Выбрать главу

– Tu as attendu que nous soyons mariés pour te rendre compte que tu en aimais une autre ?

– Je t'aime, je sais que je t'aime, mais pas de cet amour-là. J'ai eu la lâcheté de ne pas me l'avouer, de ne pas t'en parler. Je n'ai pas trouvé le courage d'annuler le mariage. Tes parents venus de Floride, ta meilleure amie de La Nouvelle-Orléans, cette enquête sur laquelle j'ai tant travaillé ces derniers mois, qui a fini par virer à l'obsession. Je n'ai plus pensé qu'à cela et je me suis égaré en chemin. J'ai voulu chasser mes doutes, j'ai voulu bien faire.

– Tais-toi, murmura Valérie.

Elle baissa les yeux et le regard d'Andrew fut attiré par ses mains qu'elle tordait à s'en faire blanchir les doigts.

– Je t'en supplie, ne dis plus un mot. Vas-t'en. Rentre chez toi, où tu veux, mais pars. Quitte cet appartement.

Andrew voulut faire un pas vers elle, Valérie recula. Elle recula jusqu'à la chambre à coucher et referma doucement la porte derrière elle.

*

Un crachin tombait sur le soir triste. Le col de son veston de jeune marié relevé sur la nuque, Andrew Stilman traversa l'île de Manhattan d'est en ouest pour regagner son appartement.

Dix fois il eut envie de téléphoner à Simon, de lui avouer qu'il avait, malgré lui, commis l'irréparable. Mais celui qui croyait n'avoir peur de rien redouta le jugement de son meilleur ami et s'abstint de l'appeler.

Dix fois, il eut envie de se confier à son père, de débarquer chez ses parents pour tout leur raconter. D'entendre sa mère lui dire que tout finit par s'arranger, qu'il valait mieux reconnaître l'erreur d'un mariage plutôt que de s'engager dans une vie de mensonges, aussi cruel que cela soit. Valérie le haïrait pendant quelques années peut-être, mais elle finirait par l'oublier. Une femme qui avait ses qualités ne resterait pas seule longtemps. Si elle n'était pas la femme de sa vie, c'est qu'il ne devait probablement pas être l'homme de la sienne. Il était encore jeune, et quand bien même les moments qu'il traversait lui semblaient insurmontables, ils ne seraient plus tard que de mauvais souvenirs. Andrew aurait voulu sentir la main de sa mère se poser sur sa joue, le bras de son père sur son épaule, entendre leurs voix. Mais les parents d'Andrew n'étaient plus de ce monde et, au soir de son mariage, il se sentit plus seul que jamais.

*

« When the shit hits the fan, it spreads all over » était l'adage préféré de Freddy Olson, son collègue de bureau. Andrew passa son dimanche à le ressasser en corrigeant son article. Il avait reçu aux premières heures du jour un courriel de sa rédactrice en chef qui ne tarissait pas d'éloges sur la qualité de son enquête. Olivia Stern lui assurait qu'il s'agissait là d'une des meilleures qu'elle ait lues depuis longtemps et se félicitait au passage de lui en avoir confié la responsabilité. Et, cependant, elle lui retournait son article empli d'annotations, de passages surlignés, le questionnant sur l'authenticité de ses sources d'information, sur la véracité des faits révélés. Les accusations qu'il portait dans son article n'étaient pas sans gravité et le service juridique voudrait sans nul doute s'assurer que toutes étaient bien fondées.

Aurait-il pris autant de risques si c'était pour affabuler ? Aurait-il dépensé la moitié de son salaire pour remonter grâce à la barmaid de son hôtel miteux jusqu'à des sources aussi fiables que peu loquaces, manqué de se faire tabasser dans la grande banlieue de Buenos Aires s'il n'avait réussi à fausser compagnie aux types qu'il suivait depuis deux jours, risqué de se retrouver en prison, sacrifié sa vie personnelle à cette enquête s'il était un amateur ! Il râla toute la journée en mettant de l'ordre dans ses notes.

Olivia réitérait ses félicitations à la fin de son courriel et informait Andrew de son souhait de déjeuner avec lui dès le lendemain. C'était la première fois. En temps normal, une telle invitation aurait convaincu Andrew qu'il était sur le point de recevoir une nouvelle promotion, pourquoi pas un prix, mais d'humeur plus que maussade, il n'envisageait rien de bon.

Le soir tombé, on tambourina violemment à sa porte. Andrew songea que ce devait être le père de Valérie qui venait lui casser la figure, et il ouvrit, presque soulagé ; une bonne correction le ferait peut-être se sentir moins coupable.

Simon le repoussa sans ménagement avant d'entrer dans l'appartement.

– Dis-moi que tu n'as pas fait ça ! s'écria-t-il en allant vers la fenêtre.

– Elle t'a appelé ?

– Non, c'est moi qui ai téléphoné. Je voulais passer vous déposer votre cadeau de mariage et j'avais peur de vous déranger, d'arriver en plein ébats amoureux. J'étais loin du compte.

– Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

– À ton avis ? Elle a le cœur en miettes, elle ne comprend rien, sauf que tu t'es foutu d'elle et que tu ne l'aimes pas. Pourquoi l'avoir épousée, tu ne pouvais pas y renoncer avant ? Tu t'es comporté comme un salaud.

– Mais parce que vous m'avez tous convaincu de ne rien dire, de ne rien faire, de ne pas ouvrir les yeux ! Parce que vous m'avez tous expliqué que ce que je ressentais n'était que le fruit de mon imagination !

– C'est qui ce « tous » ? Tu t'es confié à quelqu'un d'autre que moi ? Tu as eu un coup de foudre pour un nouveau meilleur ami ? Moi aussi tu vas me quitter ?

– Tu es trop con, Simon. J'ai parlé avec mon tailleur.

– De mieux en mieux... Tu ne pouvais pas prendre un peu sur toi, essayer pendant quelques mois, vous donner au moins une chance ? Que s'est-il donc passé de si grave hier soir pour que tu foutes tout en l'air ?

– Je n'ai pas pu lui faire l'amour et Valérie est trop fine pour croire à une simple panne, puisque tu veux tout savoir.

– Non, ça j'aurais mieux aimé ne pas le savoir, reprit Simon en se laissant choir dans le canapé. Nous voilà bien !

– Nous ?

– Oui, bon ça va, j'ai été suffisamment proche de toi dans les coups durs pour me sentir concerné, et après tout je suis maintenant le témoin du mariage le plus court qui soit.

– Tu veux une attestation du Guinness ?

– L'idée d'aller lui présenter tes excuses, de lui dire que tu t'es trompé et que tout ça n'est qu'un coup de folie passagère te semble impossible ?

– Je ne sais plus où j'en suis, sauf que je suis malheureux comme jamais.

Simon se leva et se rendit dans la cuisine. Il en revint avec deux bières et en tendit une à Andrew.

– Je suis désolé pour toi mon vieux, désolé pour elle et encore plus pour vous deux. Si tu veux, tu peux passer la semaine à la maison.

– Pour quoi faire ?

– Pour t'éviter de rester seul à broyer du noir.

Andrew remercia Simon, mais, à bien y penser, il avait probablement besoin de rester seul à broyer du noir. Ce n'était pas une grande punition à côté de la souffrance qu'il infligeait à Valérie.

Simon posa sa main sur l'épaule de son ami.

– Tu connais l'histoire de cet homme qui comparaissait devant une cour de justice pour avoir assassiné ses deux parents et qui a sollicité la clémence du juge en lui rappelant qu'il s'apprêtait à condamner un orphelin...

Andrew regarda Simon et les deux copains partirent dans un éclat de rire que seule l'amitié peut faire naître au cœur des pires moments.

*

Le lundi, Andrew déjeuna en tête à tête avec sa rédactrice en chef. Elle avait choisi un restaurant éloigné du journal.

Olivia Stern n'avait jamais manifesté tant d'intérêt pour un de ses articles. Jamais elle ne l'avait autant interrogé sur ses sources, sur les rencontres qu'il avait faites, sur la façon dont il avait enquêté. Et tout au long du repas, sans toucher à son assiette, elle l'écouta lui raconter ses voyages en Argentine, comme un enfant écoute un adulte lui conter une histoire bouleversante. Et, par deux fois au cours de son récit, Andrew crut voir Olivia Stern au bord des larmes.