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— La porte, Danny ! hurla-t-elle. Ferme la porte !

Danny poussa la lourde porte de bois au moment où Jack prenait son élan et il alla s’écraser contre elle.

De ses petites mains, Danny essayait de saisir le verrou. Wendy était trop loin pour l’aider. Dans les deux secondes qui allaient suivre, le sort de Jack serait décidé : libre ou prisonnier ? Danny manqua le verrou une première fois, puis réussit à l’attraper et le poussa à l’instant où la poignée se mit à s’agiter furieusement. Enfin Jack lâcha la poignée et essaya d’enfoncer la porte à coups d’épaule. Chaque assaut l’ébranla, mais le verrou, en acier trempé, tint bon. Wendy poussa un soupir de soulagement.

— Laissez-moi sortir d’ici ! criait Jack. Laissez-moi sortir ! Danny, c’est ton père qui te parle, nom d’un chien. Je veux sortir ! Fais ce que je te dis !

Danny leva machinalement la main, prêt à exécuter l’ordre, mais Wendy la saisit et la pressa contre sa poitrine.

— Obéis à ton papa, Danny ! Fais ce que je te dis ! Fais-le, ou je te donnerai une raclée dont tu te souviendras toute ta vie. Ouvre cette porte ou je te fracasse le crâne !

Blanc comme un linge, Danny se tourna vers sa mère.

À travers les deux centimètres de chêne massif, ils pouvaient entendre la respiration rauque de Jack.

— Wendy, laisse-moi sortir tout de suite. Misérable salope, ouvre-moi ! Je ne plaisante pas ! Laisse-moi sortir, connasse ! Si tu me laisses sortir, je ne te ferai rien. Mais, si tu n’ouvres pas, je t’assure que je t’arrangerai si bien le portrait que ta propre mère ne te reconnaîtra plus ! Ouvre-moi cette porte !

Danny se mit à gémir et Wendy comprit que s’ils restaient là il allait s’évanouir.

— Allons-nous-en, prof, dit-elle, étonnée de s’entendre parler avec autant de calme et d’assurance. N’oublie pas que ce n’est pas ton papa qui parle. C’est la voix de l’hôtel.

— Revenez ici, laissez-moi sortir IMMÉDIATEMENT ! hurla Jack.

Et il se mit à griffer la porte, à l’attaquer avec ses ongles.

— C’est l’hôtel, répéta Danny. C’est l’hôtel. Je ne l’oublierai pas.

Mais, en s’éloignant, il ne put s’empêcher de jeter en arrière un dernier regard horrifié.

47.

DANNY

Il était trois heures de l’après-midi d’une longue, longue journée.

Ils étaient assis dans leur appartement sur le grand lit. Danny tournait et retournait dans ses mains la Folle Volkswagen Violette avec son monstre qui passait la tête par le toit ouvrant.

En traversant le hall, ils avaient entendu Papa cogner contre la porte et les injurier. D’un ton irascible de roi déchu, il leur promettait un juste châtiment et leur prédisait qu’un jour ils regretteraient amèrement d’avoir trahi celui qui avait trimé si dur pour eux depuis tant d’années.

Danny avait cru que d’en haut ils ne pourraient plus l’entendre, mais les échos de sa rage leur parvenaient par le conduit du monte-plats. Le visage de Maman était tout pâle et il y avait d’affreuses marques brunes sur son cou, là où Papa avait essayé de…

Il tournait et retournait dans ses mains le modèle réduit, un cadeau de Papa pour le récompenser de ses progrès en lecture.

(… où Papa l’avait serrée trop fort.)

Maman mit un de ses disques sur le petit électrophone, une musique de trompettes et de flûtes, tout éraillée. Elle lui sourit d’un air las et il essaya de lui rendre son sourire, sans y parvenir. Bien que le volume soit au maximum, il lui semblait toujours entendre les cris de Papa secouant la porte de la réserve comme un fauve en cage. Et si Papa avait besoin d’aller au cabinet ? Alors que ferait-il ?

Danny se mit à pleurer.

Wendy baissa aussitôt le volume de l’électrophone et prit Danny sur ses genoux pour le bercer.

— Danny, mon chéri, ne pleure pas, tout va s’arranger, tu verras. Si Mr Hallorann n’a pas reçu ton message, quelqu’un d’autre le recevra. Et, dès que la tempête s’arrêtera, on viendra nous délivrer. De toute façon, personne, ni Mr Hallorann ni qui que ce soit d’autre, ne peut venir tant que la tempête continue. Mais, dès qu’elle s’arrêtera, nous pourrons partir. Et tu sais ce que nous ferons au printemps, tous les trois ?

Danny secoua la tête contre sa poitrine. Non, il ne le savait pas. Il n’arrivait pas à croire que le printemps viendrait un jour.

— Nous irons à la pêche. Nous louerons un bateau et nous irons à la pêche, comme nous l’avons fait l’an dernier, au lac Chatterton. Toi, moi et Papa. Tu nous prendras peut-être un bar pour le souper. Mais, même si nous ne prenons rien, nous nous amuserons bien, c’est sûr.

— Je t’aime, Maman, dit-il, la serrant dans ses bras.

— Oh ! Danny, moi aussi, je t’aime.

Dehors, le vent hurlait.

Vers quatre heures et demie, au moment où le jour commençait à baisser, les cris cessèrent.

Ils avaient eu un sommeil agité et Wendy, qui tenait toujours Danny dans ses bras, continua de dormir. Mais le silence, encore plus inquiétant que les cris, réveilla Danny. Est-ce que Papa s’était rendormi ? Était-il mort ? Que se passait-il ?

(Avait-il réussi à se libérer ?)

Un quart d’heure plus tard, un bruit dur et métallique vint rompre le silence. Puis Danny entendit un grincement suivi d’un vrombissement de moteur. Wendy se réveilla en poussant un cri.

L’ascenseur s’était de nouveau mis en marche.

Serrés l’un contre l’autre, ils ouvraient de grands yeux et écoutaient l’ascenseur monter et s’arrêter à chaque étage. Aux arrêts, la grille en accordéon s’ouvrait avec un bruit de ferraille, puis la porte battante du palier claquait. Ils entendaient aussi un brouhaha où se mêlaient rires, cris avinés, hurlements et bruits de casse.

L’Overlook s’éveillait.

48.

JACK

Assis par terre dans la réserve, il gardait ses yeux rivés sur la porte. Il avait calé une boîte de crackers entre ses jambes étendues et les mangeait l’un après l’autre sans prêter attention à ce qu’il avalait, simplement parce qu’il fallait bien se nourrir. Quand il sortirait de là, il aurait besoin de ses forces. De toutes ses forces.

Jamais de sa vie il ne s’était senti aussi malheureux qu’à cet instant. Corps et esprit ne faisaient qu’une seule et même souffrance. Il avait le même mal de tête lancinant, il éprouvait le même écœurement qu’autrefois, au lendemain d’une beuverie. Tous les autres symptômes étaient présents aussi : la bouche pâteuse, le bourdonnement aux oreilles et le cœur qui cogne trop fort, comme un tambour indien. De plus, à force de se précipiter contre la porte, il s’était meurtri les épaules et ses cris lui avaient laissé la gorge en feu. Pour comble de malheur, il s’était aussi coupé la main droite sur le verrou.

Il y avait des coups de pied au cul qui se perdaient et quand il serait sorti il se promettait de botter les fesses à certains.

Malgré sa nausée il continua de grignoter les crackers et, faisant violence à son pauvre estomac, prêt à tout régurgiter, les avala les uns après les autres. Il pensa aux comprimés d’Excedrin dans sa poche mais trouva plus prudent d’attendre de ne plus avoir mal au cœur. Ça ne servirait à rien d’avaler un analgésique s’il le vomissait aussitôt. Il fallait se servir de son cerveau. Le cerveau du célèbre Jack Torrance. C’était bien lui, le type qui voulait vivre de sa matière grise ? Jack Torrance, l’auteur de bestsellers, le célèbre dramaturge, lauréat du prix du New York Critics Circle ? Jack Torrance, l’homme de lettres, le penseur respecté qui, à l’âge de soixante-dix ans, a remporté le Pulitzer avec un ouvrage de mémoires percutant intitulé Le Vingtième Siècle et moi ? Tout ça parce qu’il avait su vivre de sa matière grise !