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Quelque part dans le labyrinthe de couloirs derrière lui, l’ascenseur s’arrêta. Dans un grand bruit de ferraille, la porte s’ouvrit et une voix, qui n’était que trop réelle cette fois-ci, l’appela :

— Danny ? Danny, viens ici un instant, veux-tu ? Tu m’as désobéi et je veux que tu viennes recevoir ta raclée comme un homme. Danny ? Danny !

L’obéissance était si profondément enracinée en lui qu’il fit machinalement deux pas en direction de la voix avant de réaliser ce qu’il faisait. Il serra les poings.

Vous n’êtes qu’un fantôme, vous n’existez pas ! Je sais qui vous êtes ! Ôtez votre masque !

— Danny ! rugit la voix. Viens ici, sale garnement ! Si tu ne viens pas tout de suite, tu t’en repentiras !

Le bruit caverneux des coups de maillet contre les murs reprit. La voix l’appela de nouveau, hurlant son nom. Elle s’était rapprochée.

La chasse était lancée, exactement comme dans ses cauchemars. Seulement ce n’était plus un rêve.

Alors Danny s’enfuit à toutes jambes et l’épaisse moquette étouffait le bruit de sa course. Il passa devant des portes fermées, devant la lance de l’extincteur fixée au mur, et arriva au petit couloir en cul-de-sac. Après un instant d’hésitation il s’y élança. Au bout il n’y avait pas d’issue, seulement une porte verrouillée.

Mais la perche était encore là, appuyée au mur, exactement où Papa l’avait laissée.

Danny la saisit et, renversant sa tête en arrière, il examina la trappe. Il y avait un crochet au bout de la perche qu’il fallait glisser dans l’anneau fixé au milieu de la trappe. Il fallait…

Mais un cadenas Yale flambant neuf était passé dans l’anneau. C’était Jack qui, après avoir posé ses pièges, l’y avait mis, pour empêcher son fils d’aller fureter là-haut.

La trappe était cadenassée ! Une vague de terreur le submergea.

Il entendait le monstre qui tout en titubant et trébuchant s’approchait toujours, en faisant tournoyer son maillet. Il avait maintenant dépassé la suite présidentielle.

Le dos contre la porte au fond du couloir, Danny attendit que le monstre parût.

55.

CE QUI AVAIT ÉTÉ OUBLIÉ

Wendy reprit connaissance petit à petit ; la grisaille se dissipa, faisant place à la douleur. Son dos, ses côtes, sa jambe la faisaient atrocement souffrir et elle crut qu’elle ne pourrait plus bouger. Même ses doigts lui faisaient mal sans qu’elle comprît pourquoi.

La lame de rasoir, voilà pourquoi.

Ses cheveux collés et emmêlés lui pendaient devant les yeux. Elle les écarta d’une main, mais ce mouvement lui causa une douleur aiguë au niveau des côtes, et elle poussa un gémissement. Le matelas aux rayures bleues et blanches était taché de sang, le sien, ou peut-être celui de Jack. Du sang frais en tout cas. Son évanouissement n’avait donc pas duré très longtemps. Et c’était heureux parce que…

(Pourquoi ?)

Parce que…

D’abord elle se rappela le bourdonnement d’insecte d’un moteur. Son attention, comme hypnotisée, se fixa sur ce souvenir. Puis, d’un seul coup, dans un flash-back vertigineux, elle se souvint de ce qui s’était passé.

Hallorann. Ce devait être Hallorann. Sinon, comment expliquer que Jack soit parti si précipitamment, sans achever sa besogne, sans l’achever, elle ?

S’il ne l’avait pas achevée, c’est qu’il n’en avait pas eu le temps. Il lui avait fallu trouver Danny rapidement, afin d’en finir avec lui avant qu’Hallorann pût intervenir.

Avait-il déjà mis son projet à exécution ?

Elle pouvait entendre le grincement de l’ascenseur qui montait.

Le sang est tout frais. Oh ! mon Dieu, je vous en supplie faites qu’il n’ait pas encore eu le temps.

Elle réussit à se mettre sur ses pieds et à se frayer un chemin à travers les débris qui jonchaient le salon. Arrivée devant la porte fracassée, elle la poussa et sortit dans le couloir.

— Danny ! appela-t-elle. Mr Hallorann ! Il y a quelqu’un ?

L’ascenseur avait fini sa course et elle entendit le fracas métallique de la porte en accordéon qu’on rabattait violemment. Il lui sembla que quelqu’un parlait, mais ce n’était peut-être que son imagination. Le vent soufflait trop fort pour qu’on pût rien affirmer avec certitude.

S’appuyant contre le mur, elle gagna péniblement l’intersection des deux couloirs. Elle était sur le point de s’engager dans le grand couloir quand un cri venu de la cage d’escalier la cloua sur place :

— Danny ! Viens ici, petit voyou ! Viens recevoir ta raclée, comme un homme !

C’était Jack. Il était monté au deuxième ou au troisième étage et cherchait Danny.

Elle s’engagea dans le grand couloir, trébucha et faillit tomber. Tout à coup elle retint son souffle. Il y avait quelque chose

(ou quelqu’un ?)

écroulé au pied du mur, à quelques mètres de la cage de l’escalier. Elle hâta le pas, grimaçant de douleur chaque fois qu’elle s’appuyait sur sa jambe blessée. Elle finit par distinguer un homme et, quand elle se fut approchée davantage, elle comprit pourquoi il y avait eu ce bruit de moteur.

C’était Mr Hallorann. Il était enfin arrivé.

Doucement, elle s’agenouilla à côté de lui, priant le ciel qu’il ne fût pas mort. Son nez saignait et un gros jet de sang avait maculé sa bouche. Tout un côté de son visage n’était plus qu’un énorme hématome violacé, mais, grâce à Dieu, il respirait et son souffle strident faisait trembler son corps à chaque inspiration.

Elle remarqua avec étonnement que son anorak avait une manche roussie et qu’il était déchiré du haut en bas. Il avait du sang dans les cheveux et une vilaine égratignure à l’arrière du cou.

(Mon Dieu, que lui est-il arrivé ?)

— Danny ! La voix rauque et rageuse rugissait à l’étage. Sors de là immédiatement, nom de Dieu !

Ce n’était pas le moment de se poser des questions. Elle se mit à secouer Hallorann. À chaque mouvement de ses côtes cassées, d’intolérables élancements la transperçaient. Elle avait l’impression d’avoir tout le côté enflé, durci, brûlant.

Et si c’est mon poumon qu’elles touchent chaque fois que je bouge ?

Mais il n’y avait pas de temps à perdre. Si Jack trouvait Danny, il le tuerait à coups de maillet comme il avait essayé de le faire avec elle.

Elle secoua de nouveau Hallorann et se mit à tapoter doucement sa joue intacte.

— Réveillez-vous, dit-elle. Mr Hallorann, il faut vous réveiller. Je vous en supplie…

Là-haut, Jack Torrance cherchait toujours son fils et elle pouvait entendre les coups de maillet qui retentissaient au-dessus de sa tête.