les jambes vacillantes, elle continua à descendre.

Dix-sept, dix-huit, dix-neuf.

Ici, c’est le rez-de-chaussée, madame, faites attention à la dernière marche.

La porte du dancing était grande ouverte, mais il ne s’en échappait que le noir des ténèbres. De l’intérieur lui parvenait un tic-tac régulier, semblable à celui d’une bombe à retardement. Elle se raidit, puis se rappela la pendule sur la cheminée, la pendule sous son globe de verre. Jack ou Danny avait dû la remonter, à moins qu’elle ne se soit ranimée toute seule, comme tant de choses ici.

Elle se dirigea vers le bureau de la réception qu’elle devait traverser pour aller à la cuisine. Des reflets d’argenterie lui rappelèrent le plateau qu’elle avait préparé pour leur déjeuner et qu’elle avait laissé là, sur le bureau.

Puis le carillon musical de la pendule se mit à tinter.

Wendy se crispa et sa langue se colla à son palais. Puis elle se détendit de nouveau. La pendule ne faisait que sonner l’heure : il devait être huit heures…

Elle comptait les coups. Elle avait le sentiment qu’elle ne devait pas bouger tant que la pendule ne se serait pas tue.

… Huit… neuf… (Neuf ?)… dix… onze…

Tout à coup elle comprit, mais il était trop tard. Elle rebroussa précipitamment chemin vers l’escalier, tout en sachant qu’elle n’y arriverait pas. Mais comment aurait-elle pu prévoir ça ?

Douze.

Toutes les lumières de la salle de danse s’allumèrent et il y eut l’explosion assourdissante d’une fanfare de cuivres et Wendy poussa un cri qui se perdit dans le fracas de ces puissants poumons de cuivre.

— Ôtez les masques ! commanda quelqu’un. Ôtez les masques !

Puis le vacarme s’éloigna dans le couloir du temps, la laissant de nouveau seule.

Non, pas seule.

Elle se retourna et le vit qui fonçait sur elle.

C’était Jack et pourtant ce n’était plus tout à fait lui. Dans ses yeux vides brûlait une folie meurtrière ; sur ses lèvres familières flottait un sourire triste et incertain.

Il tenait à la main le maillet de roque.

— Tu as cru m’avoir enfermé ? C’est ça que tu voulais ?

Le maillet fendit l’air en sifflant. Wendy recula d’un pas, trébucha sur un petit escabeau et s’affala sur la moquette du hall.

— Jack…

— Garce, chuchota-t-il. Je sais maintenant que tu es une garce.

Le maillet s’abattit sur elle avec une force meurtrière et s’enfonça dans son abdomen. Elle vit vaguement le maillet remonter et comprit tout à coup qu’il avait l’intention de la tuer. Elle voulut l’implorer, le supplier d’arrêter, mais la respiration lui manquait, elle n’avait plus de voix et c’est à peine si elle put émettre un faible gémissement.

— Ton heure est venue, cette fois-ci, je ne raterai pas mon coup, je te le jure, lui dit-il avec un sourire. (Il écarta l’escabeau d’un coup de pied.) Ton compte est bon. Tu vas voir la correction que je vais t’administrer.

Le maillet s’abattit de nouveau, mais Wendy l’évita en se roulant vers la gauche, sa robe de chambre s’entortillant dans ses jambes. Le maillet heurta le sol et glissa des mains de Jack, qui fut obligé de se baisser pour le ramasser. Wendy en profita pour se relever et se précipiter vers l’escalier. Elle avait retrouvé son souffle, mais il lui brûlait les poumons et son abdomen meurtri n’était plus qu’un amas de chairs douloureuses.

— Garce, dit-il sans s’arrêter de sourire, et il se lança à sa poursuite. Sale garce, tu vas avoir ce que tu mérites. Je vais te flanquer une de ces raclées…

Elle entendit siffler le maillet puis ressentit une explosion de douleur au côté droit, quand il l’atteignit juste au-dessous du sein, lui cassant deux côtes. Elle s’écroula sur les marches, tombant sur le côté blessé, et se sentit de nouveau transpercée de douleur. Mais, obéissant à l’instinct, elle se jeta de côté en faisant le rouleau et le maillet s’abattit sur la moquette épaisse, en lui frôlant le visage. C’est alors qu’elle aperçut le couteau qu’elle avait lâché au moment de sa chute. Il gisait, étincelant, sur la quatrième marche.

— Garce, répéta-t-il, et le maillet plongea de nouveau.

Elle voulut reculer, mais le coup l’atteignit au-dessous du genou, embrasant de douleur tout le bas de sa jambe. Du sang se mit à couler le long de son mollet. Déjà le maillet redescendait, mais par une feinte de la tête elle esquiva le coup qui vint s’écraser sur la marche, tout près de son épaule, lui éraflant l’oreille.