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VrooouuumMMM. Clic-clac. L’ascenseur était au-dessus de leurs têtes maintenant. Au ferraillement de la grille de la cabine qui se rabattait en accordéon succéda le double claquement des battants de la porte du palier. Puis ce fut de nouveau le ronronnement du moteur et le grincement des câbles.

Danny se mit à pleurnicher.

Jack dégagea ses pieds des draps et les posa à terre.

— C’est probablement un court-circuit. Je vais aller voir.

— Je t’interdis de sortir de cette chambre !

— Ne sois pas stupide, dit-il, passant sa robe de chambre. C’est mon travail.

En un clin d’œil elle fut debout, tenant Danny par la main.

— Nous irons avec toi.

— Wendy !

— Qu’y a-t-il ? demanda Danny d’un air sombre. Qu’est-ce qui ne va pas, Papa ?

Au lieu de répondre, Jack détourna la tête. Il avait les traits figés en un masque de colère. D’un geste brusque, il noua la ceinture de sa robe de chambre, ouvrit la porte et sortit dans l’obscurité du couloir.

Wendy hésita un moment et ce fut Danny qui fit le premier pas. Elle se hâta de le rattraper et ils sortirent ensemble.

Jack s’était arrêté devant la cage de l’ascenseur, flanquée de banquettes et de cendriers étouffoirs, et se tenait immobile devant la porte fermée. Dans sa robe de chambre en écossais passé et ses pantoufles de cuir marron aux talons éculés, avec ses cheveux ébouriffés par le sommeil, il avait l’air de quelque Hamlet moderne, trop indécis pour modifier le cours du destin tragique dont il regardait, fasciné, la marche inexorable.

La main de Danny serrait douloureusement celle de Wendy ; les traits tirés et l’air anxieux, il levait sur elle un regard interrogateur.

— Allons-y, dit-elle, et ils avancèrent bravement dans le couloir pour rejoindre Jack.

À travers le hublot en losange au milieu de la porte de la cage, elle crut distinguer les câbles qui frémissaient encore. L’ascenseur s’était arrêté, au-dessous, au rez-de-chaussée. Ils entendirent s’ouvrir les portes, puis…

(La fête)

Pourquoi avait-elle pensé à une fête ? Ce mot venait de lui effleurer l’esprit sans raison. À part les bruits bizarres qui montaient par la cage de l’ascenseur, il régnait dans l’Overlook un silence de mort.

(C’était sûrement une fête extraordinaire.)

(QUELLE FÊTE ?)

C’est alors qu’une image surgit de son inconscient, une image si vraie qu’elle semblait être un souvenir… — pas n’importe quel souvenir, mais un de ceux que l’on chérit, que l’on n’évoque qu’aux grandes occasions et dont on parle rarement. Il y avait des centaines, des milliers de lumières ; une profusion de couleurs ; on entendait les petites détonations joyeuses des bouteilles de champagne et un orchestre de quarante musiciens jouait In the mood de Glenn Miller. Mais Glenn Miller avait trouvé la mort dans un bombardier pendant la guerre, avant qu’elle ne soit née. Comment aurait-elle pu se souvenir de Glenn Miller ?

En bas, la porte de l’ascenseur s’était rabattue et dans un bourdonnement grinçant la cabine avait commencé à remonter.

Elle passa sans s’arrêter au premier étage où ils se trouvaient et monta jusqu’au troisième. Wendy observait Danny qui avait les yeux grands ouverts et les lèvres pincées en lame de couteau. La porte coulissant de la cabine s’ouvrit et celle du palier claqua. C’était l’heure, l’heure de dire…

(Bonne nuit… bonne nuit… oui, c’était enchanteur… non, je ne peux vraiment pas rester pour les voir se démasquer… je suis une couche-tôt et une lève-toi… quoi, c’était Sheila ? Le moine ?… Quelle drôle d’idée !… Sheila en moine ! Oui, bonne nuit… Quelle merveilleuse soirée !)

Clic-clac ! Vroum !

L’embrayage s’enclencha, le moteur redémarra et la cabine se mit à descendre en grinçant.

— Jack, chuchota-t-elle. Qu’est-ce qui arrive ? Pourquoi est-ce qu’il s’est mis en marche ?

— Un court-circuit, répondit Jack. (Son visage était de bois.) Je te dis que c’est un court-circuit.

L’ascenseur s’arrêta de nouveau. Le silence était revenu, l’hôtel était désert. On n’entendait plus que les craquements de la bâtisse et le gémissement du vent tourbillonnant autour du toit.

Jack s’avança vers une boîte vitrée accrochée au mur à hauteur de poitrine, sur la droite. D’un coup de poing il cassa le verre, dont les débris dégringolèrent à l’intérieur, tailladant deux de ses doigts. Il passa la main dans l’ouverture et en retira une longue clef à tige lisse.

— Jack, non, ne fais pas ça.

— Je ferais ce que j’ai à faire. Laisse-moi tranquille, Wendy.

Elle essaya de lui retenir le bras, mais il la repoussa. Ses pieds se prirent dans l’ourlet de sa robe de chambre et elle tomba lourdement à terre. Danny poussa un cri aigu et se jeta à genoux à côté d’elle. Jack retourna vers l’ascenseur et enfonça la clef dans la serrure.

Les câbles de l’ascenseur disparurent et il vit apparaître, dans le petit hublot de la porte, le plancher de la cabine. Un instant plus tard, Jack tourna la clef de toutes ses forces. La cabine tomba instantanément à l’arrêt, dans un grincement assourdissant. Au sous-sol, le moteur débrayé continua un moment à tourner, puis le disjoncteur coupa le courant et un silence irréel se fit dans l’Overlook, laissant le champ libre aux hurlements du vent dehors dans la nuit. Jack regardait d’un air hébété la porte de métal gris de la cage de l’ascenseur. Au-dessous du trou de la serrure, ses doigts avaient laissé trois taches de sang.

Il se tourna vers Wendy, assise par terre avec Danny blotti contre elle. Ils l’observaient tous deux attentivement comme s’il était un étranger qu’ils voyaient pour la première fois et dont ils se méfiaient. Sans très bien savoir ce qu’il allait dire, il ouvrit la bouche :

— C’est… Wendy, c’est mon travail.

Elle répondit en articulant avec soin :

— Je me fous de ton travail.

Il se retourna vers l’ascenseur et, glissant ses doigts dans la fente qui courait le long du côté droit de la porte, il réussit à la repousser légèrement, puis, en pesant de tout son poids, il finit par l’ouvrir complètement.

La cabine s’était arrêtée entre deux étages, son plancher arrivait à hauteur de la poitrine de Jack. Dans la chaude lumière qui la baignait, elle se détachait avec netteté sur l’obscurité glauque du puits de la cage.

Pendant un moment qui leur parut interminable, il inspecta l’intérieur.

— Elle est vide, dit-il enfin. C’était un court-circuit, comme je te l’ai dit.

Il avait accroché ses doigts dans la fente derrière la porte et commençait à la refermer quand il sentit la main de Wendy se poser sur son épaule et le tirer en arrière avec une force inattendue.

— Wendy ! lui cria-t-il.

Mais elle avait déjà saisi le bord inférieur de la cabine et s’était soulevée sur ses bras pour pouvoir regarder à l’intérieur. Puis, dans un effort violent des épaules et du ventre, elle entreprit de se hisser dans la cabine. L’issue de sa tentative resta un moment en suspens : ses pieds se balancèrent au-dessus du gouffre noir qui s’ouvrait sous elle et une de ses pantoufles roses glissa, disparaissant dans le vide.

— Maman ! cria Danny.

Elle réussit enfin à monter dans la cabine. Elle avait les joues en feu, son front était d’une pâleur lunaire.

— Qu’est-ce que tu dis de ça, Jack ? Est-ce un court-circuit ?