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L’homme-chien se trouvait maintenant sur le palier de l’escalier. Il avait remis la tête de son déguisement et gambadait à quatre pattes, courant en rond après sa queue. Par moments, il bondissait en l’air et lâchait des jappements quand il retombait sur le tapis.

— Ouâ, ouâ !

Danny s’en revint vers la chambre, s’assit sur son lit de camp et se cacha le visage dans ses mains. À présent, c’était l’hôtel qui menait la danse. Peut-être qu’au départ tout n’était arrivé que par hasard et que les visions qu’il avait eues n’étaient pas plus dangereuses que des images dans un livre. Mais maintenant c’était l’hôtel qui tirait les ficelles dans le but évident de leur nuire. L’Overlook ne tenait pas à ce que Danny rejoigne son père : ça pourrait gâcher la fête. Alors il avait mis l’homme-chien sur son chemin, tout comme il avait interposé les animaux de buis entre eux et la route, pour bloquer une fuite éventuelle.

Mais son papa pouvait encore venir jusqu’à leur chambre. Et c’est ce qu’il ferait tôt ou tard.

Il se mit à pleurer et les larmes ruisselaient silencieusement le long de ses joues. C’était trop tard. Ils allaient mourir, tous les trois, et, quand l’Overlook rouvrirait à la fin du printemps, ils seraient là, eux aussi, pour accueillir les clients. Comme tous les autres fantômes de l’hôtel, comme la femme dans la baignoire, l’homme-chien et l’horrible petite créature au fond du tunnel en ciment, ils seraient…

Ça suffit ! Arrête.

Furieux, il essuya avec ses poings les larmes de ses yeux. Il ne se laisserait pas faire. Au contraire, il ferait tout son possible pour qu’il ne leur arrive rien, ni à son papa, ni à sa maman, ni à lui-même.

Il ferma les yeux et l’appel partit, foudroyant comme l’éclair :

(DICK, JE T’EN SUPPLIE, VIENS VITE ! NOUS AVONS LES PIRES ENNUIS ! NOUS AVONS BESOIN DE TOI !)

Et soudain, dans le noir, derrière l’écran de ses paupières, le monstre surgit, brandissant sa massue préhistorique au-dessus de sa tête, le monstre en blanc qui, dans ses rêves, le poursuivait à travers les couloirs obscurs de l’Overlook :

— Je te ferai taire, sale garnement ! Je te ferai taire parce que je suis ton PÈRE !

— Non !

Revenu soudain à la réalité, Danny se mit à hurler et ses cris, qu’il ne parvenait pas à étouffer, réveillèrent en sursaut sa mère qui se dressa, serrant nerveusement les draps contre sa poitrine.

Non, Papa, non, non, non !

Ils avaient tous les deux entendu le sifflement menaçant de la massue qui avait fauché l’air tout près d’eux. Il courut vers sa mère, l’étreignit, tremblant comme un lapin pris au collet. Les sifflements alors s’éloignèrent et le silence revint.

Non, l’Overlook ne le laisserait plus faire appel à Dick. Ça aussi, ça gâcherait la fête.

Ils étaient seuls.

Dehors la neige tombait dru, tissant un rideau épais qui les isolait du monde.

42.

EN PLEIN VOL

Le premier appel pour le vol de Dick Hallorann fut lancé à six heures quarante-cinq du matin, mais Dick, qui faisait passer nerveusement son sac de voyage d’une main à l’autre, fut retenu près de la porte d’embarquement 31 par le contrôleur, jusqu’au dernier appel, à six heures cinquante-cinq. Le seul passager du vol TWA 196 Miami-Denver à ne pas encore s’être présenté, un dénommé Carlton Vecker, pouvait toujours surgir et réclamer sa place.

— O.K., dit le contrôleur en tendant à Hallorann une carte d’embarquement bleue de première classe. Vous avez eu de la chance. Vous pouvez monter, monsieur.

Hallorann se précipita sur la rampe d’embarquement. Une hôtesse de l’air au sourire mécanique déchira la carte et lui en rendit le talon.

— Nous allons servir le petit déjeuner pendant le vol, dit l’hôtesse. Voulez-vous…

— Rien que du café, ma jolie, lui dit-il au passage, et il se dirigea vers la section « fumeurs ». Jusqu’à la dernière seconde, il s’attendit à voir Carlton Vecker passer sa tête par la porte et lui faire coucou d’un air narquois. Sa voisine, assise à côté du hublot, lisait Vous pouvez être votre meilleur ami, d’un air furibond et incrédule.

Hallorann avait passé la nuit à l’aéroport, allant d’un comptoir à l’autre, d’United à Braniff, en passant par American et TWA, harcelant les employés. Un peu après minuit, tandis qu’il buvait à la cantine sa huitième ou neuvième tasse de café, il avait décidé que c’était de la folie de vouloir s’occuper de cette affaire. Ce qu’il fallait faire, c’était prévenir les autorités. Il était descendu au standard et, après avoir parlé à trois téléphonistes différentes, il avait obtenu le numéro du service-secours du parc national des Rocheuses.

L’homme qui avait répondu au téléphone paraissait à bout de forces. Hallorann avait donné un faux nom et avait dit qu’on avait des ennuis à l’hôtel Overlook de Sidewinder, de graves ennuis.

On lui avait demandé alors de patienter un moment.

Cinq minutes plus tard, le garde forestier (Hallorann supposait que c’en était un) était revenu au bout du fil.

— Ils ont bien un poste émetteur ? demanda le garde forestier.

— Bien sûr qu’ils ont un poste émetteur, répondit Hallorann.

— Alors comment se fait-il qu’ils ne nous ont pas envoyé de S.O.S. ?

— Je n’en sait rien et je m’en fous. Ils…

— Quel genre d’ennuis ont-ils, Mr Hall ?

— Eh bien, c’est une famille, le gardien, sa femme et son fils. J’ai l’impression que le père commence à dérailler et qu’il pourrait bien s’attaquer à sa femme et à son gosse.

— Puis-je savoir d’où vous tenez ces renseignements, monsieur ?

Hallorann ferma les yeux.

— Comment vous appelez-vous, mon gars ?

— Tom Staunton, monsieur.

— Eh bien, Tom, je le sais, un point c’est tout. Je vais vous expliquer aussi clairement que possible. Ça va très mal là-haut. Ça risque de dégénérer en assassinat. Vous comprenez ce que je vous dis ?

— Mr Hall, je dois quand même vous demander de préciser les sources de vos renseignements.

— Écoutez, dit Hallorann. Je vous dis que je le sais.

— Mais, Mr Hall, vous ne téléphonez pas du Colorado.

— Non, mais je ne vois pas…

— Si vous n’êtes pas dans le Colorado, vous ne pouvez pas recevoir les émissions du poste de l’hôtel. Et, si vous ne pouvez pas recevoir leurs émissions, vous n’avez pas pu avoir de contact direct avec les… euh… (Hallorann entendit un froissement de papiers.) Les Torrance. Tandis que vous attendiez, j’ai essayé de leur téléphoner. La ligne est coupée, ce qui n’a rien d’étonnant. Il y a encore vingt-cinq miles de lignes aériennes entre l’hôtel et le central de Sidewinder. Je finis par croire que vous n’êtes qu’un farfelu.

— Et vous, pauvre… (Mais son désespoir était trop grand pour qu’il trouvât l’épithète adéquate. Brusquement, il eut une inspiration.) Appelez-les ! s’écria-t-il.

— Pardon ?

— Vous avez un poste émetteur et ils ont un poste récepteur. Alors, appelez-les ! Appelez-les et demandez-leur ce qui se passe !

Il y eut un bref silence pendant lequel on n’entendit que le bourdonnement de la ligne.

— Vous avez déjà essayé, n’est-ce pas ? demanda Hallorann. C’est pour ça que j’ai tellement attendu. Vous avez d’abord essayé le téléphone, puis le poste émetteur et vous n’avez reçu aucune réponse, mais vous continuez à affirmer que tout va bien !… Mais qu’est-ce que vous foutez là-haut, bon Dieu ? Vous passez votre temps le cul sur une chaise à faire des parties de belote ?