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— Je voudrais que Papa guérisse, dit Danny, et il recommença à pleurer.

— Moi aussi, dit-elle, serrant Danny très fort dans ses bras. C’est pour ça, mon chéri, qu’il faut que tu m’aides à le mettre en sécurité quelque part où l’hôtel ne pourra pas l’atteindre et où il ne pourra pas se faire mal à lui-même. Ensuite…, si ton ami Dick Hallorann arrive, ou un garde forestier, nous pourrons l’emmener. Je crois qu’il pourra guérir et que nous finirons par nous en remettre. Je pense que c’est toujours possible, à condition de nous montrer forts et courageux, comme tu l’as été quand tu t’es jeté sur son dos. Est-ce que tu comprends ?

Elle le regardait d’un air suppliant. Jamais il n’avait autant ressemblé à Jack.

— Oui, dit-il en hochant la tête. Je pense que si nous arrivons à partir d’ici… tout peut redevenir comme avant. Où pourrions-nous le mettre ?

— Dans la réserve. Il y a de la nourriture à l’intérieur et un bon verrou solide à l’extérieur. Il y fait chaud. Quant à nous, nous pourrons terminer ce qui reste dans le frigidaire et dans le congélateur. Il y aura largement assez pour nous trois en attendant qu’on vienne nous délivrer.

— On le fait maintenant ?

— Oui, tout de suite. Avant qu’il ne se réveille.

Danny souleva la planche mobile qui donnait accès au bar tandis qu’elle pliait les mains de Jack sur sa poitrine et écoutait pendant un instant sa respiration, qui était lente mais régulière. À en juger par l’odeur, il avait dû boire énormément… et il n’en avait plus l’habitude. À son avis, c’était autant l’alcool que le coup sur la tête qui l’avait mis K.O.

Le prenant par les pieds, elle commença à le tirer sur le plancher. Ça faisait sept ans qu’elle était sa femme, il s’était étendu sur elle des milliers de fois, mais jamais elle ne s’était rendu compte qu’il pesait si lourd. Bien que son souffle sifflât douloureusement dans sa gorge meurtrie, elle se sentait mieux que depuis bien des jours. Elle était toujours en vie et c’était appréciable quand on venait de frôler la mort de si près. Jack aussi était vivant. C’était par pure chance, plutôt que par calcul, qu’ils avaient trouvé ce qui était peut-être pour eux la voie du salut.

Les pieds de Jack coincés contre ses hanches, elle s’arrêta un instant pour reprendre haleine. Elle se dit qu’elle ressemblait au vieux capitaine de L’Île au trésor qui, après que le vieil aveugle, Pew, lui a communiqué la peste, s’écrie : « On les aura ! »

Mais, quand elle se rappela que quelques secondes plus tard le vieux marin tombe raide mort, elle éprouva un certain malaise.

— Est-ce que ça va, Maman ? Il n’est pas trop lourd ?

— J’y arriverai.

Elle se remit à le tirer. Une des mains de Jack avait glissé de sa poitrine et Danny, qui se trouvait à côté, la remit en place doucement, tendrement.

— Tu en es sûre, Maman ?

— Oui. C’est la meilleure solution, Danny.

— C’est comme si nous le mettions en prison.

— Mais pas pour longtemps.

— Alors, c’est d’accord. Tu es sûre d’y arriver ?

— Oui.

Mais il s’en fallut de peu qu’elle n’y arrivât pas. Quand ils passaient le seuil des portes, Danny soulevait la tête de son père, mais, au moment de pénétrer dans la cuisine, quand il voulut prendre la tête de Jack dans ses mains, elles glissèrent sur ses cheveux gras, et Jack, dont la tête heurta le carrelage, se mit à gémir et à remuer.

— Il faut faire de la fumée, marmonna-t-il. Cours me chercher le bidon d’essence.

Wendy et Danny échangèrent un regard anxieux.

— Aide-moi, dit-elle à voix basse.

Danny resta un moment sans pouvoir bouger, puis, d’un air décidé, il alla rejoindre sa mère et, tirant tous les deux sur la jambe gauche, ils réussirent à traîner Jack à travers la cuisine. L’action semblait se dérouler au ralenti, comme dans certains cauchemars. On n’entendait que le bourdonnement d’insecte du néon et le bruit de leurs respirations haletantes.

Quand ils arrivèrent à la porte de la réserve, Wendy posa les pieds de Jack par terre et se retourna pour tirer le verrou. Danny regarda Jack qui gisait à ses pieds, l’air de nouveau tranquille et détendu. En le tirant, ils avaient fait sortir de son pantalon le pan de sa chemise. Danny se demanda si son papa était trop ivre pour sentir le froid. Ça ne lui paraissait pas bien de l’enfermer dans la réserve comme une bête sauvage, mais Danny avait vu ce que Papa avait essayé de faire à Maman. Avant même de descendre, il avait su que Papa allait le faire. Il les avait entendus se disputer dans sa tête.

Si seulement nous pouvions partir d’ici. Si seulement ce n’était qu’un rêve et que nous soyons toujours à Stovington. Si seulement.

Le verrou était coincé.

Wendy tira sur lui de toutes ses forces, mais il ne bougea pas. Elle ne pouvait pas ouvrir ce maudit verrou. C’était si stupide, si injuste… Elle l’avait ouvert sans difficulté quand elle était venue chercher la boîte de soupe. Mais maintenant il refusait de bouger. Que faire ? On ne pouvait pas mettre Jack dans la chambre froide ; il mourrait de froid ou d’asphyxie. Mais s’ils le laissaient dehors et qu’il se réveillât…

Par terre, Jack se mit à remuer de nouveau.

— Je vais m’en occuper, marmonna-t-il. J’ai compris.

— Il se réveille, Maman ! cria Danny.

Sanglotante, elle tirait à deux mains sur le verrou.

— Danny ? La voix de Jack, encore brouillée, exprimait une menace sourde. C’est toi, prof ?

— Il faut dormir, Papa, dit Danny nerveusement. Il est l’heure de se coucher, tu sais.

Il regarda sa mère qui s’acharnait toujours sur le verrou et vit immédiatement pourquoi celui-ci restait bloqué. Elle avait oublié de le faire pivoter avant de le tirer, et le tenon était pris dans l’encoche.

— Regarde, dit-il, écartant ses mains tremblantes : les siennes tremblaient presque autant.

D’un coup de paume, il libéra le tenon et le verrou glissa sans peine.

— Vite, dit-il, voyant que Jack avait ouvert les yeux et le regardait d’un air étrangement calme et songeur.

— Tu as triché, lui dit Papa. Je sais que tu as triché. Et je le prouverai, je te le garantis. Je le prouverai…

Puis ses paroles s’embrouillèrent de nouveau.

Sans remarquer l’odeur piquante de fruits secs qui se dégageait de la réserve, Wendy poussa la porte du genou puis, haletante et épuisée, souleva une nouvelle fois les pieds de Jack et le traîna à l’intérieur. Au moment où elle tirait sur la chaînette qui actionnait le plafonnier, les yeux de Jack s’ouvrirent de nouveau.

— Qu’est-ce que vous faites tous les deux ? Wendy, qu’est-ce que vous faites ?

Elle l’enjamba.

Il fut rapide comme l’éclair. Sa main partit aussitôt et elle dut faire un pas de côté pour éviter de se faire prendre. Mais il avait réussi à agripper un pan de sa robe de chambre qui se déchira avec un bruit mat. Il se mit aussitôt à quatre pattes : avec ses cheveux dans les yeux, il ressemblait à un gros animal, un chien… ou un lion.

— Que le diable vous emporte tous les deux. Je sais ce que vous voulez, mais vous ne l’aurez pas. Cet hôtel… est à moi. C’est moi qu’ils veulent ! Moi !