– Laquelle ?
– Vous prétendez que l'on va vous assassiner, et comme visiblement vous êtes doué d'un instinct qui force le respect, j'accepte de vous donner un petit coup de main. Une sorte d'assistance à personne présumée en danger.
– Si cela vous rend les choses plus faciles... Pour revenir à nos affaires, je ne pense pas que cet ancien commandant de l'armée de l'air argentin ait pu me suivre jusqu'ici.
– Il a pu lancer des hommes à vos trousses. Pourquoi l'avoir choisi lui en particulier comme fil conducteur de votre article ?
– Il est au cœur du dossier que m'a confié ma rédactrice en chef. « L'histoire des peuples ne touche les lecteurs que lorsqu'elle se rapporte à des êtres de chair auxquels ils peuvent s'identifier. Sans cela, les récits les plus détaillés, même des pires horreurs, ne sont que successions d'événements et de dates. » Je la cite ! Elle avait ses raisons de croire que le parcours de cet homme serait un bon moyen de raconter comment des gens ordinaires peuvent, sous l'emprise de leurs gouvernements ou de la ferveur populiste, devenir de véritables salauds. Par les temps qui courent, c'est un sujet plutôt intéressant, vous ne trouvez pas ?
– Votre rédactrice en chef, elle est au-delà de tout soupçon ?
– Olivia ? Absolument, elle n'a aucune raison de m'en vouloir, nous nous entendons très bien.
– Très bien, jusqu'à quel point ?
– Qu'est-ce que vous insinuez ?
– Vous allez bientôt vous marier, non ? La jalousie n'est pas réservée à vos collègues de bureaux masculins à ce que je sache.
– Vous faites fausse route, il n'y a pas la moindre ambiguïté entre nous.
– Mais elle, est-ce qu'elle a pu envisager les choses autrement ?
Andrew réfléchit à la question de l'inspecteur.
– Non, sincèrement je ne le crois pas.
– Puisque vous le dites, alors écartons votre Olivia...
– Stern, Olivia Stern.
– Avec ou sans « e » à la fin ?
– Sans.
– Merci, répondit l'inspecteur en notant le nom dans son carnet. Et votre future femme ?
– Quoi, ma future femme ?
– Monsieur le journaliste, au terme d'une longue carrière je peux vous assurer qu'une fois écartés les actes commis par des déséquilibrés, il ne reste que deux types de meurtres, les crapuleux et les passionnels. J'ai trois questions à vous poser : avez-vous des dettes ou avez-vous été témoin d'un crime ?
– Non, quelle est votre troisième question ?
– Avez-vous trompé votre femme ?
*
L'inspecteur commanda un second scotch, et Andrew lui fit alors le récit d'un événement qui avait peut-être un lien avec son assassinat...
Accaparé par son travail, Andrew n'avait pas eu l'occasion de conduire sa vieille Datsun depuis plusieurs mois. Elle devait crouler sous un linceul de poussière au troisième sous-sol du parking où elle était garée, à deux pas du Marriott. La batterie était probablement à plat et Andrew redoutait que les pneumatiques ne soient pas en meilleur état.
Il avait pris rendez-vous avec un dépanneur à l'heure du déjeuner pour la faire remorquer jusqu'aux ateliers de mécanique de Simon.
Comme chaque fois qu'il la lui ramenait, Andrew savait que Simon ne manquerait pas de lui passer un savon pour l'avoir autant négligée. Il lui rappellerait le temps et l'énergie déployés par ses mécanos pour restaurer cette voiture, qu'il avait eu tant de mal à dénicher pour lui faire plaisir, concluant qu'un tel objet de collection ne méritait pas d'appartenir à un cochon. Il la garderait deux fois plus de temps que nécessaire pour la remettre en état, comme un maître d'école confisque un jouet pour punir son élève, mais il lui rendrait sa Datsun aussi rutilante qu'au premier jour.
Andrew quitta le journal et traversa l'avenue. À l'entrée du parking, il salua le gardien qui, plongé dans la lecture de son journal, ne lui accorda aucune attention. Tandis qu'il descendait la rampe, Andrew perçut un bruit dans son dos qui semblait accordé au rythme de ses pas, probablement un écho.
Un seul néon éclairait faiblement le dernier sous-sol. Andrew avança dans l'allée centrale, vers la place 37, la plus petite de toutes, coincée entre deux piliers. Ouvrir la portière et se faufiler à l'intérieur de son véhicule exigeait de pratiquer une certaine gymnastique, mais il avait obtenu contre une ristourne cet emplacement où peu d'automobilistes auraient réussi à garer leur voiture.
Il passa la main sur le capot et constata que sa Datsun était encore plus sale que prévu. Une pression du pied sur les pneus avant le rassura, ils semblaient suffisamment gonflés pour que la voiture puisse être tractée sans dommage. La dépanneuse ne devrait plus tarder, Andrew chercha les clés dans sa poche. Il contourna le pilier et, en se penchant vers la serrure de la portière, il sentit une présence derrière lui. Andrew n'eut pas le temps de se retourner, un coup de batte de baseball le frappa à la hanche et le fit se plier en deux. Il eut le réflexe de pivoter pour faire face à son agresseur, un second coup, au niveau de l'estomac, lui coupa le souffle et le fit chuter.
Recroquevillé à terre, Andrew peinait à distinguer la silhouette de celui qui l'obligeait maintenant à se retourner dos au sol en pressant la batte de baseball sur son thorax.
Si c'était sa voiture qui l'intéressait, qu'il la prenne, de toute façon, elle ne démarrerait pas. Andrew agita ses clés, il reçut un coup de pied dans la main qui fit valdinguer le trousseau.
– Prenez mon pognon et laissez-moi, supplia Andrew en sortant son portefeuille de la poche de sa veste.
Dans un élan d'une précision terrifiante, la batte de baseball projeta le portefeuille à l'autre bout de la travée.
– Enfoiré ! hurla l'agresseur.
Andrew se dit que l'homme qui l'attaquait était un déséquilibré, ou alors il se trompait de cible et le prenait pour un autre, dans ce cas il valait mieux le lui faire savoir au plus vite.
Il réussit à s'adosser contre la portière de sa voiture.
La batte de baseball pulvérisa la vitre, un autre coup siffla à quelques centimètres au-dessus de la tête d'Andrew et arracha le rétroviseur.
– Mais arrêtez, cria Andrew, qu'est-ce que je vous ai fait, bordel ?
– Tu te poses la question maintenant ? Et moi qu'est-ce que je t'avais fait ?
C'était donc bien un déséquilibré, conclut Andrew pétrifié.
– Le moment est venu de te faire payer l'addition, dit l'homme en soulevant sa batte.
– Je vous en supplie, gémit Andrew, je ne comprends rien à ce que vous me dites, je ne vous connais pas, je vous assure que vous êtes en train de faire une erreur.
– Je sais parfaitement à qui j'ai affaire. Une pourriture qui ne pense qu'à sa petite carrière, un salopard qui n'a aucune considération pour son prochain, une raclure, hurla l'homme encore plus menaçant.
Andrew glissa discrètement la main dans la poche de son veston et trouva son téléphone portable. Du bout des doigts, il tenta d'identifier les touches qui lui permettraient de composer un appel d'urgence, mais il comprit qu'au troisième sous-sol, il n'y avait aucune chance que son portable capte un signal.
– Je vais te briser les mains et les épaules, je vais te mettre hors d'état de nuire.
Andrew sentit son cœur s'emballer, ce dingue allait finir par le tuer. Il fallait tenter quelque chose, mais l'adrénaline qui se répandait dans ses veines faisait battre son cœur à une cadence infernale. Il tremblait de tout son corps, et il aurait été sans doute incapable de tenir sur ses jambes.
– On fait moins le fier, hein ?
– Mettez-vous à ma place, répondit Andrew.