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Le vent poussa des bardeaux enflammés et des lattes brûlantes par la porte ouverte de la remise et celle-ci s’embrasa à son tour.

Ils étaient encore à trente kilomètres de Sidewinder quand Hallorann s’arrêta pour verser ce qui restait d’essence dans le réservoir du scooter. Il se faisait beaucoup de souci pour Wendy Torrance qui semblait perdre progressivement connaissance ; il y avait encore un long chemin à faire.

— Dick ! s’écria Danny. Debout sur le siège, il montrait quelque chose du doigt. Regarde, Dick, regarde !

La neige s’était arrêtée de tomber et la pleine lune, ronde et argentée comme une pièce d’un dollar, avait fait son apparition entre les nuages à la dérive. Très loin, en bas, sur la route qui montait vers eux, ils aperçurent un cortège mouvant de lumières, égrenées comme les perles d’un collier le long des virages en lacets. Pendant une accalmie du vent, Hallorann put distinguer un bourdonnement lointain de moteurs de scooters. Ils les rencontrèrent un quart d’heure plus tard. Ils apportaient des vêtements de rechange, de l’eau-de-vie et le docteur Edmonds était avec eux.

La longue nuit avait pris fin.

58.

ÉPILOGUE : L’ÉTÉ

Après avoir vérifié que l’apprenti avait préparé correctement la salade et jeté un coup d’œil aux hors-d’œuvre, Hallorann dénoua son tablier, le suspendit et sortit par la porte de derrière. Il lui restait environ quarante-cinq minutes avant le branle-bas de combat du dîner.

Le Red Arrow Lodge était un motel perdu au fin fond des montagnes, dans l’ouest de l’État du Maine, à trente kilomètres d’une ville du nom de Rangely. C’était une bonne boîte, se disait Hallorann. Il n’y avait pas trop de monde, les pourboires étaient généreux et jusqu’ici pas un seul plat n’avait été renvoyé à la cuisine : record remarquable si l’on pensait que la moitié de la saison s’était déjà écoulée.

Il passa entre le bar en plein air et la piscine (parfaitement superflue, à son avis, vu qu’il y avait le lac à côté), traversa une pelouse où quatre clients jouaient au croquet en riant, grimpa une petite côte couronnée d’un bois de pins que la brise faisait doucement murmurer et qui embaumait l’air de leurs sucs résineux.

De l’autre côté de la crête, au-dessus du lac, quelques chalets isolés étaient nichés parmi les arbres. Le plus joli était le plus éloigné. Hallorann l’avait retenu pour deux personnes dès le mois d’avril, quand il avait découvert ce motel.

Une femme était assise dans un fauteuil à bascule, un livre entre les mains. Hallorann fut de nouveau frappé par la transformation qui s’était produite en elle. D’abord, le corset orthopédique qui l’obligeait à se tenir très droite donnait à son maintien quelque chose d’un peu sévère. En plus des côtes fracturées et des blessures internes, elle avait eu une vertèbre cassée et c’était ce qu’il y avait de plus long à guérir. Mais la transformation se voyait aussi dans son visage qui avait vieilli et paraissait moins rieur. Assise là, penchée sur son livre, elle avait une beauté grave qu’Hallorann ne lui avait jamais vue auparavant. À l’époque où il l’avait rencontrée, elle faisait encore très jeune fille, mais maintenant c’était une femme que l’existence n’avait pas épargnée mais qui avait surmonté les épreuves. Elle avait su tant bien que mal recoller les morceaux de leurs vies brisées. Hallorann savait pourtant que pour elle ce ne serait jamais plus tout à fait comme avant.

Au bruit de son pas, elle leva les yeux.

— Salut, Dick !

Fermant le livre, elle tenta de se dresser, mais son visage se contracta de douleur.

— Non, ne vous levez pas, le protocole c’est bon pour les soirées de gala, répondit Hallorann.

Elle le regardait monter les marches en souriant et il prit place à côté d’elle sur le porche.

— Comment allez-vous ?

— Pas trop mal, concéda-t-il. Essayez ce soir les crevettes à la créole. Elles sont extra.

— Je n’y manquerai pas.

— Où est Danny ?

— Il est là-bas.

Elle tendit le doigt et Hallorann distingua une petite silhouette assise au bout de la jetée. Il portait un jean roulé jusqu’aux genoux et un tee-shirt à rayures rouges. Devant lui, sur l’eau paisible, un bouchon flottait. De temps en temps, Danny remontait sa ligne, en examinait le plomb et l’hameçon, puis la relançait dans l’eau.

— Il commence à bronzer, dit Hallorann.

— Oui, il est déjà bien brun — et elle regardait affectueusement son fils.

Hallorann sortit une cigarette, la tapota pour tasser le tabac et l’alluma. La fumée dériva en lents méandres dans le soleil de l’après-midi.

— Est-ce qu’il fait toujours les mêmes cauchemars ?

— Ça va mieux, dit Wendy. Il n’en a eu qu’un seul cette semaine. Auparavant, c’était chaque nuit, quelquefois même à plusieurs reprises. Les explosions. Les buis. Et surtout… enfin vous savez.

— Oui. Ne vous en faites pas, Wendy. Il s’en tirera.

Elle l’interrogea du regard.

— Vous croyez ? Je me le demande.

Hallorann hocha la tête.

— Tous les deux, vous êtes en train de reprendre le dessus. Vous n’êtes plus comme avant, mais ce n’est pas forcément un mal.

Ils restèrent un moment sans parler, Wendy se balançant dans son fauteuil et Hallorann tirant sur sa cigarette, les pieds sur la balustrade du porche. Une petite brise se leva et, se faufilant par des chemins secrets à travers les pins, vint caresser les cheveux de Wendy qu’elle avait fait couper court.

— J’ai décidé d’accepter l’offre d’Al… de Mr Shockley, dit-elle.

Hallorann hocha la tête.

— Ce doit être une bonne place, un travail qui peut vous intéresser. Quand commencerez-vous ?

— Tout de suite après la Fête du Travail. Quand nous partirons d’ici, nous irons directement dans le Maryland pour chercher un logement. Vous savez, c’est la brochure du syndicat d’initiative qui m’a décidée. J’ai l’impression que c’est une région idéale pour élever un gosse. Et je voudrais me remettre au travail avant d’avoir complètement épuisé l’argent de l’assurance que Jack nous a laissée. Il reste encore quarante mille dollars, assez pour payer des études universitaires à Danny et même pour l’aider à prendre un bon départ dans la vie, si nous investissons cet argent intelligemment.

Hallorann hocha la tête.

— Et votre mère ?

Elle le regarda avec un sourire triste.

— Je pense que le Maryland sera suffisamment loin.

— Vous n’oublierez pas vos vieux amis, n’est-ce pas ?

— Danny ne le permettrait pas. Allez le voir, il vous attend depuis ce matin.

— Moi aussi.

Il descendit par le chemin de gravier et rejoignit Danny qui était assis au bout de la jetée, sur les vieilles planches pourries, les pieds trempant dans l’eau claire. Au-delà, le lac s’élargissait, reflétant les pins qui descendaient jusque sur ses rives. C’était un pays de très vieilles montagnes, aux contours arrondis, adoucis par le temps, et Hallorann trouvait ce paysage tout à fait à son goût.

— Tu prends quelque chose ? demanda-t-il.

S’asseyant à côté de Danny, il enleva une de ses chaussures, puis l’autre, et avec un soupir de plaisir trempa lui aussi ses pieds chauds dans l’eau fraîche.

— Non, mais j’ai eu une touche tout à l’heure.

— Nous utiliserons un bateau demain matin. Il faut aller jusqu’au milieu du lac pour prendre de belles pièces, fiston.