Freddy se frotta les narines.
– Ça veut dire quoi, ce petit sous-entendu ?
– Je n'ai rien sous-entendu... Tu fais dans les chiens écrasés maintenant ?
– Qu'est-ce que tu racontes ?
– Sur ton bloc-notes, ces dates et ces adresses, ce sont des clébards qui sont passés sous un bus ? Tu sais que ma compagne est vétérinaire, si tu as besoin d'un coup de main pour tes enquêtes...
– Un lecteur a fait le rapprochement entre trois meurtres commis à l'arme blanche à New York, il est persuadé que c'est un serial killer.
– Et tu partages son avis ?
– Trois coups de couteau en cinq mois dans une ville de deux millions d'habitants, la statistique est plutôt faible, mais Olivia m'a chargé d'enquêter.
– Nous voilà rassurés. Bon, ce n'est pas que je m'ennuie en ta compagnie, mais je suis attendu.
Andrew fit demi-tour et se rendit devant le bureau d'Olivia Stern. Elle lui fit signe d'entrer.
– Où en êtes-vous de vos recherches ? demanda-t-elle en continuant de pianoter sur son clavier d'ordinateur.
– Mes contacts sur place m'ont envoyé de nouvelles infos, mentit Andrew. J'ai plusieurs rendez-vous qui m'attendent et une piste intéressante qui pourrait m'obliger à m'éloigner un peu de Buenos Aires.
– Quelle piste ?
Andrew faisait fonctionner sa mémoire. Depuis le début de son saut dans le passé, il n'avait consacré que peu de temps à son enquête, trop préoccupé par son propre sort. Pour rassasier la curiosité de sa rédactrice en chef, il usait de ses souvenirs, souvenirs d'un voyage qu'il n'était pas censé avoir encore fait.
– Ortiz se serait installé dans un petit village au pied des montagnes, non loin de Córdoba.
– Se serait ?
– J'en aurai le cœur net une fois sur place. Je pars dans moins de deux semaines.
– Je vous l'ai déjà dit, je veux des preuves concrètes, des documents, une photo récente. Je ne peux pas me contenter de quelques témoignages ou, alors, ils doivent émaner de personnalités inattaquables.
– Quand vous me dites ce genre de choses, j'ai vraiment l'impression que vous me prenez pour un amateur, c'en est presque vexant.
– Vous êtes trop susceptible, Andrew, et parano...
– Croyez-moi, j'ai mes raisons, répondit-il en se levant.
– J'ai engagé des frais importants pour votre article, ne me laissez pas tomber, nous n'avons pas le droit à l'erreur, ni moi ni vous.
– C'est fou comme cet avertissement me devient familier ces derniers temps. Au fait, vous avez demandé à Olson d'enquêter sur une affaire de tueur en série ?
– Non, pourquoi ?
– Pour rien, répondit Andrew en sortant du bureau d'Olivia Stern.
Andrew retourna s'asseoir devant son ordinateur. Il afficha la carte de Manhattan à l'écran et localisa les adresses relevées sur les notes d'Olson. Les deux premiers meurtres avaient été commis en bordure d'un parc, le 13 janvier sur la 141e Rue puis le 15 mars sur la 111e Rue, le dernier en date à la hauteur de la 79e. S'il s'agissait du même assassin, ce dernier semblait perpétrer ses actes en allant du nord vers le sud de l'île. Andrew songea aussitôt que l'attaque dont il avait été victime prolongeait l'axe de cette descente aux enfers. Il fit quelques recherches sur l'homme qui avait été récemment poignardé, attrapa sa veste et quitta précipitamment son bureau.
En arrivant sur la coursive, il jeta un œil vers la rue à travers la baie vitrée, quand un détail attira son attention. Il prit son téléphone et composa un numéro.
– Je peux savoir ce que tu fais planqué derrière une plante verte à la sortie de mon journal ?
– Comment le sais-tu ? demanda Simon.
– Parce que je te vois, andouille.
– Tu m'as reconnu ?
– Et qu'est-ce que c'est que cet imperméable et ce chapeau ?
– Ma tenue pour passer incognito.
– C'est efficace ! À quoi tu joues ?
– Je ne joue pas, je surveille les allées et venues de ton collègue Olson. Dès qu'il sort, je le prends en filature.
– Tu es devenu dingue !
– Et que veux-tu que je fasse d'autre ? Maintenant que je sais que je ne vendrai pas une bagnole avant deux mois, je ne vais pas perdre mon temps au garage pendant que quelqu'un cherche à t'assassiner ! Et parle moins fort, tu vas me faire repérer.
– Tu n'as pas besoin de moi pour ça. Attends-moi là, je te rejoins, et sors de derrière cette plante verte !
Andrew retrouva Simon sur le trottoir et l'entraîna par le bras loin de l'entrée du New York Times.
– On dirait Philip Marlowe, tu es ridicule.
– Cet imperméable m'a coûté les yeux de la tête, c'est un vrai Burberry.
– Il fait un soleil de plomb, Simon.
– Tu t'es pris pour Jésus réincarné et tu vas me faire la leçon parce que je joue au détective privé ?
Andrew héla un taxi, pria Simon d'y monter et demanda au chauffeur de les conduire à l'angle de Park Avenue et de la 77e Rue.
Dix minutes plus tard, le taxi se rangea devant l'entrée des urgences du Lenox Hospital.
Simon entra le premier et se dirigea vers l'accueil.
– Bonjour, dit-il à l'infirmière, nous venons pour mon ami...
Andrew l'attrapa à nouveau par le bras et l'entraîna brusquement à l'écart.
– Qu'est-ce que j'ai encore fait ? Tu ne viens pas consulter un psychiatre ?
– Simon, soit tu te conduis normalement, sois tu repars sur-le-champ, c'est clair ?
– Je croyais que pour une fois tu avais pris une bonne décision. Si ce n'est pas pour toi, que fait-on dans cet hôpital ?
– Un type a été poignardé dans le dos. Je veux l'interroger. Tu vas m'aider à entrer dans sa chambre le plus discrètement possible.
Le visage de Simon trahissait la joie qu'il éprouvait de participer à une telle entreprise.
– Qu'est-ce que je dois faire ?
– Retourne voir cette infirmière à l'accueil et prétend être le frère d'un certain Jerry McKenzie auquel tu viens rendre visite.
– C'est comme si c'était fait.
– Et enlève-moi cet imperméable !
– Pas tant que tu ne m'auras pas dit que tu me fais marcher ! répondit Simon en s'éloignant.
Cinq minutes plus tard, Simon rejoignit Andrew qui l'attendait sur une banquette de la salle d'attente.
– Alors ?
– Chambre 720, mais les visites ne commencent qu'à partir de 13 heures et on ne peut pas entrer, il y a un policier devant la porte.
– Alors c'est fichu, fulmina Andrew.
– Sauf si on a un badge, ajouta Simon en collant un adhésif sur son imperméable, comme celui-là !
– Comment tu as obtenu ça ?
– Je lui ai présenté mes papiers, je lui ai dit que ce pauvre Jerry était mon frère, nous n'avons pas le même père, mais la même mère d'où la différence de noms, que j'arrivais de Seattle, et que j'étais sa seule famille.
– Et elle t'a cru ?
– Il semble que j'inspire confiance, et puis avec l'imperméable, Seattle c'était imparable, il pleut trois cent soixante-cinq jours par an. Je lui ai aussi demandé son numéro de téléphone pour l'inviter à dîner puisque j'étais seul en ville.
– Elle te l'a donné ?
– Non, mais elle s'est sentie flattée et, à défaut, elle m'a offert un second badge... pour mon chauffeur, ajouta Simon en collant un sticker sur le veston d'Andrew. On y va, James ?
Alors que la cabine d'ascenseur se hissait vers le septième étage, Simon posa sa main sur l'épaule d'Andrew.
– Vas-y, dis-le, ça ne va pas te faire mal, tu verras.
– Dire quoi ?