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— Je vois mes empreintes, Papa. Mais…

— Et les buis, Danny ?

Les lèvres de Danny se mirent à trembler. Il était au bord des larmes. Et s’il n’arrivait pas à s’arrêter ?

Je ne pleurerai pas, je ne pleurerai pas !

— Ils sont recouverts de neige, dit-il tout bas. Mais, Papa…

— Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ?

— Jack, nous ne sommes pas au tribunal ! Ne vois-tu pas qu’il est bouleversé ? Il est…

— Tais-toi ! Tu disais, Danny ?

— Les buis m’ont égratigné, Papa. Ils m’ont griffé la jambe.

— Tu as dû te couper la jambe sur la croûte de neige.

Le visage pâle, l’air furieux, Wendy s’interposa :

— Qu’est-ce que tu essaies de lui faire dire ? lui demanda-t-elle. On dirait que tu veux lui faire avouer un crime. Mais qu’est-ce que tu as ?

La lueur étrange dans les yeux de Jack s’évanouit.

— J’essaie de l’aider à distinguer entre la réalité et une hallucination, rien de plus. Il s’accroupit à côté de Danny pour pouvoir le regarder en face, puis le serra très fort dans ses bras. Danny, tout ce que tu nous as raconté n’est arrivé que dans ton imagination. Tu comprends ? C’était comme ces transes qui te prennent quelquefois. C’est tout.

— Papa ?

— Oui, Dan ?

— Je ne me suis pas coupé la jambe sur la croûte de neige. Il n’y a pas de croûte, la neige est poudreuse. Elle ne colle même pas assez pour faire des boules de neige. Nous avons essayé de nous battre à coups de boules de neige et nous n’avons pas pu. Tu t’en souviens ?

Il sentit son père se raidir contre lui.

— Alors tu t’es coupé contre la marche du porche.

Danny se dégagea de l’étreinte de son père. Soudain il avait compris. Dans un éclair, tout était devenu limpide. Il dévisagea son père avec de grands yeux.

— Tu sais que je dis la vérité ! chuchota-t-il, indigné.

— Danny !

Le visage de Jack se crispa, ses mâchoires se serrèrent.

— Tu sais parce que toi aussi tu as vu.

La gifle s’abattit sur le visage de Danny avec un petit bruit sec, banal. Sous le choc, la tête de l’enfant roula en arrière et l’empreinte de la main de Jack se dessina en rouge sur la joue comme une brûlure.

Wendy poussa un cri.

Pendant un moment ils restèrent tous les trois sans bouger, puis Jack prit Danny dans ses bras et lui dit :

— Danny, je te demande pardon. Je ne t’ai pas fait trop mal, prof ?

— Tu l’as frappé, espèce de salaud ! cria Wendy. Tu n’es qu’un salaud !

Elle saisit Danny par l’autre bras et essaya de l’arracher à Jack.

— Oh ! arrêtez de me tirer dessus ! hurla-t-il — et sa voix exprimait une telle souffrance qu’ils le lâchèrent tous les deux sur-le-champ.

Puis, s’écroulant entre le canapé et la fenêtre, il éclata en sanglots tandis que ses parents le regardaient, sans savoir que faire, comme des enfants regardent un jouet qu’ils ont cassé en se le disputant. Dans la cheminée un autre nœud de sapin explosa comme une grenade, les faisant tous sursauter.

Wendy lui donna une aspirine pour enfant et Jack le glissa, sans qu’il proteste, entre les draps de son lit. En un rien de temps il s’endormit, le pouce à la bouche.

— Ça ne me plaît pas, dit-elle. C’est une régression.

Jack ne répondit pas.

Elle le regarda doucement, sans colère, mais sans sourire non plus.

— Tu veux que je te demande pardon de t’avoir appelé salaud ? D’accord, je te demande pardon. Je suis désolée. Mais tu n’aurais pas dû le frapper.

— Je sais, marmonna-t-il. Je sais. Je ne sais pas ce qui m’a pris.

— Tu avais promis de ne jamais plus le frapper.

Il lui lança un regard furieux, puis sa colère s’évanouit. Wendy comprit que ce visage résigné qu’elle voyait pour la première fois et qui lui faisait tellement pitié était celui du vieillard que Jack deviendrait un jour. Elle ne lui avait jamais vu cet air-là.

(Quel air ?)

L’air vaincu, se dit-elle. Il a l’air vaincu.

Il dit :

— J’avais toujours pensé que je pouvais tenir mes promesses.

Elle alla vers lui et posa ses mains sur son bras.

— Ça ne fait rien, c’est fini. Quand le forestier viendra nous chercher, nous lui dirons que nous voulons tous partir. D’accord ?

— D’accord, dit Jack, et, à ce moment-là, au moins, il était de bonne foi.

Comme il avait été de bonne foi quand, au lendemain de ses beuveries, il se regardait, pâle et hagard, dans la glace en se jurant : « Je vais m’arrêter, m’arrêter d’un seul coup. » Mais la matinée passait et, l’après-midi venu, il se sentait mieux. Et l’après-midi, selon son habitude, faisait place à la nuit. Comme le disait si bien un de nos grands philosophes contemporains, la nuit finit toujours par tomber.

Il aurait aimé que Wendy lui posât des questions au sujet des buis, qu’elle lui demandât ce que Danny avait voulu dire quand il avait accusé son père : « Tu sais parce que toi aussi tu as vu. » Si elle l’avait fait, il lui aurait tout dit. Tout. Les buis, la femme dans la chambre, même la lance de l’extincteur qui semblait avoir changé de position. Mais où aurait-il arrêté sa confession ? Est-ce qu’il pouvait lui avouer qu’il avait jeté la magnéto et que sans cela, à l’heure qu’il était, ils seraient déjà à Sidewinder ?

Mais elle se contenta de lui demander :

— Veux-tu une tasse de thé ?

— Oui, une tasse de thé me ferait du bien.

Et elle sortit faire du thé, le laissant seul à surveiller leur fils.

36.

L’ASCENSEUR

Jack se réveilla d’un sommeil léger et agité. Dans son rêve, de vagues ombres l’avaient poursuivi à travers des champs de neige qui s’en allaient à l’infini. Dans l’obscurité de la chambre il entendit une succession de bruits mécaniques — cliquetis, vrombissements, grincements — et il crut rêver encore.

Mais Wendy se réveilla, elle aussi, en sursaut. Il comprit alors qu’il ne rêvait pas.

— Qu’est-ce que c’est ?

La main qui serrait son poignet était de glace. Il réprima son envie de la repousser — comment diable est-ce qu’il saurait ce que c’était ? Le cadran lumineux du réveil marquait minuit moins cinq.

Le vrombissement revint, fort et régulier, avec de légères variations de régime, puis s’arrêta sur un déclic. Il y eut alors un claquement métallique suivi d’un coup sourd. Puis le vrombissement reprit.

C’était l’ascenseur.

Danny s’était assis dans son lit.

— Papa ? Papa ? demanda-t-il d’une voix mal réveillée mais craintive.

— Je suis là, prof, dit Jack. Viens ici et monte dans notre lit. Ta maman est réveillée aussi.

Il grimpa sur le lit et se glissa entre eux, en faisant froufrouter les draps et les couvertures.

— C’est l’ascenseur, chuchota-t-il.

— Tu as raison, dit Jack. Ce n’est que l’ascenseur.

— Comment peux-tu dire « Ce n’est que l’ascenseur » ? demanda Wendy, indignée, sur un ton qui frôlait l’hystérie. C’est le milieu de la nuit. Qui est-ce qui le fait marcher ?