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Ullman les fit sortir. En partant, Maman lui avait demandé s’il trouvait les montagnes jolies et il avait répondu par l’affirmative. Mais, en vérité, elles ne lui faisaient ni chaud ni froid. Juste avant qu’Ullman ne fermât la porte derrière eux, Danny jeta un dernier regard par-dessus son épaule. La tache de sang avait réapparu. Toute fraîche, elle dégoulinait sous les yeux d’Ullman qui, sans y prêter attention, poursuivait imperturbablement son discours, énumérant les hommes célèbres qui avaient séjourné dans ces lieux. Tandis qu’ils s’éloignaient dans le corridor, Danny s’aperçut qu’il s’était mordu la lèvre si fort qu’elle saignait. Il se laissa un peu devancer par les autres et, s’essuyant le sang du revers de sa main, il se mit à réfléchir au

(sang)

(Était-ce du sang que Mr Hallorann avait vu ou quelque chose d’encore pire ?)

(Je ne pense pas que tes visions puissent te faire de mal.)

Un cri lui monta aux lèvres, mais il le retint. Ses parents ne voyaient pas ces visions, pas plus aujourd’hui qu’hier. Il fallait se taire. Papa et Maman s’aimaient. C’était l’essentiel. Le reste, ce n’était que des images dans un livre. Elles pouvaient faire peur, mais elles ne pouvaient pas faire mal. (Elles… ne peuvent pas te faire de mal.)

Mr Ullman les fit passer par un labyrinthe de couloirs et leur montra, au passage, quelques autres chambres. Dans ses commentaires, il était sans cesse question de la « crème », des « huiles », du « gratin ». Mais, Danny avait beau chercher, il ne voyait rien à manger. Mr Ullmann leur montra les chambres qu’avaient louées une dame qui s’appelait Marilyn Monroe et un monsieur du nom d’Arthur Miller. D’après ce que Danny avait pu comprendre, leur séjour à l’Overlook s’était soldé par un DIVORCE.

— C’est dans cette chambre-ci que Truman Capote a passé quelques jours, dit Mr Ullman, poussant une porte. C’était déjà de mon temps. Un homme charmant, d’une politesse exquise, à l’européenne.

Il n’y avait rien de remarquable dans ces chambres (sinon l’absence d’huile, de crème et de gratin, malgré les fréquentes allusions de Mr Ullman), rien qui lui fît peur. Il avait pourtant remarqué, pendant ce tour du troisième étage, un objet qui l’inquiétait, sans qu’il sût pourquoi. C’était un extincteur accroché au mur d’un petit couloir qui débouchait sur le grand couloir de l’ascenseur. Ce dernier, dont les portes étaient restées ouvertes, évoquait la gueule d’un géant, pleine de dents en or, prête à les happer.

L’extincteur, qui était d’un vieux modèle, ne ressemblait pas aux extincteurs que Danny avait déjà vus, celui de la maternelle par exemple, mais ce n’était sûrement pas pour ça qu’il le trouvait inquiétant. Lové comme un serpent endormi, avec sa lance étincelante qui se détachait sur le papier bleu ciel du mur, cet objet le mettait mal à l’aise. Il ne se sentit vraiment rassuré qu’une fois dans le couloir principal, d’où il ne pouvait plus le voir.

— Évidemment, il vaudrait mieux fermer tous les volets, dit Mr Ullman en remontant dans l’ascenseur. (La cabine s’affaissa de nouveau sous son poids.) Mais surtout ceux de la grande baie de la suite présidentielle. Elle nous avait coûté, il y a trente ans, quatre cent vingt dollars. Il nous en faudrait huit fois plus pour la remplacer.

— Je fermerai les volets, dit Jack.

Ils sortirent au deuxième où ils découvrirent un labyrinthe de couloirs encore plus inextricable. Le soleil avait commencé à descendre derrière les montagnes et la lumière qui venait des fenêtres avait faibli sensiblement. Mr Ullman ne leur montra qu’une ou deux chambres. Sans ralentir le pas, il passa devant la chambre 217, celle contre laquelle Dick Hallorann avait mis Danny en garde. La petite plaque numérotée sur la porte, apparemment inoffensive, semblait pourtant exercer sur Danny une certaine fascination.

Ils descendirent au premier étage qu’ils traversèrent sans que Mr Ullman leur fît visiter aucune chambre. À deux pas de l’escalier qu’ils allaient prendre pour descendre au hall, il leur annonça :

— Voici votre appartement. J’espère que vous le trouverez à votre convenance.

Au premier coup d’œil à l’intérieur, Wendy se sentit soulagée. La froide élégance de la suite présidentielle lui en avait imposé. Visiter un monument historique, voir le lit dans lequel un Lincoln, un Roosevelt avait passé la nuit ne lui était pas désagréable. Mais coucher dans un tel lit ne lui disait rien du tout. L’idée de faire l’amour, se débattant sous des kilos de draps en toile de lin, là où les plus grands hommes (les plus puissants, en tout cas, rectifia-t-elle) avaient dormi la mettait mal à l’aise. Leur appartement à eux était simple et chaleureux, presque intime. Elle y passerait l’hiver sans déplaisir.

— C’est très agréable, dit-elle à Ullman, d’une voix vibrante de gratitude.

Ullman hocha la tête.

— C’est simple, mais convenable. Pendant la saison, c’est ici qu’habitent le cuisinier et sa femme ou son apprenti, selon les cas.

— Mr Hallorann a habité ici ? demanda Danny.

— Parfaitement, mon petit bonhomme. Lui et Mr Nevers. (Il se tourna de nouveau vers Jack et Wendy.) Voici le living.

Il y avait plusieurs fauteuils confortables sinon luxueux, une table basse qui avait dû coûter cher, mais qui était sérieusement éraflée d’un côté, deux bibliothèques et un poste de télé banal, comme on en trouve dans tous les motels. Rien à voir avec les élégants postes encastrés qu’ils avaient vus dans les chambres.

— Pas de cuisine, évidemment, dit Ullman, mais celle de l’hôtel est située directement en dessous et il y a un remonte-plats qui communique avec elle.

Faisant glisser un panneau coulissant dans le mur, il découvrit un grand plateau suspendu. Quand il le poussa, le plateau disparut, entraînant sa corde derrière lui.

— C’est un passage secret ! s’écria Danny. (L’idée excitante d’un conduit caché dans le mur lui fit oublier un instant ses frayeurs.) C’est comme dans Abbott et Costello contre les monstres !

Ullman traversa le salon et ouvrit la porte de la chambre. Elle était claire et spacieuse. En voyant les lits jumeaux, Wendy regarda son mari d’un air entendu, sourit et haussa les épaules.

— Ça ne fait pas problème, dit Jack. Nous les rapprocherons.

— Je vous demande pardon ? dit Ullman, perplexe.

— Les lits, dit Jack. Nous les rapprocherons.

— Oh ! parfait ! s’exclama Ullman, toujours déconcerté.

Puis un flux de sang monta le long de son cou et lui empourpra tout le visage.

— Comme il vous plaira.

Il les fit retraverser le salon et les conduisit à la porte d’une autre chambre, plus petite, pourvue de lits-couchettes superposés. Dans l’angle, un radiateur faisait déjà du raffut. Le tapis, orné d’un affreux décor de sauges et de cactus, avait séduit Danny au premier coup d’œil. Des lambris en pin massif couvraient les murs.

— Tu pourras te faire à cette chambre, prof ? demanda Jack.

— Bien sûr. Je vais dormir dans le lit du haut. D’accord ?

— Si tu veux.

— Ce tapis est drôlement chouette aussi. Mr Ullman, vous auriez dû mettre ce genre de tapis partout.

Ullman fit la grimace de quelqu’un qui vient d’enfoncer les dents dans un citron.

— Voilà, je crois que vous avez tout vu, sauf la salle de bains, qui communique avec la chambre de maître. L’appartement n’est pas très grand, mais vous pourrez disposer de tout l’hôtel pour vous étendre. La cheminée du hall tire très bien, c’est du moins ce que Watson m’a affirmé. Vous êtes libres de prendre vos repas à la salle à manger si vous le souhaitez.