– Vous n'avez jamais eu l'impression d'avoir croisé l'âme sœur, monsieur Zanetti ?
– L'âme sœur, quelle idée ravissante ! À l'époque de mes vingt ans, je croyais la rencontrer chaque samedi soir en allant danser. J'étais très bon danseur dans ma jeunesse et un vrai « cœur d'artichaut ». Je me suis souvent demandé comment on pouvait se persuader d'avoir rencontré l'âme sœur avant même d'avoir construit quelque chose ensemble.
– Vous êtes marié, monsieur Zanetti ?
– Cela m'est arrivé quatre fois, c'est vous dire si je sais de quoi je parle !
En le saluant, monsieur Zanetti avait affirmé à Andrew que les deux manches étant maintenant à la bonne longueur, rien ne pouvait plus nuire à ce bonheur qui l'attendait. Andrew Stilman sortit de chez son tailleur bien décidé à porter haut son costume de mariage le lendemain.
6.
La mère de Valérie s'était approchée d'Andrew juste avant le début de la cérémonie, et, lui époussetant l'épaule d'une tape qui se voulait amicale, lui avait soufflé au creux de l'oreille :
– Sacré Ben ! Tu es la preuve qu'avec de la persévérance, on finit toujours par arriver à ses fins. Je me souviens quand tu avais seize ans et que tu faisais la cour à ma fille... je ne t'aurais pas donné une chance sur mille de réussir ton coup. Et aujourd'hui nous voilà à l'église !
Andrew comprenait mieux pourquoi sa future femme avait tant souhaité quitter le domicile parental à la première occasion.
Valérie était plus belle que jamais. Elle portait une robe blanche discrète et élégante. Elle avait noué ses cheveux sous un petit chapeau blanc qui rappelait ceux des hôtesses de la Pan Am en d'autres temps, bien que ces derniers fussent bleus. Son père l'accompagna jusqu'à l'autel où l'attendait Andrew. Elle lui souriait de tout son amour.
Le prêtre fit un sermon parfait et Andrew fut ému.
Ils échangèrent leurs vœux et leurs alliances, s'embrassèrent longuement et sortirent sous les applaudissements des parents de la mariée, de Colette, Simon, et Andrew ne put s'empêcher, en levant les yeux vers le ciel, d'imaginer que ses propres parents le voyaient eux aussi.
Le petit cortège marchait dans l'allée du parc qui bordait l'église St Luke in the Fields. Les rosiers grimpants ployaient sous l'abondance de fleurs, les parterres de tulipes éclataient de couleurs, la journée était belle, Valérie radieuse et Andrew heureux.
Heureux, jusqu'à ce que débouchant sur Hudson Street, il aperçoive à la fenêtre d'un 4 × 4 noir arrêté au feu rouge le visage d'une femme. Une femme qu'il ne reconnaîtrait pas s'il la croisait à nouveau, lui avait assuré son témoin de mariage, une femme avec laquelle il avait échangé quelques phrases anodines dans un bar de TriBeCa.
Sa gorge se noua et Andrew eut soudain envie d'un Fernet-Coca alors qu'il était à peine midi.
– Tout va bien ? s'inquiéta Valérie. Tu es bien pâle tout à coup.
– C'est l'émotion, répliqua Andrew.
Sans pouvoir détourner son regard du carrefour, il suivit le 4 × 4 qui se perdait dans le flot de la circulation. Andrew sentit son cœur se serrer, il en était presque certain, l'inconnue du Novecento lui avait adressé un sourire.
– Tu me fais mal, gémit Valérie. Tu me serres la main trop fort.
– Pardonne-moi, dit-il en relâchant son étreinte.
– Je voudrais que les festivités de la journée soient derrière nous pour me retrouver seule avec toi à la maison, soupira-t-elle.
– Vous êtes une femme pleine de surprises, Valérie Ramsay.
– Stilman ! reprit-elle. Et pourquoi suis-je une femme pleine de surprises ?
– Je n'en connais aucune autre qui souhaiterait que le jour de son mariage passe à toute vitesse. Lorsque je t'ai demandé ta main, j'imaginais que tu voudrais organiser une grande cérémonie, je nous voyais entourés de deux cents convives qu'il aurait fallu saluer les uns après les autres, croiser tes cousins et cousines, tes oncles et tantes, qui chacun aurait voulu s'étendre sur des souvenirs auxquels je me serais senti totalement étranger. Je redoutais tant cette journée. Et nous voilà, à six sur ce trottoir.
– Tu aurais dû m'en parler plus tôt, je t'aurais rassuré, j'ai toujours rêvé d'un mariage intime. J'avais envie d'être ta femme, pas de jouer les cendrillons en robe de bal.
– Les deux n'étaient pas incompatibles...
– Tu as des regrets ?
– Non, vraiment aucun, dit Andrew en regardant au loin vers Hudson Street.
Quatrième mensonge.
Ils dînèrent dans le meilleur restaurant chinois de New York. Dans la salle de Mr Chow on servait des mets raffinés, à l'avant-garde de la cuisine asiatique. Le repas fut joyeux, Colette et Simon s'entendaient à merveille avec les parents de Valérie. Andrew parla peu et sa femme remarqua combien il était absent.
C'est elle qui déclina l'invitation de son père à poursuivre la fête ailleurs. Et lorsque ce dernier se plaignit d'avoir été privé d'une danse avec sa fille, elle s'en excusa auprès de lui, elle avait une folle envie de se retrouver seule avec son mari.
Le père de Valérie prit Andrew sans ses bras et le serra contre lui.
– Vous avez intérêt à la rendre heureuse mon vieux, lui chuchota-t-il à l'oreille, sinon vous aurez affaire à moi, ajouta-t-il sur le ton de la plaisanterie.
Il était presque minuit lorsque le taxi déposa les jeunes mariés en bas de l'appartement de Valérie. Elle sema Andrew dans les escaliers pour l'attendre sur le palier.
– Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il en cherchant ses clés dans les poches de son veston.
– Tu vas me prendre dans tes bras et me faire franchir le pas de cette porte sans me cogner la tête, répondit-elle avec un sourire malicieux.
– Tu vois que tu es quand même attachée à certaines traditions, dit-il en s'exécutant.
Elle avait ôté ses vêtements au milieu du salon, dégrafé son soutien-gorge, et fait glisser son shorty le long de ses jambes. Elle s'approcha d'Andrew, nue, lui ôta sa cravate, défit les boutons de sa chemise et posa ses mains sur son torse.
Collée contre lui, elle fit glisser ses doigts jusqu'à la ceinture du pantalon, en détacha la boucle et ouvrit la fermeture Éclair.
Andrew lui prit les mains, lui caressa la joue d'un geste tendre et la porta jusqu'au canapé. Puis, il s'agenouilla devant elle, laissa tomber sa tête sur ses cuisses et se mit à sangloter.
– Qu'est-ce qui t'arrive ? demanda Valérie. Tu semblais si lointain aujourd'hui.
– Je suis désolé, dit Andrew en relevant les yeux.
– Si quelque chose ne va pas, si tu as des problèmes d'argent ou de travail, il faut m'en parler, tu peux tout me dire.
Andrew inspira profondément.
– Tu m'as fait te promettre de ne pas te mentir, de ne jamais te trahir, tu t'en souviens ? Tu m'as fait te promettre de te dire sans détour, si un jour quelque chose se brisait.
Les yeux de Valérie s'emplirent de larmes, elle regarda Andrew, silencieuse.
– Tu es ma meilleure amie, ma complice, la femme dont je me sens le plus proche...
– Nous nous sommes mariés aujourd'hui, Andrew, hoqueta Valérie.
– Je te demande pardon du fond du cœur, pardon d'avoir fait la pire des choses qu'un homme puisse faire à une femme.
– Tu as quelqu'un d'autre ?
– Oui, non, juste une ombre... mais je n'avais jamais ressenti cela avant.